Splendeurs : Chefs-d’oeuvre des Arts d’Afrique

Splendeurs : Chefs-d’oeuvre des Arts d’Afrique

View full screen - View 1 of Lot 15. Statuette, Luba / Hemba, République démocratique du Congo | Luba / Hemba Figure, Democratic Republic of the Congo.

Statuette, Luba / Hemba, République démocratique du Congo | Luba / Hemba Figure, Democratic Republic of the Congo

Auction Closed

June 8, 01:00 PM GMT

Estimate

250,000 - 350,000 EUR

Lot Details

Description

Statuette, Luba / Hemba, République démocratique du Congo


haut. 26 cm ; 10 1/4 in


Hemba Figure, Democratic Républic of the Congo

Collection Jo Christiaens, Bruxelles / Bruges, acquis avant 1970

Objetos - signos de africa, recorrido iniciatico, 2000 : n° 67, p. 103.

Saragosse, Centro de Exposiciones y congressos, Objetos - signos de africa, recorrido iniciatico, Ibercaja, 2000, 11 avril - 24 juin 2000

Par François Neyt

Membre émérite de l’Académie Royale des Sciences d’Outremer de Belgique


STATUE LUBA-HEMBA KABWELULU

République démocratique du Congo


L’identité de cette figure emblématique alliant la tête et le buste d’inspiration luba à la coiffure somptueuse hemba se révèle dans une quête de beauté formelle incomparable. La forme ovoïde de la tête et le dépouillement du visage taillé en réserve confèrent à l’expression de l’œuvre une intériorité mystérieuse et une simplicité exceptionnelle. Celle-ci se révèle par le jaillissement des arcades sourcilières partant de la fine arête nasale pour se fondre en courbes sur les joues modelées. Une fine ligne délimite la surface des joues aux oreilles. Les yeux profonds, mi-clos, les paupières ourlées, s’inscrivent dans un grand art du sommeil propre aux effigies ancestrales hemba. Les lèvres sont délicatement entrouvertes.


Au-dessus de l’hélix réaliste de l’oreille, le diadème frontal, décoré de traits parallèles, fixe fermement à l’arrière une superbe coiffure qui s’ouvre largement, telle une fleur, en chignons quadrilobés. L’ensemble relie deux larges tresses horizontales bombées sur deux autres tresses verticales. La décoration des tresses se complète d’une longue ligne brisée en triangles. Dans le creux entre les tresses, la tradition tabwa et hemba y voit l’espace pour y déposer un précieux sachet de graines que le chef, durant la saison sèche, emporte avec son clan, pour émigrer et fertiliser le sol quelques dizaines de kilomètres plus loin. La magie de cet espace creusé touche au rythme du temps de l’apparition des ancêtres qui protègent l’agriculture et la vie des clans. Au sommet de la statuette féminine, un orifice au rebord saillant apparaît à la place de la fontanelle et souvent traverse le corps jusqu’à la calebasse qui en constitue la base. Le cou est uni et lisse.


Le tronc s’évase délicatement d’abord en des isométries s’inscrivant dans des formes cubiques de face, aux bras repliés en triangle soutenant les seins finement étirés, signes culturels de la fonction magique du génie vidye que représente la femme sculptée. Elle est celle qui relie les évènements temporels à la voûte céleste au point même qu’il est rapporté que les rois défunts désirent se transformer en femme après leur mort.

Les courbes du tronc s’étirent ensuite, signalant discrètement l’importance de la zone ombilicale encadrée de scarifications en V ponctuées de losanges, du sexe féminin dessiné de trois lignes parallèles et d’un triangle composé aussi de petits losanges à la base du dos. Ces signes sobres portent en eux toute la sensualité de la femme qui est toujours source de créativité et de fécondité.


Quant au dos, il est épannelé et modelé ; les omoplates à peine rehaussées sont limitées par une accolade horizontale tandis que la colonne vertébrale taillée en creux descend jusqu’au triangle scarifié à la base des reins. Le socle circulaire s’élargit ponctué de trous qui ont servi à fixer des cordelettes soutenant probablement des coquilles d’escargots et la calebasse. La figure féminine en bois mi-lourd, mesurant 26 cm, est couverte d’une patine noir laqué des plus anciennes. La datation remonte au milieu du XIXe siècle. La sculpture fait partie de la collection belge de Jo Christiaens, acquise vers 1970 et s’inscrit pleinement comme document d’histoire du Royaume luba qu’il convient de mentionner.


Le règne du roi luba Kumwimbe Ngombe (1810-1840) fut marqué par deux expansions importantes : l’une, au nord-est de Kabalo, couvrant le pays hemba ; l’autre, au sud-est, renforçant son hégémonie dans la dépression de l’Upemba et s’étendant jusqu’au lac Moero et le Luapula au sud. Comme la sagesse le lui recommandait, le souverain plaça un prétendant au trône aux marches septentrionales du royaume. Ce nouveau roi-vassal, portant le nom de Buki reçut le feu sacré qui le consacrait comme un fils symbolique. Ce fut un souverain entreprenant qui se tailla son domaine dans l’ensemble du Royaume. Outre le feu sacré, il s’arrogea les autres insignes royaux et accorda des emblèmes royaux à ses propres vassaux. Les Hemba connaissaient l’importance de majestueuses effigies masculines qu’on retrouve sur la coiffure de la statuette étudiée. Ce courant culturel d’effigies ancestrales, les mains posées sur le ventre, veillant sur son clan s’étend, en quartier de lune, du lac Tanganyika à partir des Tabwa, des Tumbwe et d’autres ethnies, traverse le pays hemba au nord de la rivière Lukuga, déversoir du lac dans le Lualaba, futur fleuve Congo (principalement chez les Boyo-Bembe, les Hemba, les Kusu) et rejoint les terres des Songye de part et d’autre de la Lomami.


Quant aux arts luba, ils illustrent à profusion le corps de la femme. Elle est là pour transmettre la vie et la protéger. « Sculpter son corps tout entier, son buste ou son visage, est un acte relevant de la plus haute spiritualité, car à travers sa représentation se traduisent les croyances et l’histoire d’un peuple, écrit Christiane Falgayrettes-Leveau »[1]. Son corps dit le monde, module les rythmes de la nature, annonce les chants incantatoires, dévoile les paroles de l’au-delà. Leur fonction interprétait les phénomènes surnaturels, tels les porteuses de coupe liées à la voyance et au pouvoir, les lances, sceptres et sièges caryatides, signes d’autorité déléguée, les masques et d’autres symboles rejoignant les néoménies et le cycle de la vie.


La figure féminine kabwelulu décrite intègre de manière géniale les traits morphologiques luba et hemba dans sa création. Particulièrement rare dans les musées et les collections particulières, elle se présente en posture droite sur une calebasse enveloppée de coquillages et de peau animale. Elle traverse ainsi les éléments de la création jusqu’à cette période de la saison des pluies où les escargots se multiplient et menacent les cultures de destruction. Ces signes s’inscrivent dans les rituels de l’association des Bugabo dont l’essentiel demeure sous le sceau du secret. Ce contenu du secret est moins important que son usage utilisé comme une stratégie de pouvoir. « Ces sociétés secrètes, écrit le Père Colle, ont une action politique plus ou moins apparente. Les chefs en font souvent partie, et ils ont presque toujours rang parmi les dignitaires. Kyombo est chef des Bugabo, Mbuli chef du Burungu. D’autres chefs de village font de même. De la sorte, leur action s’étend plus loin et est plus intime »[2].

L’organisation de l’association des Bugabo s’articule autour des guérisons, de la chasse et de la lutte contre le crime.


Parmi les statuettes féminines connues, relevons la figure que possède le musée Dapper à Paris provenant de la collection de Tristan Tzara[3], et celle du Virginia Museum of Fine Arts à Richmond aux USA[4].


En conclusion, la figure féminine Kabwelulu, outre sa beauté exceptionnelle, est un témoin précieux de l’histoire. Elle se rattache à l’association des Bugabo, connue déjà par le P. Colle au tout début du XXe siècle. Elle date du dernier quart du XIXe siècle, sinon plus tôt. C’est l’œuvre d’un grand Maître-sculpteur des Niembo (Hemba) au nord de la Lukuga dans la région de Mbulula.


[1] Neyt François, Luba. Aux sources du Zaïre, Musée Dapper, Paris, 1993, p.7.

[2] Colle, Les Baluba, Collection de Monographies ethnographiques, Albert Dewit, Bruxelles, 1913. vol. XI, tome II, n° 179, p. 847 et tome I, n° 119 sv.

[3] Couverture de l’ouvrage mentionné en note 1 et pages 162-163. Ecrivain français d’origine roumaine, Tristan Tzara lança le mouvement du dadaïsme.

[4] Nooter Mary H., Secrecy. African Art that conceals and reveals, The Museum for African Art, New York, Prestel Munich, p. 30.



By François Neyt

Emeritus member of the Académie Royale des Sciences d'Outremer de Belgique.


LUBA-HEMBA KABWELULU FIGURE

Democratic Republic of the Congo

 

The identity of this emblematic figure, combining a Luba-inspired head and chest with a stunning Hemba coiffure, is expressed in a quest for unparalleled formal beauty. The egg-shaped head and the pared-down features of the face give it a mysterious interiority and an exceptional simplicity in its expression. This is revealed in the surging arch of the eyebrows, extending from the fine bridge of the nose and blending into the curves of the modeled cheeks. A thin line delineates the surface from cheek to ear. The deep-set, half-closed eyes, the finely carved eyelids, are part of a great art of slumbering figures, typical of ancestral Hemba effigies. The lips are lightly parted.


Above the realistic helix of the ear, the forehead diadem, with its parallel lines, firmly attaches to the back a superb coiffure that opens up like a flower in bloom into quadrilobed buns. This in turn connects two large, rounded, horizontal braids to two other vertical braids. The embellishment of the braids is completed with a long broken line of triangles. Tabwa and Hemba tradition views the hollow between the braids as a place to deposit a precious bag of seeds that the chief, during the dry season, would take with his clan to migrate and fertilize the soil a few miles away. The magic of this hollowed space relates to the rhythm of a time when ancestors appeared in order to protect agriculture and the life of the clans. Atop the female figure, an orifice with a raised lip appears where the fontanel would be and often runs straight through the body to the calabash that forms the base. The neck is even and smooth.


The torso gently flares out, first in isometrics set in cubic forms on the front part, with arms folded into a triangle supporting the tautly elongated breasts, cultural markings of the magical role played by the Vidye genius embodied by the carved woman. She is the one who connects temporal events to the celestial vault, so much so that kings are said to wish to transform into women after their death.


The curves of the torso then stretch out, discreetly emphasizing the importance of the umbilical zone framed by V-shaped scarifications dotted with diamond-shaped patterns, the female sex drawn with three parallel lines and a triangle also made up of small diamond shapes at the base of the spine. These understated markings carry within them all the sensuality of a woman who is always a source of creativity and fertility. 

As for the back itself, it is planed and modelled; the shoulder blades, barely accentuated as they are, are contained in a horizontal brace, whilst the spine, carved in a hollow, tapers down to the scarification triangle on the loins. The circular base expands, perforated with holes that were used to attach strings, probably to hold snail shells and the calabash base. This female figure carved in medium-weight wood, and measuring 26 cm in height, is coated in a very ancient black lacquered patina. Its dating places it in the mid-19th century. The sculpture is part of the Belgian collection of Jo Christiaens. It was acquired circa 1970 and fully qualifies as a testament of history of the Luba Kingdom which should be mentioned.


The reign of Luba king Kumwimbe Ngombe (1810-1840) was marked by two major expansions: one to the northeast of Kabalo, spanning Hemba country; the other to the southeast, consolidating his hegemony over the Upemba depression and extending as far south as Lake Moero and Luapula. As was wise, the ruler placed a pretender to the throne at the northern steps of the kingdom. This new vassal-king, who was called Buki, received the sacred fire that consecrated him as a symbolic son. He was an enterprising ruler who carved out his own domain throughout the kingdom. In addition to the sacred fire, he claimed other royal insignia and granted royal emblems to his own vassals. The Hemba were aware of the importance of the majestic male effigies that can be seen on the coiffure of the statuette under consideration. This cultural trend of ancestral effigies with their hands on their abdomens, watching over their clans, extends in a crescent shape, from Lake Tanganyika, beginning with the Tabwa, the Tumbwe and other ethnic groups, and runs through Hemba country north of the Lukuga River, the spillway of the lake into the Lualaba, the future Congo River (mainly among the Boyo-Bembe, Hemba, and Kusu), and joins up with the lands of the Songhay on both sides of the Lomami River.


As for Luba arts, they provide an abundance of depictions of women’s bodies. They are meant to impart life and protect it. “Sculpting their whole body, their bust or their face, is an act of the highest spiritual order, because through their representation the beliefs and history of a people are expressed,” writes Christiane Falgayrettes-Leveau [1]. Their bodies tell the story of the world, modulate the rhythms of nature, herald incantation chants, and reveal the words of the otherworld. Their function was to interpret supernatural phenomena, like cup bearers who were associated with clairvoyance and power, spears, scepters and caryatid seats, signs of delegated authority, masks and other symbols that were related to the neomenia and the cycle of life.


The featured Kabwelulu female figure brilliantly incorporates Luba and Hemba morphological traits into its design. It is especially rare in museums and private collections, in that it appears in an upright posture on a calabash covered with shells and animal hides. It cuts across the elements of creation all the way into the rainy season when snails proliferate and threaten to destroy the crops. These signs are part of the rituals of the Bugabo association, the main part of which still remains veiled in secrecy. The contents of the secret are less important than its use as a power strategy. “These secret societies,” writes Father Colle, “engage in political action that is more or less apparent. Chiefs are often among them, and they almost always rank among dignitaries. Kyombo is the leader of the Bugabo, Mbuli the leader of the Burungu. Other village chiefs do the same. As a result, their action extends further and is more intimate.”[2] The organization of the Bugabo association is focused on healing, hunting and fighting crime.


Amongst known female statuettes, the figure owned by the Musée Dapper in Paris from the collection of Tristan Tzara[3], and the one in the Virginia Museum of Fine Arts in Richmond, USA, are both noteworthy[4].


In conclusion, the Kabwelulu female figure, besides her exceptional beauty, is also an invaluable historical reference. It relates to the Bugabo association, which was already familiar to Father Colle in the early 20th century. It dates back to the last quarter of the 19th century, if not earlier. It is the work of a great master sculptor from the Niembo (Hemba) people, north of the Lukuga, in the Mbulula region.


[1] Neyt François, Luba. Aux sources du Zaïre, Musée Dapper, Paris, 1993, p.7.

[2] Colle, Les Baluba, Collection de Monographies ethnographiques, Albert Dewit, Bruxelles, 1913. vol. XI, tome II, #179, p. 847 and tome I, #119 sv.

[3] Cover of the book mentioned in note 1 and pages 162-163. Romanian-born French author Tristan Tzara founded the Dadaism movement.

[4] Nooter Mary H., Secrecy. African Art that conceals and reveals, The Museum for African Art, New York, Prestel Munich, p. 30.