Lot 53
  • 53

Chateaubriand, François-Auguste-René Lettre autographe signée De Chateaubriand à M. de La Luzerne, sur la mort de sa belle-sœur Pauline de Beaumont, . Rome ce mardi 8 novembre 1803 .

Estimate
80,000 - 100,000 EUR
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Description

  • Chateaubriand, François-Auguste-René
  • Lettre autographe signée De Chateaubriand à M. de La Luzerne, sur la mort de sa belle-sœur Pauline de Beaumont, . Rome ce mardi 8 novembre 1803 .
21 pages in-folio (317 x 207 mm.), à l’encre noire sur 11 feuillets + un feuillet vierge de papier vergé teinté bleu.



140 corrections autographes, dont de nombreux mots et passages biffés, ainsi que des ajouts en marge. Quelques notes ajoutées en marge au crayon sont de la main de Joseph Joubert.
Lettre partiellement chiffrée à l’encre par Chateaubriand.
Quelques rousseurs, légères salissures, minimes trous dus à l’acidité de l’encre, marques de pliage, petites restaurations au papier adhésif, sinon bon état de conservation.

Literature

Le présent autographe unique servit pour l’édition de la Correspondance générale de Chateaubriand (Paris, Gallimard, 1977, Tome I, pp. 269-278, lettre n° 221) ; toutes les ratures, modifications, surcharges sont répertoriées en note aux pp. 563-567.
Cette relation, en effet, fut copiée plusieurs fois, souvent de manière incomplète. Rémy Tessonneau, les détaille dans son étude sur « La Mort de Pauline de Beaumont et les textes de la relation », in Revue d’histoire littéraire de la France, 1952, p. 179 (cité par B. d’Andlau, P. Christophorov et P. Riberette, in Chateaubriand, Correspondance générale (Paris, Gallimard, 1977, T. I, p. 565) : « Il est certain que Joubert, Fontanes, Chênedollé, Mme de Staël, Mme de Vintimille, Mme Hocquart, Molé, et aussi Lemoine – homme d’affaires de Mme de Beaumont – en eurent communication ».

Catalogue Note

Il s’agit ici de l’autographe original dont l’écrivain fit établir aussitôt après une copie pour l’envoyer au destinataire M. de La Luzerne. Cette copie était accompagnée d’une indication autographe de l’écrivain : « L’original de cette copie ayant été écrit la nuit, à la hâte, dans le trouble, et se trouvant plein de ratures, d’interlignes et de renvois, j’espère que M. de La Luzerne voudra bien m’excuser si je ne lui en envoie que la copie. / Chateaubriand ». Le présent autographe fut confié par Chateaubriand à Joseph Joubert, lequel y apporta de sa main quelques corrections au crayon, tenant compte de celles que l’auteur lui-même avait apportées, au dernier moment, sur certaines des autres copies qu’il fit exécuter pour les amis de la défunte : Mme de Staël, Joubert, Fontanes, Molé…

C’est en 1801 chez son ami Joseph Joubert que Chateaubriand rencontra Pauline de Beaumont (1768-1803), fille du comte de Montmorin, ministre et ambassadeur de Louis XVI qui resta fidèle au roi jusqu'aux derniers moments. Mariée jeune au comte de Beaumont, elle s’en sépara rapidement. Elle avait pour amis André Chénier et Madame de Staël. « La personne qui tint le plus de place dans mon existence à mon retour de l’émigration fut madame la comtesse de Beaumont (…) Madame de Beaumont, plutôt mal que bien de figure, est fort ressemblante dans un portrait fait par madame Lebrun. Son visage était amaigri et pâle ; ses yeux, coupés en amande, auraient peut-être jeté trop d’éclat, si une suavité extraordinaire n’eut atteint à demi ses regards en les faisant briller languissamment, comme un rayon de lumière s’adoucit en traversant le cristal de l’eau. » (Mémoires d’Outre Tombe).
Elle recevait dans son salon bleu de la rue Neuve-du-Luxembourg certains royalistes modérés comme Chateaubriand surnommé « le corbeau », Fontanes, Joubert, Molé, Bonald, Mme de Staël. Chateaubriand lut chez elle des fragments d’Atala et du Génie du Christianisme. Elle en tomba alors éperdument amoureuse. Ensemble ils s’installèrent à Savigny-sur-Orge où elle l’aida à terminer Le Génie du Christianisme. Leur union fut également renforcée par l'amitié de Pauline pour Lucile, la soeur préférée de Chateaubriand qui mourut folle. La liaison de Pauline de Beaumont et de Chateaubriand prit fin à la parution du Génie du Christianisme (1802). Une autre femme, Delphine de Custine venait d’entrer dans la vie de l'écrivain.
En  1803, Pauline se sait définitivement condamnée par une maladie de poitrine. Elle décide d’aller rejoindre son ancien amant installé à Rome où il avait été nommé secrétaire d’Ambassade, pour "mourir dans ses bras".
Jean d’Ormesson dans l’Album Chateaubriand de la Pléiade (pp. 101-103) écrit : « De Florence à Rome se poursuit quelque chose d’assez rare dans l’histoire du cœur : une sorte de chemin de croix qui serait à la fois un chant de mort et d’amour. (…) Ils entrèrent à Rome, le 15 octobre, par la via Appia (…) René avait loué, entre un jardin d’orangers et une cour avec un figuier, une maison assez solitaire : la villa Margherita. Pauline en sortait pour se promener et pour jeter un dernier regard sur ce monde qu’elle allait quitter. (…) Elle mourut le 4 novembre, dans les bras de Chateaubriand, désespérée et ravie, ayant tout regagné au moment de tout perdre, puisque René, en larmes, s’était remis à l’aimer (…) C’est à Rome, en ce temps-là, entre des lettres à Joubert, à Fontanes (…) au beau-frère de Pauline qui s’appelait M. de La Luzerne, que naît pour la première fois dans l’esprit de Chateaubriand l’idée d’écrire des mémoires… ». La vie ironiquement imitait la fiction et Chateaubriand put revivre à ce même instant la fin douloureuse qu’il avait imaginé en 1801 dans Atala. Quant à Pauline, qui avait été tant marquée par ce récit, elle se révéla à la fin de sa vie en véritable héroïne romanesque et, telle Atala, vint mourir dans les bras de celui qu’elle aimait.
Chateaubriand fit élever un monument funéraire à sa mémoire à l'Eglise de Rome Saint-Louis-des-Français. « J’ai perdu une des personnes qui m’attachaient le plus à la vie […] je puis vous dire que jamais mort ne fut plus belle plus religieuse, plus courageuse […] Je vais demander ma démission» écrira-t-il le 8 novembre 1803 à son ami Fontanes.

Cette lettre sur la mort et les funérailles de Pauline, qui sera reprise par l’écrivain dans ses Mémoires d’Outre-Tombe (Lettre quinzième, chapitres 4 et 5), connaîtra un devenir littéraire considérable, puisqu’elle servira de modèle à Benjamin Constant pour la mort d’Elleonore au dernier chapitre de son chef-d’œuvre, Adolphe, ainsi qu'à Mme de Staël, pour la fin de son non moins célèbre roman, Corinne ou l’Italie.