Lot 81
  • 81

Apollinaire, Guillaume

Estimate
10,000 - 15,000 EUR
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Description

  • Apollinaire, Guillaume
  • Lettre autographe signée à sa "chère petite Mireille" [Havet]. [Nîmes, 3 janvier 1915.]
  • ink on paper
2 p. in-8 (108 x 170), à l'encre violette sur papier surligné, dessin à la mine de plomb au centre du feuillet.

Belle lettre, illustrée d'un autoportrait en pied le représentant vêtu de son uniforme d'élève-brigadier.



Apollinaire revient d’une permission passée à Nice [avec Lou] où il s'est "bien amusé" : "Mes éperons et mon étui à revolver ont eu un grand succès avec mes houseaux dans une ville où il n'y a que de l'artillerie lourde. Je vous envoie mon portrait approximatif avec mon étui à revolver, mon sabre, mon fouet, mon cheval et un canon. Tout ça est épatant et s'il me tarde que ce soit fini, c'est plutôt à cause de mes amis et de la liberté qui manque un peu aux simples soldats, car sans ça c'est épatant d'être militaire et je crois que c'est un vrai métier pour un poète. J'espère être bientôt gradé. Alors la vie sera plus chic. Vous savez qu'il n'y a que les femmes et les civils qui s'occupent de la guerre, nous autres nous nous en foutons. J'espère devenir en peu de temps bon cavalier, car on ne nous ménage pas sans cela et tout le temps sans étrier, trois fois des chevaux qui ruaient m'ont fait partir en bombe, une fois sur une sale route pleine de cailloux pointus, mais me suis rien fait. Tout de même faut être solide ici."
Terriblement lucide, Apollinaire dit s’être endurci et s’attendre à ce que la guerre dure longtemps : "Je crois qu'après la guerre, il faudra pas que des poilus m'em…ent. Ne vous souciez pas de la guerre. Elle durera longtemps, il faut en prendre son parti et arranger sa vie comme si la guerre devait durer toujours, comme ça quand la paix arrivera ce sera une bonne surprise. Vous, ma chère Mireille, travaillez. Tâchez d'écrire quelque part, il y a beaucoup de place à prendre et il y en aura encore".
Après avoir donné d’autres petits détails sur sa vie d’élève-brigadier, "voyez si c'est chic", il l’embrasse, "plus que d'habitude", et lui souhaite une bonne année.



Fille du peintre Henri Havet, Mireille Havet de Soyecourt (1898-1932) fut surnommée "la petite poyétesse" par Apollinaire qui fréquenta la famille Havet à partir de 1912, insérant un premier texte de l’adolescente dans les Soirées de Paris de décembre 1913. Mireille, considérée comme un enfant-poète prodige, publiera notamment un recueil de nouvelles en 1917 et un roman, Carnaval, en 1922. Son journal, qu'elle tint de 1913 à 1929, dans lequel elle assume ouvertement son homosexualité mais où elle ne mentionne pas sa correspondance avec Apollinaire, a été édité en 1995. Après plusieurs liaisons malheureuses, Mireille meurt à l'âge de 33 ans, de tuberculose et de sa dépendances aux drogues, ayant légué ses cahiers et manuscrits à son amie, la comédienne et poète russe Ludmila Savitzky.



Références : G. Apollinaire & M. Havet, Correspondance (1913-1917), Centre d'Etude du XXe siècle, Université Paul Valéry, 2000, p. 46, facsimilé p. 47-8. -- Correspondance générale, éd. de V. Martin-Schmets, Champion, II, n° 655. -- Cl. Debon et P. Read, Les Dessins d’Apollinaire, Buchet-Chastel, 2008, dessin repr. p. 111.