De la précieuse bibliothèque Jorge Ortiz Linares

De la précieuse bibliothèque Jorge Ortiz Linares

View full screen - View 1 of Lot 16. El Ingenioso hidalgo Don Quixote. Madrid, 1608 et 1615. 2 vol. in-8. Superbe ex. en rel. uniforme du XVIIIe.

Cervantes Saavedra, Miguel de

El Ingenioso hidalgo Don Quixote. Madrid, 1608 et 1615. 2 vol. in-8. Superbe ex. en rel. uniforme du XVIIIe

Auction Closed

December 14, 05:51 PM GMT

Estimate

400,000 - 600,000 EUR

Lot Details

Description

Cervantes Saavedra, Miguel de

El Ingenioso hidalgo Don Quixote de la Mancha

Madrid, Por Juan de La Cuesta, vendese en casa de Francisco de Robles, librero del Rey, 1608

Segunda Parte del ingenioso cavallero Don Quixote de la Mancha

Madrid, Por Juan de la Cuesta, vendese en casa de Francisco de Robles, librero del Rey, 1615


UN EXEMPLAIRE DONT ON NE REVERRA SANS DOUTE PLUS D’ÉQUIVALENT AVANT LONGTEMPS : LE SUPERBE DON QUICHOTTE DE JORGE ORTIZ LINARES, COMPLET DE SES DEUX PARTIES.


1. LA PREMIÈRE PARTIE EST LA TROISIÈME ÉDITION DE MADRID IMPRIMÉE EN 1608 PAR JUAN DE LA CUESTA : DERNIÈRE ÉDITION RÉVISÉE PAR CERVANTÈS LUI-MÊME


2. LA SECONDE PARTIE IMPRIMÉE EN 1615 EST EN ÉDITION ORIGINALE : L’UNE DES ÉDITIONS LES PLUS RARES DE CERVANTÈS

L’EXEMPLAIRE A ÉTÉ UNIFORMÉMENT RELIÉ EN ANGLETERRE AU XVIIIe SIÈCLE POUR UN LECTEUR-COLLECTIONNEUR ET A APPARTENU À BEILBY THOMPSON (1742-1799), PROPRIÉTAIRE DU DOMAINE D’ESCRICK PARK


IL A ÉTÉ VENDU PAR LA LIBRAIRIE MAGGS BROTHERS DE LONDRES, LE 21 DÉCEMBRE 1936, POUR LA SOMME DE £850


2 volumes in-8. (1.) : 194 x 133mm ; (2.) : 194 x 128 mm. Bandeaux, initiales et culs-de-lampe gravés sur bois. Marque typographique de Juan de La Cuesta sur chacune des pages de titre : un faucon encapuchonné avec la devise Post tenebras spero lucem


COLLATION :

(1. PREMIÈRE PARTIE, 1608) : ¶4 A8 ¶¶8 B-Z 2A-M8 : 292 feuillets. Le cahier A est mal placé

(2. SECONDE PARTIE, 1615) : ¶8 A-Z 2A-M8 2N4 : 292 feuillets. A4 mal signé A7

CONTENU :

(1. PREMIÈRE PARTIE, 1608) : ¶1r : titre avec la marque de Juan de La Cuesta, ¶2r : avec la Tassa, datée de Valladolid le 20 décembre 1604 (à 3 maravedis par feuille, la taxe monte à 255 maravedis), et avec une approbation datée de Madrid du 25 juin 1608 signée de Francisco Murcia de la Llana, ¶2v : approbation de Juan de Amezqueta datée de Valladolid le 26 septembre 1604, ¶4r : dédicace par Miguel de Cervantès à Alonso Diego López de Zúñiga, 6e duc de Béjar (1578-1619), A1r : texte (cahier mal placé), ¶¶1r : Prologue, ¶¶5r : poésies et sonnets, B1r : continuation du texte, 2M6v : table des chapitres

(2. SECONDE PARTIE, 1615) : ¶1r : titre avec la marque de Juan de La Cuesta, ¶2r : avec la Tassa, datée de Madrid le 21 octobre 1615 (à 4 maravedis par feuille, la taxe monte à 292 maravedis), et avec la Fee de erratas, également datée de Madrid le 21 octobre 1615, ¶2r : approbations données à Madrid, le 5 novembre 1615, par Gutierre de Cetina, le 17 mars 1615, par Joseph de Valdivieslo, et le 26 février 1615, par Marquez Torres, ¶5r : privilège accordé à Cervantès par le roi, pour vingt ans, le 30 mars 1615, ¶6r : Prólogo al lector, dans lequel Cervantès se plaint de la publication de Fernandez de Avellaneda, ¶8r : épître de dédicace par Miguel de Cervantès à Pedro Fernández de Castro, 7e comte de Lemos (1576-1622), daté de Madrid, le 31 octobre 1615, A1r : texte, 2N1r : Tabla de los capítulos, 2N4r : En Madrid, por Iuan de la Cuesta, Ano M.DC.XV


ÉTAT DU TEXTE :

(1. PREMIÈRE PARTIE, 1608) : LA TROISIÈME ÉDITION DE MADRID, CORRIGÉE PAR L’AUTEUR LUI-MÊME. SON TEXTE FAIT DEPUIS LONGTEMPS AUTORITÉ. L’édition originale de 1605 était constellée d’erreurs. Elle fut remplacée par la deuxième édition de Madrid donnée par Juan de La Cuesta (“una nueva redacción, una refundición con entidad propria”, Francisco Rico, op. cit. infra, p. XC), qui, quoiqu’également bien corrompue, rétablissait le sens de certains passages, dont celui de la disparition de l’âne de Sancho Pança. La présente édition de 1608 est considérée comme offrant le texte le plus authentique et final, revu par l’auteur qui habitait à quelques pas de l’atelier de Juan de La Cuesta, comme le précise Francisco Rico : “Sustancialmente igual a la segunda, pero todavía con ligeras revisiones a cuenta del asno y con algunas otras variantes que no siempre pueden descartarse come extrañas a Cervantes (quien non en vano vivía a cuatro pasos del taller), es la tercera edicíon del Ingenioso hidalgo, estampada en 1608 “por Juan de la Cuesta” de nuevo a expensas de Robles” (p. XCII)

(2. SECONDE PARTIE, 1615) : ÉDITION ORIGINALE, PREMIER ÉTAT. R. M. Flores a pu déceler deux états différents dans trois cahiers de cette édition (A, G, Q) à la suite de leur recomposition par trois compositeurs (sur dix) de l’atelier de Juan de La Cuesta. L’exemplaire Ortiz Linares est en premier état semblable à l’exemplaire coté Serís 12 de la Hispanic Society of America. On retiendra aussi que ces distinctions d’état pour le 1615 en sont au début de leur histoire, R. M. Flores précisant dès les premières lignes de son article : “No two copies of the first edition of Don Quixote, Part II, are identical” (p. 282)


MARQUES DE LECTURE : (2) : soulignements à l’encre brune en 2M6


RELIURES ANGLAISES UNIFORMES VERS 1750. Basane granitée, décor doré, double filet en encadrement autour des plats, dos à nerfs dorés, pièces de titre et de tomaison de maroquin rouge, tranches légèrement mouchetées. Boîtes de maroquin rouge par Zaehnsdorf


PROVENANCE : Beilby Thompson (1742-1799 ; ex-libris armoriés du XVIIIe siècle sur chacun des volumes), possesseur du domaine d’Escrick”, dans le Yorkshire — sa sœur Jane Thompson (1743-1816), épouse de Sir Robert Lawley (mort en 1793) — Sir Paul Beilby Lawley Thompson (1784-1851), devenu 8e baron Wenlock en 1839, puis par descendance — Maggs Brothers, à Londres, vendu à Jorge Ortiz Linares le 21 décembre 1936, pour £850


NOTE : Beilby Thompson posséda le domaine d’Escrick Park, dans le Yorkshire, dont la superficie dépassait les 10.000 hectares. On ne sait pas grand-chose de ce collectionneur si ce n’est qu’un livre, retrouvé à Cambridge et ayant appartenu au savant Gabriel Harvey (1552-1631), porte son ex-libris : “Having inherited the family estate at the age of seven or eight, Thompson went on to study at Cambridge, entering Christ’s College (...) in November 1759. He was a fellow commoner (an affluent, usually aristocratic, student granted among other privileges that of sharing with the Fellows of a College the amenities of the high table) and seems – as was frequently the case for such students – not to have graduated. He served as a Yorkshire MP for nearly thirty years and was evidently a keen collector of books. Thirty of his books are recorded in the ESTC database of pre-1801 English imprints and hundreds of others probably lie unnoticed on library shelves.” (https://specialcollections-blog.lib.cam.ac.uk/?p=21940).


Il est absolument certain qu’Escrick Park fut la demeure d’une bibliothèque importante comme en témoigne le Hull History Centre de l’Université de Hull : “It had a fine library featuring a classical collection and books on Italian topography (Neave, 'Escrick Hall and park', p. 29).” (https://catalogue.hullhistorycentre.org.uk/catalogue/U-DDFA?tab=description). Les immenses droits de succession imposés par l’État anglais à l’aristocratie au début du XIXe siècle eurent raison d’une propriété et d’une famille qui n’avait pas su créer d’héritier direct. Pour hériter du titre et de la propriété, il fallait avoir recours à une cascade de neveux suscitant une cascade de droit : “Miss Irene Lawley (...) in 1912, on the death of her father Lord Wenlock, inherited (there being no son) the Escrick Park estate in Yorkshire. Death duties amounted to £60,000, of which she raised £20,000 at once by sales, paying the rest at the rate of £5,000 a year for eight years. But since her net income was only £4,000 a year, she had no choice but to let the house, and ultimately to sanction its conversion to flats.” (D. Cannadine, The Decline and fall of the British aristocracy, New York, 1999, p. 129). Le possesseur actuel d’Escrick, Sir Charles Forbes Adam, lointain descendant de Beilby Thompson, nous a confirmé par email le départ de ces Cervantès au tournant des années 1930 : “I cannot say exactly, but I know that when my grandparents left Escrick Park in 1930/31 there were sales of books, paintings etc.” Toujours est-il que ces deux Cervantès parvinrent chez Maggs au début des années 1930 sans qu’aucune trace de vente aux enchères n’ait pu être trouvée

Le cahier A est mal placé. Petit trou de rouille en C5 avec manque de 3 lettres, manque angulaire en I2 sans aucune atteinte au texte, 2I6 mal imprimé. Dos du volume I restauré par Maggs dans les années 1930 Marge intérieure des ff. P2 et PA avec une rupture de papier sans manque aucun. Petite déchirure sans manque (environ 3 cm) au 1er feuillet blanc de tome 1 (1608). Quelques restaurations à la reliure


Entre l’été 1600, où Miguel de Cervantès (1547-1616) est à Séville, et l’été 1604, où on le sait avec certitude à Valladolid, la vie du futur grand écrivain âgé de cinquante-sept ans nous est inconnue. Philippe II est mort en 1598. Son fils, le timide Philippe III, lui a succédé et laisse gouverner son favori, le corrompu duc de Lerma (1553-1625). Au tout début de 1601, la cour a été transférée de Madrid à Valladolid qui devient alors la capitale intellectuelle du royaume. Il semblerait que l’auteur de La Galatea (1585) ait commencé à songer à son personnage de Don Quichotte dès 1592 ou dans les années suivantes, lors des différents enfermements qu’il eut à subir, à Séville et Castro del Rio, en raison de soi-disant malversations.


Première preuve de vie de Don Quichotte : Félix Lope de Vega (1562-1635), surnommé par Cervantès, qui ne l’aime pas, le “phénix, le monstre de la nature”, tant il domine la scène intellectuelle espagnole, évoque Don Quichotte et son auteur dans une lettre du 4 août 1604 : “Aucun n’est aussi mauvais que Cervantès, ni assez sot pour louer Don Quichotte”. Cervantès a toujours été d’une immense discrétion sur son travail d’écrivain si bien que la genèse de son œuvre nous est cachée. Au moins peut-on penser que, lorsque l’éditeur Francisco de Robles se porta acquéreur du manuscrit à l’été 1604 pour 1500 réaux, Cervantès avait pu alors coudre et unifier différentes parties jusqu’alors disparates. Le 26 septembre 1604, le privilège est accordé. Aussitôt, Juan de La Cuesta met texte et cahiers en composition. L’impression est achevée en décembre 1604. Le correcteur Murcia de la Llana semble avoir composé des errata.


En réalité, il laisse un texte bourré de coquilles et d’erreurs flagrantes dont le succès est instantané et, en quelques années, international. La demande est telle que, dès mars 1605, Francisco de Robles et Juan de La Cuesta projettent une deuxième édition. Cervantès avait obtenu l’extension de son privilège au Portugal et à l’Aragon. Deux éditions pirates avaient en effet été publiées à Lisbonne par Jorge Rodriguez avec une approbation du 26 février 1605 (cf. lot 15) puis par Pedro Craesbeeck (Rius 3). En juin 1605, la seconde édition de Madrid par Juan de La Cuesta (Rius 4) corrigeait bon nombre de fautes importantes de la première édition tout en en recréant de nouvelles. Elle prenait appui sur le privilège renouvelé. Dès juillet 1605, elle fut suivie par deux nouvelles éditons pirates imprimées à Valence (Rius 5 et 6). En moins de quelques mois, l’épais roman du Don Quichotte avait connu six éditions. Son lectorat s’était bien vite étendu au Nouveau Monde puisqu’en février et en avril 1605 deux cargaisons d’exemplaires partaient vers l’Amérique espagnole. Dès l’origine, le roman cervantin était aussi un livre américain. Aux mêmes instants, Don Quichotte devenait un personnage populaire grâce aux cortèges, mascarades et ballets le mettant en scène, comme celui de Valladolid le 10 juin 1605 où la cour se trouvait encore. On comprend alors la fierté de l’auteur qui fait dire à Sansón Carrasco, l’un des personnages de la Segunda parte de 1615, exagérant sans doute les chiffres : 


“je tiens pour certain qu’aujourd’hui on a imprimé plus de douze mille exemplaires de cette histoire. Sinon, qu’on la demande à Lisbonne, à Barcelone, à Valence où les éditions se sont faites, et l’on dit même qu’elle s’imprime maintenant à Anvers. Quant à moi, j’imagine qu’il n’y aura bientôt, ni peuple, ni langue où l’on en fasse bientôt la traduction.” (Pléiade, 2001, p. 920)


Tout avait été fait avec une telle hâte ! Il fallut attendre la troisième édition de Juan de La Cuesta à Madrid en 1608, celle précisément de l’exemplaire Beilby-Maggs-Ortiz Linares, pour que le texte de la Première partie du Don Quichotte trouve sa forme définitive, révisée par l’auteur lui-même, qui vivait à quelques pas de l’atelier de l’imprimeur.  


On en sait de nouveau très peu quant à l’activité littéraire de Cervantès à Madrid entre 1608 et 1612. Il participe à la vie d’académies de poésie (Académie du Parnasse). Inquiet pour son salut et frappé par des deuils familiaux, il entre dans des confréries religieuses (1609). Cervantès tente, mais en vain, de renouer avec l’aventure en accompagnant le comte de Lemos à Naples (1610). Ces années marquent en réalité l’aboutissement de la composition des Novelas commencées aux “dernières années du règne de Philippe II” (J. Canavaggio), mort en 1598. Les temps de composition des deux Quichotte et des Novelas ont donc dû se croiser. Le 9 juillet 1612, l’approbation officielle est donnée aux Novelas exemplares. Craignant d’autres pirateries éditoriales après celles qui ont touché Don Quichotte, Cervantès obtient au bout d’un an, le 31 juillet 1613, un privilège général pour la Castille et l’Aragon. Le 9 septembre 1613, Robles acquiert le manuscrit des Novelas pour 1600 réaux. Le 14 juillet 1613, Cervantès dédie son œuvre au comte de Lemos. L’impression est achevée au début du mois d’août 1613.


Cette chronologie des Novelas de 1613 importe à la Segunda Parte du Don Quichotte publiée chez Juan de La Cuesta à Madrid en 1615. Le “Prologue” des Novelas achevées en 1612 fournit en effet une indication chronologique de la plus haute importance. L’auteur y écrit : “tu verras d’abord, sous peu mais en grand, les exploits de Don Quichotte et les drôleries de Sancho” (Pléiade, 2001, p. 9). À l’été 1614, une lettre du 20 juillet publiée dans le roman (Don Quichotte, II, xxxvi) révèle que le chevalier est à mi-parcours de ses aventures. On sait que “durant l’été, en un peu plus de deux mois Cervantès ne rédige pas moins de vingt-trois chapitres” (Pléiade, 2001, p. xxxv). L’auteur est en pleine gloire internationale et nationale quand surgit l’inconcevable, à la fin de septembre 1614 : la publication d’une fausse seconde partie de Don Quichotte publiée à Tarragone et due à la plume d’un certain Alonso Fernandez de Avellaneda dont l’identité réelle n’a jamais été percée (Segundo tomo del ingeniose Don Quijote). En janvier 1615, Cervantès rédige les derniers chapitres. En octobre, c’est au tour du prologue et de la dédicace au comte de Lemos. En novembre 1615 paraît la Segunda Parte del ingenioso cavallero Don Quixote de la Mancha. Le succès est de nouveau immédiat et considérable. Le livre est dévoré par le public au point que, de nos jours, l’édition originale de 1615 est connue pour être plus rare que celle de 1605.


Comme l’édition de 1605, celle de 1615 comportait de très nombreuses fautes. En 1998, grâce à sa remarquable étude sur la recomposition typographique de trois cahiers de l’édition originale de 1615, R. M. Flores pouvait, en conclusion, se livrer à une extrapolation sur le nombre de fautes dans les éditions originales de 1605 et 1615. Il évaluait ce nombre au chiffre de huit mille erreurs possibles. Et il en concluait :


“It is becoming more and more evident that this is exactly what has happened in the case of Cervantes’s works. We perceive Cervante’s style, vocabulary, and orthography only through the irregularities, imperfections, and impurities of the bottle-glass panels placed between us and Cervantes’s writings by the compositors of the first editions of these works” 


Lire au travers d’un tesson de bouteille n’est pas aisé.


Tout le monde aimerait, il est vrai, pouvoir rencontrer un exemplaire en reliure uniforme de l’époque des deux parties du Don Quichotte en édition originale. Et de préférence en vélin espagnol. Pourtant, au-delà de tout rêve creux, on sait qu’aucun exemplaire du Don Quichotte en reliure antérieure à 1880, complet de ses deux parties dans les premières éditions de Juan de La Cuesta, n’a été proposé aux enchères depuis 1977. L’exemplaire de la vente Garden passé chez Sotheby’s à New York en 1998 était certes en édition originale pour ses deux parties mais elles avaient été reliées par Francis Bedford pour Alfred Huth vers 1900, donc fatalement lavées et transformées. Les deux volumes étaient néanmoins unis par la même provenance d’un parlementaire français du XVIIe siècle. L’exemplaire est conservé dans une collection espagnole. Leur re-reliure pour Huth avait été qualifiée de “catastrophe” par les rédacteurs du catalogue de Sotheby’s. L’exemplaire Garden fut vendu pour le prix record à l’époque de $1.650.000.


Il n’existe, selon les recensements possibles par internet, que deux exemplaires du 1615 en France : celui du duc d’Aumale à Chantilly et celui de la collection Rothschild du département des manuscrits de la BnF. Ces deux exemplaires ont été reliés au XIXe siècle, l’un par Capé, l’autre par Trautz-Bauzonnet. Chacun de ces deux exemplaires est également accompagné de l’originale de 1605 reliée par les mêmes praticiens. Le duc d’Aumale hérita ses Cervantès de son père, le roi Louis-Philippe, qui les tenait du legs que lui avait fait Frank Hall Standish (1799-1840). C’est de là aussi que le duc d’Aumale possédait son exemplaire de l’édition originale des Novelas de 1613, également relié au XIXe siècle. James de Rothschild tenait quant à lui ses Cervantès des collections du comte de Ludre et du baron de Ruble. Mais, au fond, à l’exception de l’exemplaire Garden uni par une même provenance, ces nouvelles reliures de Capé ou Trautz n’apportent qu’une unité artificielle au chef-d’œuvre cervantin. De nombreuses autres bibliothèques publiques européennes, anglaises ou américaines possèdent les éditions originales de 1605 et/ou 1615 (BN Madrid, Avila, Barcelone, BnF, BL, Houghton Library, Newberry, Beinecke, Morgan Library, Huntington, BM Versailles, etc). À ce jour, l’existence d’une reliure uniforme, d’époque ou ancienne, sur les deux éditions originales dans ces collections publiques, nous est inconnue. Sans doute faudrait-il poursuivre de plus amples recherches sur les conditions de reliures des premières éditions du Don Quichotte dans ces bibliothèques qui les possèdent.


Une correspondance avec le Dr John O’Neil, conservateur de la fameuse collection de livres espagnols de l’Hispanic Society of America, nous a confirmé que la quasi-totalité des premières éditions de Cervantès possédées par cette célèbre institution étaient en reliures du XIXe siècle. Les exemplaires des éditions de Madrid 1605, 1608 et 1615, de Lisbonne 1605 proviennent en effet d’une même collection, celle du marquis Jerez de los Caballeros qui les avait fait relier par Chambolle-Duru. Un seul exemplaire, composé sur le même principe que l’exemplaire Ortiz Linares, réunit les éditions de 1608 et 1615. Il est conservé dans une belle reliure espagnole de veau datant du XVIIIe siècle.


L’espace de dix ans séparant les deux éditions originales (1605-1615) permet de les considérer comme deux entités bibliographiques absolument distinctes. Dans les catalogues de vente ou de libraire présentant des éditions du Livre I, la Segunda parte est souvent dévalorisée comme n’étant qu’un tissu de digressions philosophiques. Ces approximations et l’appui de la seule bibliographie permettent d’éliminer la réalité littéraire de l’unité indissociable des deux parties. Certes, il s’agit d’une unité a posteriori au sens où elle ne précède pas 1605. Cervantès n’annonce pas en 1605 la mort de son héros. Il n’a pas en 1605 comme Proust dès 1913 la pensée d’une œuvre totale et achevée comme sera La Recherche. Pourtant, au fil des années qui s’écoulent entre 1605 et 1615, Cervantès achève bien son roman — par la mort du héros justement. Il revendique cette unité dès le “Prologue” de 1615 lorsqu’il parle de sa Seconde partie comme “taillée de la même façon et de la même étoffe que la Première” (nous soulignons, Pléiade, 2001, p. 900).


Cette unité de l’œuvre a été soulignée par de nombreux travaux universitaires et particulièrement ceux de Jean Canavaggio. L’auteur, par exemple, procède dans le Livre II a de nombreuses mises en abyme d’épisodes du Livre I. Si le récit du Livre II est plus linéaire alors que celui du Livre I suit une progression discontinue, si le rapport du réel à l’illusion n’est pas le même entre les deux parties, il n’en reste pas moins que


“Cette Seconde partie (...) conçue comme un récit développé de ses nouvelles aventures va porter le roman à sa perfection ; elle lui assure une consécration immédiate que confirmera la postérité” (Pléiade, 2001, p. xxxvi)


En l’absence de deux exemplaires des Livres I et II en édition originale et en reliure d’époque ou ancienne, la combinaison de l’édition définitive du Livre I telle que revue par l’auteur — celle de Juan de La Cuesta en 1608 à Madrid -, avec l’édition originale de la Segunda parte de 1615, est la meilleure possibilité aujourd’hui offerte à un amateur pour comprendre la nécessaire préservation de l’unité de l’œuvre de Cervantès. Si cette formule du 1608-1615 se rencontre par deux exemplaires (Ortiz Linares et Hispanic Society), tous deux dans des reliures uniformes du XVIIIe siècle, c’est que leur composition correspondait déjà et à l’évidence à un choix bibliographique et bibliophilique pratiqué par des critiques éclairés de ce siècle, amateurs ou libraires. Jacques-Charles Brunet (1780-1867), à propos de l’édition de 1615, écrivait déjà, comme pour mieux marquer une nécessité : “Première édition de cette seconde partie, laquelle se joint à la première, soit de l’édition de 1605, soit de celle de 1608” (Manuel du libraire, I, col. 1748). On ne peut invoquer meilleure autorité.


BIBLIOGRAPHIE

1. Francisco Rico, Miguel de Cervantes, Don Quijote de la Mancha, Édition de l’Institut Cervantès, dirigée par Francisco Rico, Institut Cervantès — Crítica (Biblioteca clásica, 50), Barcelone, 1998, et plus particulièrement la Nota al texto, pp. LXXVII-CI, et Don Quichotte : El texto del “Quijote”. Preliminares a una ecdotica del Siglo del Oro, Valladolid et Barcelone, 2005 — Palau 51982 : "Esta edición de Cuesta aparece mas cuidada que las anteriores, y hasta se habia dicho que la corrigió el mismo Cervantes, pero los modernos estudios lo niegan. Suelta tiene gran valor comercial." — Maggs, Spanish Books, 176 — Rius, Bibliographia critica de las obras de Miguel Cervantes, I, n° 8 :"La presente edición es la mejor de las tres de Cuesta. Sus notables adiciones y variantes hacen presumir que la corrigió el mismo autor" — Don Quijote. Ausgaben in vierhundert Jahren, Francfort, 1991, n° 7, p. 63 : “Zweifelsohne haben wir hier die beste Ausgabe for uns” — USTC 5039059 — Salva 1549

2. USTC : 5039082 — Rius, I, n° 12 — Don Quijote. Ausgaben in vierhundert Jahren, Francfort, 1991, n° 10, p. 69 — Palau 51985 — R. M. Flores, “A tale of two printings: Don Quixote, Part II”, Studies in Bibliography, 39, 1986, 281-296, disponible sur https://xtf.lib.virginia.edu/xtf/view?docId=StudiesInBiblio/uvaBook/tei/sibv039.xml&chunk.id=vol039.22&toc.id=vol039.22&brand=default — Roger Chartier, “La presse et les fontes : Don Quichotte dans l’imprimerie” : http://ihl.enssib.fr/la-presse-et-les-fontes-don-quichote-dans-l-imprimerie — Jean Canavaggio, Cervantès, Paris, Fayard, 1997 — Cervantès, Don Quichotte précédé de La Galatée, éd. par J. Canavaggio, Paris, Pléiade, 2001 — Homero Serís, La Coleccuión cervantina de la Sociedad Hispanica de America, Chicago, 1918


Superb Don Quixote complete with both parts.

The first part is the third Madrid edition of 1608, the last to be revised by Cervantes himself, along with the first edition of the second part from 1615.

In a uniform binding, made in England in the 18th C., from the collection of Beilby Thompson (1742-1799), owner of Escrick Park.


Un ejemplar del que sin duda no se volverá a ver otro igual en mucho tiempo: el magnífico Don Quijote de Jorge Ortiz Linares, con sus dos partes completas.

1. La primera parte es la tercera edición de Madrid impresa en 1608 por Juan de la Cuesta: última edición revisada por el propio Cervantes.

2. La segunda parte impresa en 1615, está en edición original. Es una de las ediciones más raras de Cervantes.

El ejemplar fue uniformemente encuadernado en Inglaterra en el siglo XVIII para un lector-coleccionista y perteneció a Beilby Thompson (1742-1799), poseedor de la finca de Escrick Park.

Adquirido en la librería Maggs Brothers de Londres, el 21 de diciembre de 1936.

1. Francisco Rico, Miguel de Cervantes, Don Quijote de la Mancha, Édition de l’Institut Cervantès, dirigée par Francisco Rico, Institut Cervantès — Crítica (Biblioteca clásica, 50), Barcelone, 1998, et plus particulièrement la Nota al texto, pp. LXXVII-CI, et Don Quichotte : El texto del “Quijote”. Preliminares a una ecdotica del Siglo del Oro, Valladolid et Barcelone, 2005 — Palau 51982 : "Esta edición de Cuesta aparece mas cuidada que las anteriores, y hasta se habia dicho que la corrigió el mismo Cervantes, pero los modernos estudios lo niegan. Suelta tiene gran valor comercial." — Maggs, Spanish Books, 176 — Rius, Bibliographia critica de las obras de Miguel Cervantes, I, n° 8 :"La presente edición es la mejor de las tres de Cuesta. Sus notables adiciones y variantes hacen presumir que la corrigió el mismo autor" — Don Quijote. Ausgaben in vierhundert Jahren, Francfort, 1991, n° 7, p. 63 : “Zweifelsohne haben wir hier die beste Ausgabe for uns” — USTC 5039059 — Salva 1549

2. USTC : 5039082 — Rius, I, n° 12 — Don Quijote. Ausgaben in vierhundert Jahren, Francfort, 1991, n° 10, p. 69 — Palau 51985 — R. M. Flores, “A tale of two printings: Don Quixote, Part II”, Studies in Bibliography, 39, 1986, 281-296, disponible sur https://xtf.lib.virginia.edu/xtf/view?docId=StudiesInBiblio/uvaBook/tei/sibv039.xml&chunk.id=vol039.22&toc.id=vol039.22&brand=default — Roger Chartier, “La presse et les fontes : Don Quichotte dans l’imprimerie” : http://ihl.enssib.fr/la-presse-et-les-fontes-don-quichote-dans-l-imprimerie — Jean Canavaggio, Cervantès, Paris, Fayard, 1997 — Cervantès, Don Quichotte précédé de La Galatée, éd. par J. Canavaggio, Paris, Pléiade, 2001 — Homero Serís, La Coleccuión cervantina de la Sociedad Hispanica de America, Chicago, 1918