Précieuses reliures du XVIe au XXe siècle de la collection d’un couple de bibliophiles

Précieuses reliures du XVIe au XXe siècle de la collection d’un couple de bibliophiles

View full screen - View 1 of Lot 87. Salammbô. 1863. Édition originale, avec envoi à Amédée Pommier. Reliure de David..

Flaubert, Gustave

Salammbô. 1863. Édition originale, avec envoi à Amédée Pommier. Reliure de David.

Lot Closed

November 17, 02:30 PM GMT

Estimate

2,000 - 3,000 EUR

Lot Details

Description

Flaubert, Gustave


Salammbô.

Paris, Michel Lévy Frères, 1863 [1862].


In-8 (230 x 145 mm). Demi-maroquin rouge à coins, dos à nerfs, couverture et dos (A. David).

Envoi passé, repassé à l’encre par une autre main. Couverture conservée un peu défraîchie.


Envoi de Flaubert à un poète qu'il admirait, Amédée Pommier.


Édition originale. Exemplaire sur papier ordinaire, du premier tirage, avec la faute à la p. 5 ("effraya" au lieu de "effrayèrent").


Envoi autographe signé, à l'encre, sur le faux-titre :

"à Mr Amédée Pommier

hommage de la plus haute

considération littéraire

Gus Flaubert".


Ami d’enfance de Sainte-Beuve, l'homme de lettres Amédée Pommier (1804-1877), collaborateur influent de la Revue des Deux Mondes et de L'Artiste, est l'un des grands versificateurs de son époque. Celui qui s'était surnommé "le métromane" ayant toujours combattu pour la liberté de la "Forme" et contre toutes les Académies, était très admiré de Flaubert, qui lui adresse, en 1857, un exemplaire en grand papier de Madame Bovary, "hommage d'un inconnu qui l'admire" (Sothebys, 16 juin 2004, n° 89), tribut à un maître des jeunes années. Pommier lui adresse alors une lettre qui avait "chatouillé de [s]on cœur l'orgueilleuse faiblesse" (Correspondance, Pléiade, t. III, p. 110).

En 1860, c'est au tour du poète d'envoyer ses Colifichets à Flaubert, auquel une des pièces est dédiée : "Vos Colifichets sont des joyaux. Je me suis rué dessus. J'ai lu le volume tout d'une haleine. Puis je l'ai relu. Il reste sur ma table pour longtemps encore. [...] Je vous aime encore parce que vous n'appartenez à aucune boutique, à aucune église, parce qu'il n'est question dans votre volume ni du Problème Social, ni des Bases, etc." (idem).

Fin novembre 1862, Pommier reçoit cet exemplaire de Salammbô, qui lui inspire aussitôt une très longue lettre élogieuse, dans laquelle il compare Madame Bovary et Salammbô : "L'ouvrage est à peine en vente que je le reçois, envoyé par vous. [...] Je l'ai donc lu et relu déjà, ce livre prodigieux. Certes, j'attendais beaucoup de l'auteur de Madame Bovary : mais, chose rare, l'œuvre a dépassé toutes les attentes de l'imagination. Dès le début et de plus en plus, à mesure que j'avançais dans cette étonnante épopée, j'étais pris du vertige des abîmes. Il me semblait que je faisais un rêve, mais, un rêve splendide. [...] comment le même homme a-t-il pu raconter la vie de Mme Bovary avec une vérité si actuelle et si contemporaine, et, rétrogradant tout-à-coup de plus de deux mille ans, nous transporter au sein de la cité carthaginoise [...] ? Jamais deux œuvres plus opposées, plus distantes, plus antipodales, ne sortirent de la même plume. Et cependant, en y regardant bien, l'écrivain de la première se reconnaît dans la seconde. On y retrouve au même degré l'énergie, le goût, l'observation fine, le talent de peindre, la netteté du style et de l'image, la précision du détail, la perfection de cette prose travaillée comme les meilleurs vers. Seulement, dans Salammbô, la richesse des descriptions et les opulences du coloris dépassent tout ce qu'on a vu jusqu'ici. On en sort ébloui, comme si l'on avait regardé le soleil. Merci, donc, merci mille fois, grand poète, de l'inexprimable plaisir que vous m'avez donné et que vous me donnerez encore. J'étais digne de votre présent, car j'ai conscience que j'en apprécie toute la valeur." (voir ci-dessous pour la retranscription complète).

En 1866, Flaubert reçoit le Paris, poème humoristique de son admirateur, il écrit à celui qu'il qualifie cette fois de son "confrère : "S'il fallait vous dire tout ce qui m'a charmé dans votre volume [...] je ferais un livre aussi gros que le vôtre. [...] Je suis accoutumé depuis longtemps à vos tours de force. Mais celui-là me semble dépasser les autres. On dirait du Rabelais versifié par Saint-Amant !" (III, p. 561).


Note.

Nous donnons ici le texte de l'élogieuse lettre d'Amédée Pommier à Flaubert (Paris, 11 décembre 1862) à propos de cet exemplaire de Madame Bovary :

"Nous savions depuis longtemps l'œuvre sur le chantier. – Car, dans tout ceci, Monsieur, permettez-moi de parler, non seulement en mon nom, mais au nom des miens : j'ai une femme et une fille non moins admiratrices que moi des belles choses et qui partagent tout à fait mes préoccupations. Les productions artistiques et littéraires sont les événements de notre vie : tout le reste ne vient qu'après. – Je vous disais donc que, dès longtemps, le bruit public nous avait appris que le livre s'élaborait. À dater de ce moment nous en parlions souvent, et, quand on annonça la publication prochaine, notre impatience et notre curiosité devinrent extrêmes. Je ne prévoyais pas que ce serait par vous et tout d'abord que j'assouvirais mon désir. L'ouvrage est à peine en vente que je le reçois, envoyé par vous. C'est à faire croire aux bons génies qui accomplissent vos souhaits et les préviennent.

Véritablement, on n'est pas plus aimable et plus obligeant. La proie une fois en notre possession, après mille bénédictions pour la main courtoise à laquelle nous la devions, nous nous mîmes à la dévorer à qui mieux mieux ; nous étions trois, et, ma foi, ce n'était pas commode, car chacun prétendait l'arracher aux deux autres, et celui qui la tenait la tenait bien. Heureusement, tous finirent par avoir contentement : car c'est là une divine qualité des œuvres d'art, qu'on ne les anéantit pas par la jouissance et qu'on peut se les ingurgiter cent fois, si l'on veut, sans que ceux qui viennent ensuite n'y perdent rien.

Table toujours servie au paternel foyer,

Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier.

Je l'ai donc lu et relu déjà, ce livre prodigieux. Certes, j'attendais beaucoup de l'auteur de Madame Bovary : mais, chose rare, l'œuvre a dépassé toutes les attentes de l'imagination.

Dès le début et de plus en plus, à mesure que j'avançais dans cette étonnante épopée, j'étais pris du vertige des abîmes. Il me semblait que je faisais un rêve, mais, un rêve splendide. Je me croyais transporté par un magicien au haut d'une tour immensurable, et, de là, j'apercevais je ne sais quel monde antédiluvien, ressuscité, reconstruit de toutes pièces, avec ses mœurs étranges, le fourmillement de ses multitudes, toutes les poésies de la civilisation disparue, mais devinée, retrouvée par la toute-puissante intuition du génie. Si je ne le voyais de mes yeux, si l'œuvre n'était là pour s'attester elle-même, je n'aurais jamais cru possible de féconder aussi merveilleusement un des coins les plus obscurs de l'histoire. Que de détails caractéristiques ! Quelle profusion de couleurs ! Vous avez le don d'animer vos tableaux comme une réalité que vous auriez vue et touchée ; la vie est là ; elle remue, elle écume, elle bouillonne, elle déborde. Quelle surprenante métamorphose ! et comment le même homme a-t-il pu raconter la vie de Mme Bovary avec une vérité si actuelle et si contemporaine, et, rétrogradant tout-à-coup de plus de deux mille ans, nous transporter au sein de la cité carthaginoise, et nous dérouler les péripéties de la guerre des Mercenaires, et tracer le portrait de tous les personnages qui y figurent, comme s'il avait déterré quelques manuscrits qui en contînt jusqu'aux moindres particularités ? Puissante évocation ! alliance habile de l'érudition archéologique la plus minutieuse et de la grande faculté poétique qui fait agir la créature humaine, n'importe dans quel milieu, et lui donne la passion et la vie ! Quoi de plus frappant, de plus vrai, que l'apparition du petit Annibal ? Vous n'avez eu besoin que de deux ou trois coups de pinceaux pour le dévoiler tout entier. Ce sera bien l'homme de cet enfant.

— Jamais deux œuvres plus opposées, plus distantes, plus antipodales, ne sortirent de la même plume. Et cependant, en y regardant bien, l'écrivain de la première se reconnaît dans la seconde. On y retrouve au même degré l'énergie, le goût, l'observation fine, le talent de peindre, la netteté du style et de l'image, la précision du détail, la perfection de cette prose travaillée comme les meilleurs vers. Seulement, dans Salammbô, la richesse des descriptions et les opulences du coloris dépassent tout ce qu'on a vu jusqu'ici. On en sort ébloui, comme si l'on avait regardé le soleil.

Merci, donc, merci mille fois, grand poète, de l'inexprimable plaisir que vous m'avez donné et que vous me donnerez encore. J'étais digne de votre présent, car j'ai conscience que j'en apprécie toute la valeur. — J'aimerais bien à vous voir, et, en remettant cette lettre, je vais demander à votre portier si vous avez des jours et des heures. Si, du reste, vous-même, par hasard, vous vous trouviez, un mercredi, dans nos parages, entre deux et six heures, et que vous voulussiez entrer un instant dans mon terrier, ce serait grand plaisir pour nous. On est toujours avide et curieux de connaître personnellement un homme dont on admire le talent.

Tout à vous, Monsieur.

Amédée Pommier

rue de Sèvres, 74. 11 Xbre 1862." (Lettres à Flaubert, éd. Palermo di Stefano, t. I, p. 338).

Amédée Pommier (envoi).


Sacha Guitry (25 mars 1976, lot 147).