Livres et Manuscrits

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View full screen - View 1 of Lot 102. Théâtre d'amour. 4 vol., mar. citron. Rare manuscrit autographe érotique.

De la bibliothèque Jacques Lacan

[Erotica] — Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales

Théâtre d'amour. 4 vol., mar. citron. Rare manuscrit autographe érotique

Lot Closed

December 15, 03:11 PM GMT

Estimate

3,000 - 5,000 EUR

Lot Details

Description

De la bibliothèque Jacques Lacan

[Erotica] — Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales


Théâtre d’amour, composé de pièces grecques, Assyriennes, Romaines et françaises. A Amathonthe, l’an de l’organisation de notre planète 40780.

Manuscrit autographe, [fin du XVIIIe siècle].


4 volumes in-8 (206 x 140 mm). Maroquin citron, roulette dorée en encadrement, dos lisse orné, pièce de titre en maroquin bleu, tranches dorées (Reliure de la fin du XVIIIe siècle). Encre noire ; les didascalies du volume III sont à l'encre rouge ; pagination.

Coins légèrement émoussés ; papier un peu bruni, surtout dans le t. III.


Un "trésor d'une insigne rareté pour l'histoire secrète du dix-huitième siècle" (Capon et Yve-Plessis).

"la pornographie la plus basse et la plus révoltante" (Maurice Lever).


Précieux témoignage d’une catégorie particulière du théâtre de société : le théâtre pornographique. Jouées pour un public évidemment restreint et choisi, les pièces pornographiques du XVIIIe siècle ont rarement survécu et l’existence de leurs représentations, privées, a laissé peu de traces. Ce recueil comporte 8 comédies (Junon et Ganymède, La Vierge de Babylone, César et les deux Vestales, Anacréon, Héloyse et Abailard, Ninon et La Châtre, Minette et Finette, ou Les Épreuves d’amour d’une troisième Héloyse, Le jugement de Pâris ou les trois dards), un dialogue (Dialogue en chant sur l’air de Mirza avec une pantomime voluptueuse en seize couplets), un récit en prose (Les trois jouissances), un monologue (Monologue de volupté) ; des préfaces et postfaces expliquent les intentions de l’auteur, ses inspirations, les circonstances des représentations ou même les réticences de l’auteur (ainsi à propos de Junon et Ganymède : "je combattis six mois l’enchanteur qui m’avait donné ce sujet, avant de me résoudre à le traiter"). De manière métaphorique, les didascalies explicitent les postures des personnages ("quand le dard est parfaitement entré dans la grotte de Vénus, Junon pour précipiter les secousses, frappe avec une vigueur graduée son amant", I, p. 41 ; "elle dirige avec adresse la pointe du dard sur les lèvres qu'elle entrouve [...] le dard devient de granit [...] enfin le dard disparaît tout entier : Pâris qui craint un denouement fait un mouvement pour se retirer", III, p. 92-93).

Delisle affirme que cinq de ces pièces furent jouées, parfois devant un public très restreint, comme en atteste par exemple ce commentaire sur Minette et Finette : "Ces scènes indécentes dont je suis l’historien, n’ont été jouées qu’en secret par trois personnages qui y tenaient un rôle ; mais elles ont été jouées" (III, p. 123).


Que la trame de l’histoire soit mythologique (Junon et Ganymède ; Le Jugement de Pâris), inspirée de l’histoire antique (César et les deux Vestales) ou moderne (Héloyse et Abailard ; Minette et Finette), ces pièces développent souvent un même schéma narratif : un homme adulte et puissant soumet une jeune fille — à moins que ce ne soit l’inverse : Junon séduit Ganymède. Si les actes sexuels sont principalement hétérosexuels, avec quelques passages lesbiens, les rôles sont parfois inversés : Junon joue l’homme, Ganymède la femme ; les pratiques sexuelles mentionnent sodomie, flagellation ou utilisation de godemichés.


Une commande princière. Polygraphe d’abord connu pour son De la Philosophie de la Nature (1770), Delisle de Sales (1741-1816) explique dans la préface de ce manuscrit comment, à la demande d’un prince étranger, qui donnait dans un "théâtre secret" des représentations de pièces pornographiques, il accepta de lui écrire des pièces érotiques. Ce commanditaire n’est autre que le prince d’Hénin (1744-1794), amant de l’actrice Sophie Arnould vers 1774-1779. "Voyant le penchant déterminé de sa belle pour les propos galants, M. d’Hénin avait imaginé de corser les soupers qu’elle donnait et qu’il payait par des spectacles dont la maîtresse de maison interprêtait [sic] le principal rôle" (G. Capon et R. Yve-Plessis, cité par St. Massé, p. 132). Pour le prince, qu’il avait rencontré vers 1774, Delisle de Sales explique qu'il consentit "à [s]e livrer à un genre de travail qui répugnait à [s]es principes" à une condition : que ses manuscrits lui fussent rendus après chaque représentation, sans qu’ils ne soient jamais recopiés par aucune autre main, pour que son "secret péri[sse] avec le prince" (p. 4-6). Au moins quatre des pièces de ce recueil furent jouées par la société que présidait Sophie Arnould, pour le plaisir du prince d’Hénin.


Après la mort du prince (1794), l’auteur décide de les mettre en forme et de les réunir dans ces quatre volumes, non sans être "tenté de livrer aux flammes" son œuvre (I, p. 6). De son écriture ronde, il met alors ses textes au net, les fait précéder d’une page de titre avec une adresse fantaisiste dans la tradition des livres licencieux (Amathonthe, l’an de l’organisation de notre planète 40780) et leur adjoint préfaces et postfaces. L’auteur en profite alors pour modifier son texte, donnant parfois un portrait peu flatteur du commanditaire, dépeint en amant trompé. La reliure en maroquin citron de la fin du XVIIIe siècle qui revêt ces 4 volumes corrobore cette datation. On connaît une seconde copie du Théâtre d’amour, plus tardive : copiée vers 1812-1816 par l’auteur à la fin de sa vie. Elle est conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal (Fonds Douay, un volume en maroquin rouge).


De la collection Alfred Bégis. Le manuscrit a appartenu à l’avocat et historien de la Révolution Alfred Bégis (1820-1904), bibliophile qui possédait une importante collection de livres érotiques de la fin du XVIIIe siècle, dont une grande partie fut confisquée lors d’une perquisition en 1866 (voir : L'Enfer de la Bibliothèque nationale. Revendications par M. Alfred Bégis de livres saisis à son domicile et déposés à la Bibliothèque nationale en 1866, Paris, Conquet & Carteret, Paris 1899). En 1910, le catalogue de sa bibliothèque décrit ainsi le présent manuscrit, avec une erreur sur la couleur de la reliure : "Quatre volumes de maroquin rouge [citron], écrits sans ratures en belle ronde, avec, ça et là, dans les marges, des corrections modernes au crayon. C’est très probablement l’exemplaire de l’auteur et nous ne croyons point qu’il en existe d’autre". Les annotations modernes dont parle ce catalogue sont probablement de la main de Gaston Capon qui consulta le manuscrit chez Alfred Bégis quand, avec Yve-Plessis, il travailla à leur Théâtres clandestin (1905), ainsi qu’en atteste une annotation manuscrite de Capon en tête du manuscrit : "Ce manuscrit est bien celui que j’ai compulsé chez M. Alfred Bégis et que j’ai décrit dans les Théâtres clandestins en 1905. Je ne crois pas qu’il en existe aucune copie. Gaston Capon". (Ces informations réfutent les hypothèses de Th. Wynn qui, dans son édition récente du Théâtre d’amour, estime que le manuscrit tardif de l’Arsenal est celui que posséda Bégis, et que le présent manuscrit en quatre volumes en maroquin citron et celui de l’Arsenal en un seul volume de maroquin rouge ne sont qu’un seul et même manuscrit : "le manuscrit de Bégis et celui de l'Arsenal ne sont qu'un", p. 45).


Cet important manuscrit érotique a appartenu à Jacques Lacan, amateur du genre et qui possédait notamment le sulfureux tableau L’Origine du monde de Courbet (voir lot 111).


Collation :

Tome I. [P. 1] : titre ; p. 3-8 : Préface ; p. 9-42 : Junon et Ganymède, comédie érotique en un Acte ; p. 43-76 : La vierge de Babylone, comédie érotique en un acte ; p. 77-101 : César et les deux Vestales, pièce érotique en cinq scènes ; p. 103-116 : Anacréon, pièce érotique en une scène ; p. [117 :] Table. 

Tome II. P. 5-51 : Héloyse et Abailard, comédie érotique en un acte ; p. 53-84 : Ninon et La Châtre, scène érotique ; p. 85-122 : Minette et Finette, ou Les épreuves d’amour d’une troisième Héloyse, pièce érotique en six scènes ; p. 123-124 : Postface de Minette et Finette et Table.

Tome III. P. [1]-116 : Le Jugement de Pâris ou les trois dards.

Tome IV. P. 5-33 : Dialogue en chant sur l’air de Mirza avec une pantomime voluptueuse en seize couplets. À Paphos, l’an 40 000 du règne de l’Amour ; [p. 34-36 vierges] ; p. 37-88 : Les trois jouissances ; p. [91-102, paginées par erreur 41-52] : Monologue de volupté ; p. [105] : portrait gravé de Delisle de Sales, contrecollé ; la fin du volume, non paginée, est restée vierge.


Provenance : Jean-Baptiste-Claude Delisle de Sales (exemplaire de l’auteur). — Alfred Bégis (Catalogue de la bibliothèque de M. Alfred Bégis, Paris, Techener, III, 1910, p. 36). — Jacques Lacan, puis par descendance.


Référence : Delisle de Sales, Théâtre d’amour, éd. Thomas Wynn, Londres, Modern Humanities Research Association, 2011 (première édition complète de l'œuvre, d'après le manuscrit de l'Arsenal, que l'éditeur affirme être le seul existant). — St. Massé, Les saturnales des Lumières, théâtre érotique clandestin dans la France du XVIIIe siècle, Thèse présentée à l’Université du Québec, 2008 [en ligne en novembre 2020].