La Trame du Rêve : l’Art du Textile en Asie du Sud-Est

La Trame du Rêve : l’Art du Textile en Asie du Sud-Est

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Un textile cérémoniel pua et trois nattes, Indonésie | A ceremonial cloth pua and three mats, Indonesia

Lot Closed

April 9, 12:06 PM GMT

Estimate

7,000 - 10,000 EUR

Lot Details

Description

Un textile cérémoniel pua et trois nattes, Indonésie


209 x 97,5 cm ; 82 x 38 2/6 in ; 169 x 58 cm ; 66⅓x 22 5/6 in ; 62 x 61 cm ; 24⅓x 24 in et 59 x 69 cm ; 23 1/6 x 27 1/6 in

Collection privée, Suisse, avant 1980

Indianapolis Museum of Art, Indianapolis (prêt long terme)

Adams, Threads of Life A Private Collection of Textiles from Indonesia and Sarawak, The Katonah Gallery, 1981 : n.p., plate VI. (le pua)

C’est au cœur de la jungle humide de Bornéo, à l’ombre des vérandas des maisons longues édifiées en bord de rivières, que naissent les textiles sans doute les plus emblématiques de ce vaste territoire insulaire. Ces couvertures, qui prennent le nom local de pua, composent une fresque vibrante et colorée, reflet de l’identité culturelle et visuelle de peuples comme les Iban ou les Maloh. Affectant une variété de formes et de décors et répondant à des usages plus que divers, ils forment, dans le vaste corpus textile indonésien, un ensemble singulier, assurément versatile mais profondément et intrinsèquement lié à l’équilibre entre les mondes des femmes et celui des hommes, du spirituel et du matériel, des ancêtres et des esprits malveillants.


Apanage féminin – une quasi-constante dans le monde indonésien – l’art textile des femmes Iban de Bornéo est chargé d’une véritable dimension symbolique, qui le place bien au-delà d’un simple acte de création utilitaire. Pas étonnant alors que les Iban considère le tissage comme le pendant féminin de la chasse aux têtes, activité masculine. Alors que les garçons deviennent des hommes pendant les journées et les nuits de traque au cœur des forêts intérieures de l’île, revenant au village auréolés d’un prestige neuf avec un nouveau crâne, c’est en filant, teignant et tissant que les femmes gagnent en influence et en considération. A l’apogée de leur art, les femmes ayant fait la preuve répétée de leur habilité et de leur force spirituelle ont le privilège de tisser les décors à la fois les plus puissants et les plus dangereux, ceux qui ornent les pua et notamment les pua sungkit. Ici, le motif central des douze naga ou dragons, splendeur de symétrie, allié aux deux frises de leku sawa (« Chemin du Python ») évoque symboliquement la pratique de la chasse aux têtes et inspirent les hommes à montrer la même férocité que les esprits cousus dans l’étoffe. 


De tous les pua, les pua sungkit sont sans doute les plus rares. Du verbe sungkit « soulever », ils se distinguent par la présence d’une trame supplémentaire blanche, généralement laissée non teinte, accompagnée de fils de trame rendus bleu saillant par le recours à une teinture à l’indigo. Dans la région des Saribas, le nom rituel de ces couvertures Lebur Api ou « Chaleur Blanche » est non seulement une référence claire à leur structure caractéristique mais également à leur aptitude surnaturelle à détruire les énergies négatives. Tissés uniquement par les femmes ayant démontré une grande maturité spirituelle, les pua sungkit occupent le rôle central dans le rite très précis du Gawai Enchaboh Arong qui réunit le monde des femmes et celui des hommes pour assurer l’équilibre cosmologique et la stabilité de la vie de la communauté.


Intervenant au retour de la chasse aux têtes, cette cérémonie représente un rite de passage d’une importance cruciale pour les jeunes guerriers. Passant des mains du novice au Lebur Api tenu par une femme au talent de tisserande reconnu, la tête trophée est bercée et promenée dans le village comme un enfant, au rythme des cris de joie ou des chants, jusqu’à ce que la force spirituelle de la couverture couplée au pouvoir magique des chants des femmes lui ôte toute énergie malveillante et la métamorphose en objet révéré de pouvoir et de prospérité.


Allant de pair avec l’abandon progressif, depuis le XXe siècle, de la pratique de la chasse aux têtes et donc du Gawai Enchaboh Arong, la disparition des Lebur Api ajoute à leur rareté. Si la technique du sungkit reste utilisée dans le tissage moderne, la dimension cérémonielle en est désormais presque totalement exclue. Parmi les derniers exemplaires connus ayant très probablement servi à recueillir des têtes trophées, on compte les deux pua sungkit du Dallas Museum of Art, de l’ancienne collection Steven G. Alpert, orné, pour l’un, d’un semblable motif de douze dragons entrelacés.