Livres et Manuscrits

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View full screen - View 1 of Lot 19. TALLEMANT DES RÉAUX, Gédéon. [Vaudeville]. Manuscrit inconnu, en partie autographe, de pièces en vers.

TALLEMANT DES RÉAUX, Gédéon. [Vaudeville]. Manuscrit inconnu, en partie autographe, de pièces en vers

Lot Closed

June 30, 12:19 PM GMT

Estimate

30,000 - 40,000 EUR

Lot Details

Description

TALLEMANT DES RÉAUX, GÉDÉON


[VAUDEVILLES]. MANUSCRIT INCONNU, EN PARTIE AUTOGRAPHE, DE PIÈCES EN VERS ANNOTÉES.


Manuscrit de 757 pages (paginé de la p. [85]-842) en un volume grand in-4 (320 x 200 mm). Basane marbrée, dos à nerfs orné, pièce de titre portant “Vaudevi[lle]” (Reliure du XVIIIe siècle).

Reliure en mauvais état (plats détachés, coins émoussés épidermures, etc.).


Très rare manuscrit de l’un des mémorialistes les plus fameux du XVIIe siècle.


En partie autographe, ce manuscrit est jusqu’ici totalement inconnu des bibliographes : il regroupe des chansons copiées et annotées par lui, notamment sur la Fronde ainsi que sur le règne de Louis XIV ; il s’agit bien de "vaudevilles", comme l’indique le titre sur la reliure, le mot signifiant à l’époque une chanson comprenant couplets et refrains rimés sur un air connu, originellement en lien avec l’actualité.


Issu d’un milieu de riches financiers, l’auteur des Historiettes refusa de s’associer aux affaires paternelles : aidé par sa fortune, il mena une existence agréable, fréquenta les académiciens et les salons, comme ceux de Madeleine de Scudéry ou Mme de La Suze. Le mémorialiste y accumula le matériau de ses futures Historiettes, dont il entreprit la rédaction en 1657. Fin observateur, il dresse un portrait sans concession, avec une plume vive et sans précaution oratoire, du monde qu’il a personnellement connu : poètes et précieux des salons, Fronde, le cardinal de Richelieu et son entourage. Son plus grand talent est de donner vie aux personnages qu’il décrit : véritable conteur, Tallemant des Réaux fait vivre son mode avec un style vif et piquant qui rendent ses Historiettes incomparables. À sa mort en 1692, aucun de ses manuscrits n’avait encore été publié ; ses Historiettes restèrent inédites jusqu’à leur publication vers 1834. Marc Fumaroli les qualifiait de "chef-d’œuvre littéraire" (Le Poète et le Prince, 1997, p. 138).


Les manuscrits de Gédéon Tallemant des Réaux (1619-1692) ont une valeur importante pour leur place très originale dans la littérature du XVIIe siècle français, et ses rapports avec la société. L’auteur n’a jamais fait imprimer d’œuvre en son nom propre : son activité est exclusivement celle du manuscrit, conformément à la pratique de l’époque qui faisait circuler bien des écrits de cette manière. Les Historiettes, éditées en Pléiade, sont le témoignage le plus connu de la pratique si singulière de Tallemant : il s’y fait à la fois auteur, compilateur et annotateur. Auteur, parce qu’il met en forme une sorte d’écriture mémorialiste dont il s’efface presque entièrement, pour laisser toute la place à un regard acéré sur la société de son temps ; compilateur, parce qu’il y transcrit quelques billets ou poèmes de ses contemporains ; et annotateur, parce qu’il annote jusqu’à la fin de sa vie ses propres lignes, ajoutant ici ou là des informations factuelles sur les individus mis en scène.


Ce sont ces deux dernières activités — compilation et annotation — que l’on retrouve dans ce manuscrit, jusqu’ici totalement inconnu.


Vaudevilles et Historiettes. On retrouve presque textuellement dans le présent manuscrit la matière de ces anecdotes qui font la saveur des Historiettes de Tallemant : "Bellebat avoit une affaire avec Mad. De Moussy s’estant brouillé avec elle il sacrifia ses lettres a sa femme qui en apporta plein son tablier a M de Mousss" (p. 239, Historiettes, t. II, p. 388-390) ; "Le cardinal Mazarin estant à la promenade avec la Reine qui remontoit en carrosse. Il sauta par dessus la portiere" (p. 239).


Trois parties composent ce manuscrit. Le texte des feuillets évoque plusieurs époques différentes, mais les feuillets sont matériellement indépendants et ont été reliés après coup :


A/ Une section homogène du point de vue de la main et des thématiques peut être attribuée à Tallemant, de la page 85 (première page du volume) à la p. 261. Il y est majoritairement question de la Fronde (1648-1653), avec des incursions plus tôt (le siège de Gravelines de 1644, évoqué p. 137 et 181) ou plus tard (le procès Fouquet de 1661, p. 219, ou l’enlèvement de Mlle de Vaubrun par M. de Béthune, p. 257, tous événements bien connus de l’époque et relatés, notamment, par Mme de Sévigné). Cette homogénéité plaide pour une attribution à Tallemant des Réaux de ces 176 pages manuscrites.

Dans cette première partie du volume, Tallemant copie ou transcrit de mémoire des chansons qui circulaient, notamment à l’époque de la Fronde, et s’attache à les attribuer ou à en annoter le contenu (identification des individus concernés, anecdotes qui élucident telle ou telle allusion, etc.). Il recueille aussi des chansons à boire par exemple (p. 187), conformément à la pratique du vaudeville. Ce sont ces deux opérations qu’il a le plus pratiquées dans les quatre autres volumes manuscrits qu’on lui connaissait jusqu’à ce jour (Ms 19142 et 19145 de la BNF ; et MS 672 et 673 de la BM de la Rochelle). Chose unique, de la musique notée est également présente en tête de la plupart des chansons.


B/ Ensuite, p. 265-400 : si les notes marginales sont vraisemblablement de Tallemant, une autre main est identifiable pour le corps du texte. Matériellement, une partie de cet ensemble de pages se distingue (p. 269-322) par un trou au niveau de la reliure, formant ainsi une certaine unité.


C/ De la page 401 à la fin du volume (p. 842), une main assez semblable à celle du début du volume fait retour. Certaines notes sont clairement ultérieures, puisqu’elles se réfèrent au Nouveau siècle de Louis XIV de Sautreau de Marsy, daté de 1793 : elles comparent le manuscrit à ce qu’on trouve dans cet imprimé du XVIIIe siècle. Certaines de ces notes ultérieures évoquent le crédit de Mme de Maintenon (plutôt à partir de 1685), p. 304 sq., puis la prise de Philippsburg (1688), p. 437 ou encore le siège de Gibraltar signalé p. 306 et datant de 1704-1705. Se voit également mentionnée une loterie royale de 1706-1707 (p. 805) ainsi qu’une défaite du duc de Savoie datable de 1707 (p. 309). Le dernier feuillet (p. 841) fait mention du numéro du Mercure Galant de février 1696.


Ces chansons d’actualité couvrent donc une longue période de temps, depuis la Fronde jusqu’au début du XVIIIe siècle, mais comme c’est le cas dans les autres recueils manuscrits de Tallemant de Réaux, l’ordre chronologique est respecté dans la mise en ordre du recueil. Notons qu’aucune de ces dates postérieures à 1692 (mort de Tallemant) ne se trouve dans la section relative à la Fronde représentée par les 176 premières pages.


Comparaison avec les autres manuscrits. Bien des points communs apparaissent entre ce manuscrit inédit et les autres manuscrits connus de Tallemant : la chanson sur "Monsieur de Parabelle" (p. 93-98) est également citée dans les Historiettes (Pléiade, t. II, p. 225-227) et se lit aussi dans les Mémoires de Retz ; "Je suis la belle Tourangelle" (p. 99) se trouve dans les Historiettes (t. II, p. 134), mais est bien plus développée, par plusieurs couplets, ici. Des chansons célèbres de la Fronde sont consignées par Tallemant, comme, p. 119, la chanson de Blot : "Elle est revenue, Dame Anne, elle est revenue" (copiée aussi dans le Ms 673, f° 197-200). "Or Ecoutés peuple de France" (p. 103) se trouve dans le Ms 673 (f° 51v-52r). "Quand vous seriez comme le Prince", p. 117 se retrouve dans le Ms 672, f° 420), etc.


On retrouve par ailleurs plusieurs des chansons copiées ici dans le Chansonnier de Maurepas (p. 90, 91, 92, par exemple), ou dans les recueils plus tardifs du XVIIIe siècle, Nouveau siècle de Louis XIV de Sautreau de Marsy (qui reprend parfois textuellement les notes marginales de Tallemant, comme celle p. 239). Enfin, il arrive que les notes marginales de Tallemant aient été reproduites dans d’autres manuscrits, reprenant aussi les couplets conservés ici, comme dans le Recueil de chansons historiques et badines (Mazarine, Ms 2169-2170). On peut donc penser que ce manuscrit ou du moins certaines de ses pages ont circulé.


L’un des manuscrits perdus de Tallemant. Il se pourrait qu’on ait ici affaire (pour les 176 premières pages en tout cas) à une partie d’un des manuscrits connus mais jusqu’ici considérés comme perdus de Tallemant des Réaux. En effet, un des volumes connus de Tallemant (le Ms 673 de La Rochelle) contient quatre tables des matières, dont deux seulement ont pu être assignées à des recueils manuscrits connus. Demeurent non identifiés ce que Tallemant appelle le "Gros recueil" et le "Grand portefeuille". L’hypothèse a été émise que les manuscrits 672 et 673 pourraient être composés en partie de feuillets venant du "Grand portefeuille", dans la mesure où ils contiennent des pièces mentionnées par Tallemant des Réaux dans la table des matières, notamment une section intitulée “Fronderies, sales et autres”. Or, le présent manuscrit contient nombre de chansons relatives à la Fronde, qui pourraient correspondre au titre “Fronderie”, et à ce titre dériver du “Grand Portefeuille” qui n’a jamais été identifié dans son intégrité.


Filigranes : ils sont identiques tout au long du volume (CHABEVL/Monogramme : couronne fermée / P. cœur, C en cartouche, grappe). Selon Raymond Gaudriault, Filigranes et autres caractéristiques des papiers fabriqués en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, CNRS, J. Telford, 1995, p. 305, la marque de Chabeul pourrait désigner le moulin de Valence actif aux dates suivantes : 1682, 1697, 1699, 1710, 1720, 1739. On ne distingue pas de cahiers, plaidant pour l’hypothèse d’un portefeuille. Des pliures se repèrent, qui plaident pour l’autonomie des feuillets. La reliure est donc postérieure à la date de copie du texte, comme le prouve également la rognure de certains bords. La pagination, continue et homogène, est contemporaine de la reliure (comme l’attestent des renvois internes).


Les manuscrits de Tallemant des Réaux partiellement autographes sont rares : on en connaît cinq, dont deux à la Bibliothèque nationale de France (Ms. 19142, dit “Recueil marbré” retrouvé dans les papiers de Tallemant : “Recueil de poésies de divers auteurs du XVIIe siècle” ; 211 feuillets, 290 x 197 mm ; Ms. 19145, dit “Recueil de grand papier” retrouvé dans les papiers de Tallemant des Réaux : “Recueil de pièces en vers d’un grand nombre d’auteurs de la seconde moitié du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècle” : papier II et 188 feuillets. 327 x 222 mm), un à la bibliothèque du château de Chantilly (Ms. 926, manuscrit autographe des Historiettes de Tallemant des Réaux, 1 vol. de 805 pages), et deux à la Bibliothèque municipale de La Rochelle (Ms. 672 : “Recueil de pièces en prose ou en vers, œuvres de Gédéon Tallemant des Réaux ou réunies par lui”, 279 feuillets de divers formats dans un cahier ; Ms. 673 : “Recueil de pièces, œuvres de Gédéon Tallemant des Réaux ou écrites et recueillies par lui”, 275 feuillets de divers formats dans un cahier ; éd. Vincenette Maigne, Paris, Klincksieck, coll. ”Bibliothèque de l’âge classique”, 1994).

En dehors de ces rares recueils, qui sont presque entièrement de la main de Tallemant ou annotés par lui, on connaît aussi quelques autres pièces isolées (voir Emma Gilby).


Nous remercions Mme Karine Abiven et M. Damien Fortin, maîtres de conférences à Sorbonne Université et éditeurs de l’auteur, pour les informations qu’ils ont bien voulu nous donner sur ce manuscrit et pour nous avoir confirmé son côté autographe.


Référence : Karine Abiven et Damien Fortin (éd.), dans Muses naissantes. Ecrits de jeunesse et sociabilité lettrée (1645-1655), PU de Reims, EPURE, 2018 (édition d’une partie du Ms 19142 BNF). -- Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. Antoine Adam, Pléiade, 1960 et 1961, 2 vol. -- Emma Gilby, "Les textes qui nous restent de Tallemant des Réaux : mise au point bibliographique", XVIIe siècle, 2006, n° 232, p. 513 521.