Lot 27
  • 27

JACOB. CHRONIQUE DES TEMPS HÉROÏQUES. MANUSCRIT AUTOGRAPHE [VERS 1934-1935]. 20 F. GRAND IN-4. À PROPOS DE MONTMARTRE

Estimate
4,000 - 6,000 EUR
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Description

  • Jacob, Max
  • Chronique des Temps héroïques. Manuscrit autographe, [vers 1934-1935].
20 feuillets grand in-4 (270 x 210 mm) montés sur onglets, reliés en un volume bradel cartonnage de papiers multicolores, pièce de titre maroquin rouge. Ses souvenirs littéraires et artistiques de Montmartre. On y croise Picasso et Apollinaire, Salmon, les futuristes ainsi que les acteurs des avant-gardes du xxe siècle dont Max Jacob est témoin. À la suite du décès brutal de Paul Guillaume, le célèbre marchand, en 1934, sa veuve souhaita rapidement consacrer un livre à sa mémoire. Max Jacob a été sollicité comme préfacier à l’automne suivant. La rédaction de ce livre connu de tous comme “Le livre Paul Guillaume” occupa le poète durant presque 18 mois au cours desquels il travailla à organiser des archives et des documents, puisant dans de nombreux ouvrages de l’époque. Les trois derniers feuillets non numérotés de notre manuscrit — “Page générale des matières” et “Nomenclature des noms” — attestent de ce travail fouillé. La longue liste de noms d’artistes, peintres, poètes et écrivains, ayant servi à l’auteur lors de l’écriture, les références de pages, renvoyant à divers ouvrages de souvenirs, compulsés par Max Jacob (Warnod, Raynal, Carco, Gertrude Stein, etc.) : “Picasso — mariage pendant la guerre”, “Marie Laurencin, le cri du Grand Lama”, “Apollinaire pleure à la mort de Moréas”, “Vollard, vigoureuse et fine figure” témoignent d’un souci du détail et la projection d’un plan de l’ouvrage à venir. Ce livre ne vit cependant jamais le jour à l’exception de quelques chapitres publiés en janvier 1936 dans la revue de Jean Fraysse Les Feux de Paris. L’édition intégrale de ce livre très éloigné de la commande initiale et qui s’était transformé en une vaste fresque de l’épopée des avant-gardes sera finalement publiée en intégralité dans Chroniques des Temps héroïques aux éditions Broder en octobre 1956, truffée de trois lithographies, trois pointes sèches et vingt-quatre dessins inédits de Picasso. Le manuscrit, regroupé par un bibliophile en chapitres-albums relativement homogènes, a été dispersé, l’un d’entre eux est conservé aujourd’hui à la bibliothèque d’Orléans (“Mouvement moderne”), un autre à la Bibliothèque nationale de France “Art Nègre”. Notre manuscrit est le premier état partiel de la rédaction du recueil à venir : il correspond au premier et deuxième chapitre (dans l’édition Broder : p. 13- 33 sur 39). Cependant s’il est incomplet, dix-sept lignes (f° 22) sont inédites : on y croise Sacha Guitry et le ténor Agénor. Les variantes avec le texte édité se concentrent essentiellement sur les titres et tous les sous-titres retirés au tirage (“Le Tiers transporté — Chronique des temps héroïques” ; “La baronne (suite et fin)”…) ou déplacés à la publication (“Le Cycle du révolver/ 1ere mise au point”, titre qui ouvre le second chapitre est devenu sous-section du chapitre) quand ils n’ont pas été simplement supprimés (“Le ténor auvergnat” sous-section du chapitre II) ou transformés — “Bibliographie” pour “Biographie” (f° 22). De nombreux repentirs et renvois parsèment le texte subdivisé en paragraphes numérotés non retenus au tirage. Toutefois, Jacob a indiqué ses souhaits d’impression (“en italique”, f° 9 ; “Très important”, f° 11). Par “Temps Héroïques”, Max Jacob entendait la période allant de la Belle Époque à la Première guerre mondiale : an mil neuf cent, c’est donc toi qui es le Jugement Dernier d’un siècle d’Art, et non la guerre qui n’en est que la Trompette tardive. Il débute par les années 1900 et se limite aux arts, aux Beaux-Arts : S’il fallait peindre tout 1905, vous auriez eu les cinémas, les autos, déjà les avions, Freud ouvrant avec la clef du sexe les mystères de l’Inconscient fermés par Bergson […] Picasso et ses amis adoptaient la casquette, la ceinture de cuir et le tricot. Rapide saut dans le temps, il évoque son ami Apollinaire “blessé à la tête [qui] chantait les « obus couleurs de lune » dans Calligrammes […] Guillaume n’aimait, de toutes les musiques, que les romances de Schubert. C’est inutilement qu’on a essayé de le tromper avec de faux Schubert : il les reconnaissait”.
Jacob se remémore la présentation, par Apollinaire, de Marie Laurencin à Marinetti qui apparaît à de nombreuses reprises et sous des traits peu flatteurs. Dans le chapitre Poètes, il évoque ses amis poètes : quels humoristes nous étions en 1920 ! non ! il nous faut avec le sang de Reverdy les tripes d’Antonin Artaud en plus gai et lance des piques contre les surréalistes qui ignorent mon nom bien qu’ils connaissent assez mes œuvres […] pour pouvoir les ignorer. Un long passage est consacré à la poétesse Gisèle Prassinos, alors âgée de 14 ans, dans Surréalisme et médiums. Suivent deux chapitres très amusants consacrés à madame la baronne d’Œttingen [Roch Grey], notre temple d’avant la guerre : Tige recourbée au-dessus des poulains elle reçut une demi-douzaine mirobolante d’Apollons bruns (Marinetti n’était pas là : il distribuait, je pense, des prospectus futuristes à Haïphong) […] C’était dans le silencieux rez-de-chaussée Boulevard Raspail où, avec la concentrée Irène Lagut, Serge Ferat déjà célèbre peignait le cubisme sur verre […] L’acropole cubiste lit des vers la nuit devant d’élégantes bouteilles […] Je l’ai vue [Roch Grey] s’appliquer à la cour du savant et candide Guillaume Apollinaire. Elle avait des bas de velours bleu et une haute coiffure d’un blond roux […] Elle aimait la médecine, les pédérastes, les syphilitiques. 1936 n’aime que la santé. Max Jacob mentionne Salmon, Picasso (En ce temps-là Picasso maîtrisait son siècle en maîtrisant sa propre gourme géniale par le sacrifice de ses naturelles coquetteries), et encore Apollinaire. Après avoir répliqué à une critique de Sacha Guitry, une anecdote vécue avec Picasso, rue Ravignan, est partiellement racontée (manque la suite, la phrase en bas de page reste interrompue). Nous remercions Madame Patricia Sustrac pour l’aide précieuse qu’elle a apportée à la rédaction de cette notice.