Collection Jean-Claude Bellier

Collection Jean-Claude Bellier

Jean-Claude Bellier a eu deux figures tutélaires d’exception : Alphonse, le père géniteur bien sûr, qui a su régner avec tout l'éventail de l’audace sur les enchères quand Paris était capitale des Arts et, bien que leur aîné à tous deux, Edouard Vuillard, l’artiste magicien qui mettait l’exercice de la sensibilité plus haut que le déploiement de l’imagination, ami du père, et parrain du fils.

Né en 1886, dans la ville portuaire de Saint-Nazaire, son père chapelier, Alphonse est monté muni de précoces diplômes de droit à Paris, quand ce Graal savait tenir ses promesses aux esprits vifs, épris d’entreprendre. Son père le croyait déjà notaire. C'était sans compter ses dispositions artistes - brillant pianiste – car doté d’un optimisme, un charme et une joie sans failles, une curiosité et une appétence pour l’aventure et toutes les rencontres, il allait goulûment dévorer la métropole. Après des années à respirer l’air des plus piquants esprits de l’époque, qui étaient autant d’amis, puis le temps nécessaire à emprunter l'argent qu'il n'avait pas; c’est en 1920 qu’il s'établit officiellement, après l’achat d’une modeste étude de commissaire-priseur qui portera son nom, au 2 place Boëldieu.

Anonyme, Jean-Claude Bellier in his gallery, 1980s

Le marché de l’art était en plein essor, les places étaient chères et bien occupées. Les galeries tenaient le haut du pavé, et aux enchères l'activité était dédiée aux siècles passés, avec une compétition féroce pour le XVIIIème siècle. Mais l’art a pour vertu de ne pas être un fait monarchique. La liberté, la novation en ont écrit l’histoire. Et être l’intime d’un Pablo Casals, d’un Felix Fénéon, d’un Paul Eluard, d’un André Breton ou encore d’un Charles Ratton mais aussi d'une bourgeoisie plus spirituelle, que « rangée », éprise du « nouveau » sous toutes ses formes ont guidé Alphonse Bellier pour faire « révolution » dans un monde qui ne demandait que ça. « The right man, at the right moment at the right place » pour paraphraser la formule chère aux Américains. Et rapidement, après quelques débuts, son crédo d’offrir aux enchères les artistes « contemporains », encore raillés, il y eut pendant près de quatre décennies pléthore de ventes historiques sous le marteau d’Alphonse Bellier. Citons celles de John Quinn, André Breton, Paul Eluard, Jules Strauss, Max Silberberg, la collection « Cahiers d’Art », G. De Miré, Georges Bernheim, le Duc de Trévise, Félix Fénéon… puis Gabriel Cognacq, jusqu'à la vente Regnault délocalisée à Amsterdam et télédiffusée avec la première apparition remarquée d’un enchérisseur : Ernst Beyeler.

Mariane Breslauer, Alphonse Bellier leading an auction in 1932

Au marteau son don pour la performance sont restés inégalés et ont contribué à populariser ce qui était sa conviction. Il était d’une rectitude d'un autre temps, privilégiant toujours les intérêts de ses clients aux siens tel que cela est relaté dans les Mémoires du collectionneur Pierre Lévy, adepte du grand-père, dont le Musée de Troyes se félicite tous les jours du don intégral de sa splendide collection. Observant pour sa descendance le même souci de bien faire qui avait gouverné celui de sa carrière il régla sa succession de son vivant. Jean-Claude Bellier, né en 1930, était le troisième enfant né d’un mariage en seconde noce avec Renée Deville, artiste lyrique, le couple restant en ménage jusqu'au décès de Renée en 1972. C'était une fort belle collection constituée de Rodin, Impressionnistes et leurs « héritiers ». Frank Lloyd, fondateur de la célèbre Marborough Gallery en dispersa la quasi-intégralité pour les deux aînés. Jean-Claude Bellier choisit de prolonger l'activité mais après avoir l’affront à son père de ne pas adhérer à la l’opportunité d’acheter Park Bennett aux USA, il ne s'imaginât pas officier ministériel. Il allait devenir marchand, promoteur d'artistes ainsi qu’expert. Et même le plus jeune auprès des trois juridictions du pays. Après deux ans à Londres chez Marlborough Gallery, il organisa à la Galerie Charpentier aux côtés de Raymond Nacenta les expositions sur la seconde Ecole de Paris dans le contexte des débats sur l'abstraction émergeante qui enflammaient les esprits. En 1958, Alphonse prit officiellement sa retraite, et il vint quotidiennement à la galerie de son fils inaugurée en 1960 par une superbe exposition Bonnard jusqu'à atteindre un grand âge, pour décéder le 1er novembre 1980. Aujourd'hui tous deux reposent en paix au cimetière de La Baule Escoublac.

Edouard Vuillard, La famille Bellier ou La Sainte Famille, 1934

Jean-Claude Bellier avait un oeil affuté sur l’art moderne avant et après la révolution impressionniste. De plus il avait la clairvoyance de s’adosser sur une vaste libraire ainsi que celle de partager avec d’autres sachants les doutes et intuitions qui pouvaient être les siens. Un beau témoignage scellé sur une amitié de deux générations fut la découverte que des fleurs fanées chinées par une dame en brocante était un émouvant et surtout authentique Van Gogh de l’automne suivant son arrivée à Paris, déjà absorbé par sa boulimie pour « tout le nouveau » qui s’y pouvait voir et devenir en quatre ans l’un des plus grands génies de l’art moderne. Sur le plan humain, Jean-Claude Bellier était une incarnation des Trente Glorieuses. Sous l'impulsion d’une croissance constante le chômage n’existait pas. Et tout aussi nanti par sa mère qui avait su prospérer, il fut surtout guidé dans ses activités professionnelles par ses désirs et sa curiosité, noble esprit anarchiste éclairé après des années chez les Jésuites où il rencontra Philippe Noiret, son ami jusqu’à la fin. Il faut mettre à son actif l'extraordinaire collection d’art tribal qu’il commença d’assembler dès les années 1960. S’il serait présomptueux de la qualifier comme la plus importante de son temps, elle était assurément l’une des trois plus prestigieuses au monde. C’est parmi ces objets bien impressionnants que ces enfants ont grandi. Ce n’est peut-être pas par les arts visuels qu’il a le mieux nourri sa progéniture mais par une farouche disposition à en apprécier les aspects les plus divers. Il fit découvrir toutes les musiques qu’il avait l’audace de porter au plus haut, dont Fat’s Waller et Charles Trénet, ainsi que sa fascination pour le cinéma, les Westerns héroïques de John Ford, Fred Astaire, les premiers films de Tarzan. Il ouvrit les trésors de la bande-dessinée qui n’était pas encore 9° art. Et à l’image des Grecs Anciens, il nous initia aux vertus de tous les sports. Ainsi le réveil nocturne pour assister au retour de l'icône Mohamed Ali face à « The beast » Joe Frazier. Et quel songe pour l'éternité que cet autre réveil nocturne de juillet 1969 pour voir sur un écran tremblant la plus belle et utopique page de l'histoire humaine. A La Baule on révérait les Bellier auquel Alphonse, immuable en complet cravate, était « maître » pour tous et pour toujours. Quantité de peintres et amis entrainés par toutes les festivités qui sans cesse s’improvisaient, et parmi les visiteurs un Charles Ratton laissait sa stature durablement en mémoire. Puis le souvenir émouvant de Jacky Kerchache avec ses parents venant chaque été rejoindre cette communauté pour laquelle la joie de vivre était une philosophie. Pour chacun, et ses enfants, notre père était un maître de cérémonie avant l’heure et encore inégalé.

Luc Bellier, Alphonse Bellier and his wife, 1960s

About the Author

More from Sotheby's

Suivez l’actualité, les vidéos et les événements de Sotheby's

Recevez le meilleur de Sotheby's par email

En vous abonnant, vous acceptez la Politique de confidentialité de Sotheby's. Vous pouvez vous désabonner des e-mails de Sotheby's à tout moment en cliquant sur le lien 'Gérer vos abonnements' dans l'un de vos e-mails.

arrow Created with Sketch. Back To Top