Lot 11
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BOUSQUET. CORRESPONDANCE À FERDINAND ALQUIÉ (1928-1950). 40 LETTRES AUTOGRAPHES (155 P.) AVEC PHOTO DÉDICACÉE

Estimate
15,000 - 20,000 EUR
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Description

  • Bousquet, Joë
  • Correspondance à Ferdinand Alquié : 40 lettres autographes, 1928-1950.
En tout 155 pages in-4 et in-8, montées en un volume demi-maroquin rouge à encadrements, plats de balsa encadré d’un filet doré, pièce de titre en maroquin rouge sur le premier plat, dos lisse, titre doré, tête dorée, étui (J.-P. Miguet).Admirable correspondance à propos d’André Breton et des surréalistes, en partie inédite. Adressée au philosophe Ferdinand Alquié (1906-1982), natif de Carcassonne tout comme Bousquet, cette correspondance n’a été publiée que partiellement en 1969 (Correspondance, éd. Suzanne André, Gallimard, 1969) : parmi ces 40 lettres, 14 sont entièrement inédites, les 26 autres le sont encore en partie car, à la demande de Ferdinand Alquié, des passages avaient été omis ou censurés, surtout lorsque les lettres mettaient en cause de façon désagréable des personnes encore vivantes au moment de l’édition (André Cayatte, Carlo Suarès, etc.) ; 2 pages de notes autographes de lui à ce sujet sont reliées en tête. L’ensemble, très homogène, peut se diviser en deux parties chronologiques : 1929-1935 (lettres foisonnantes), et 1942-1950 (plus amères, douloureuses). Amicales, voire intimes, toutes ces lettres attestent ce que Bousquet appelle cette solidarité intérieure de nos préoccupations, et des plus secrètes. Sans réticences, l’écrivain raconte à son cadet sa vie quotidienne de grand invalide de guerre (paralysé à vie, à la suite d’une blessure reçue au front, en 1918), ses douleurs et ses deuils, mais aussi toute sa vie intérieure, ses lectures, ses projets littéraires, ses réflexions et pensées les plus personnelles, voire ses rêves, dont il raconte certains longuement. Et cette vie intérieure semble extraordinairement riche, comme le montre la liste des lectures de Bousquet : Racine, Jouhandeau, Dante (longue lettre), Saint Anselme, Descartes, Aragon, Breton, Éluard, Péret, Max Stirner, etc. Il est question d’amis communs, comme René Nelli et la revue Chantiers, du groupe des Cahiers du Sud, mais aussi du Grand Jeu et des surréalistes, dont il se sent très proche, malgré quelques désaccords (Il y a des Breton, des Éluard qui ne lisent pas Dante, ce qui est leur droit, mais qui ne le lisent pas parce qu’on y parle de l’”Enfer”, ce qui est marrant). Il évoque également des visites, dont celle de Max Ernst (Il est, par certains côtés, plus émouvant qu’Éluard). Visiblement, Bousquet déteste Carcassonne, dont il s’évade régulièrement pour séjourner à Villalier ou à La Franqui-Plage. Il se plaint souvent d’être envahi par des emmerdeurs et a, dit-il, ordonné à sa bonne de mettre systématiquement à la porte le public pas au courant, qui sonne. Amusant croquis quotidien : ma chambre, à cinq heures, avec un maigre curé à lunettes qui parlait admirativement de Picasso, mon cousin Félix et ma mère, et une petite pucelle de dix-huit ans, malade et peut-être folle, un peu confiée par des parents imprudents à notre amitié. À côté de ces évocations grinçantes, on trouve d’intéressants jugements sur certains surréalistes : Breton, dans tout ce qu’il imagine ou entreprend, porte une image de lui-même. C’est là sa force et l’explication de cet envoûtement qui pèse sur certaines de ses démarches... Songez au service que Breton nous a rendu. Après avoir dit à Claudel tout ce qu’il pensait, après s’être mis au ban de (mettons) la littérature, il a fait renaître une espèce de lumière dans ses mains. Il a déplacé l’axe du courant littéraire, et ses déportements sont tout ce qui nous aide à élargir notre liberté. Imaginez qu’il n’ait pas existé. Où en serions-nous ? Delteil, Soupault, Cocteau, et autres pimbêches... Eloge de Dormir Dormir dans les Pierres de Péret, qui contient un poème d’une beauté inexprimable. Mais une beauté où tout est CONVERTIBLE, à travers laquelle on voit les pierres du chemin. Pas de cette beauté-affiche, sur palissade, qui, vous et moi, nous dégoûte, et qui malheureusement, est quelquefois dans Éluard. Sur ce dernier, quelques réserves : Quant à Éluard, en ce moment, son œuvre se fait sans lui. Vous me comprenez. Voilà le secret. Il ne cherche plus, il sait quand et comment etc. Tout ce qui a dû être longtemps son tourment, partant son espérance, a tourné à sa satisfaction, l’a confirmé dans la certitude qu’il était un homme intelligent, pourvu de techniques. Sévères considérations sur la Révolution russe : Les Russes sont des cons comme les autres : ils ont des musées — où je crois fort que l’entrée n’est même pas gratuite. Attention, Alquié ! La Révolution russe, c’est le piège à révolutionnaires (On a le droit d’hériter en Russie — La propriété privée y existe — L’esprit du plan quinquennal, c’est l’esprit de performance — un peu comme il existe dans les bataillons de chasseurs alpins). Et je persiste à penser que les Russes nous jouent un bien sale tour. De fréquentes interrogations philosophiques ponctuent aussi ces lettres, reflétant l’exigence spirituelle de Bousquet, sa force de pensée : On n’a pas assez insisté sur le caractère irrévocable de l’expérience philosophique (ou poétique). On ne sait pas comment Descartes, par exemple, s’engage à fond... Il a rendu les ténèbres réelles. Ce que je trouve de plus admirable en lui c’est justement qu’il ait su laisser à cette fameuse idée claire son épaisseur de mystère. Signalons également deux très belles lettres sur la musique, que Bousquet découvrit grâce à Alquié et qui, affirme-t-il, bouleversa sa vie en 1932 : La grande révélation de la musique, c’est que l’homme est un gouffre pour le Temps, comme il est un gouffre pour lui-même. Une lettre contient de remarquables évocations de certains morceaux de Franck, Beethoven, Mozart, etc., admirés par lui. On notera enfin des confidences très intimes : Yvette […] me recevait dans sa chambre, où elle était nue quelquefois ; mais se rhabillait vite, si elle s’apercevait que j’étais ému. […] Car il n’y avait rien d’impératif dans ce qui nous faisait agir […] mais une sorte de grande flaque lumineuse, coulant, ces soirs d’hiver, d’une lampe à pétrole de cuivre et de verre, cachait je ne sais quelle présence qui faisait battre nos trois cœurs du même mouvement. Dans le battement régulier des portes se fermant sur les clients et les putains c’est à peine si bougeaient les ailes de cette grande chose. Un grand épistolier. À travers ces lettres, perce une grande affection mêlée d’estime pour son correspondant, que Bousquet considère comme un esprit remarquable. Il commente longuement les articles qu’il lit de lui, l’encourage, suit sa carrière de professeur de philosophie, et surtout ne cesse de le remercier pour le grand bien que lui font ses lettres et ses visites. On mesure ainsi à quel point cette correspondance fut, pour l’écrivain, un lien essentiel. On sent chez cet homme paralysé une grande solitude, comme le montre cette très belle méditation sur son destin : J’ai regardé avec une froide hostilité tous les pays de mon enfance... Comment ne croirais-je pas à l’existence du monde extérieur, aujourd’hui, comme je l’ai vu ne plus me suivre et, par le regret qu’il me donnait d’un monde imaginaire et concret à la fois qui serait comme le contenu mouvant de notre vie, me découvrit sa nature extraordinaire de monde divorcé dans le sein duquel la réalité vivrait de nous exclure. Tout cela noté sans horreur, sans frousse. Ce monde est peut-être le seul monde possible. Reliée en tête, une belle photographie originale de Joë Bousquet, (230 x 171 mm), tirage argentique d’époque avec tampon sec “E. Bernon, 12 av de la Gare. Carcassonne” et signature du photographe, accompagnée d’une dédicace autographe signée à l’encre : à mon très cher ami Alquié qui m’a mené vers quelques-uns des points que je devais apprécier par-dessus tous les autres, datée Carcassonne 20 Juillet 1935.