Lot 126
  • 126

Lacan, Jacques

Estimate
40,000 - 60,000 EUR
bidding is closed

Description

  • Lacan, Jacques
  • Important ensemble de 49 lettres autographes signées à Pierre Soury ou à Michel Thomé. 18 décembre 1973-2 mars 1979.
  • ink on paper
56 pages in-8 et in-4 (de 210 x 150 à 270 x 210 mm), dont 13 avec schémas ou croquis, à l’encre et aux feutres de couleur ; 48 enveloppes dont une autographe, les autres de la main d’un secrétaire, la plupart avec mention "pneumatique", 2 télégrammes adressés à M. Thomé. Deux lettres sont adressées au seul Thomé, 5 à Thomé et à Soury conjointement (les deux amis habitaient à la même adresse), et les autres à Soury seulement.

"Une longue relation épistolaire entre le maître et les habitants de la planète Borromée" (Roudinesco, p. 473).



Importante correspondance inédite. Elle éclaire au plus près les dernières théories de Lacan, introduisant l'usage du nœud borroméen et de la topologie dans son séminaire sur la psychanalyse.



Une correspondance comme des brouillons préparatoires des séminaires de Lacan. Ces lettres qui s'étalent sur six années (de décembre 1973 à mars 1979) serrent au plus près, quasiment au jour le jour, séminaire après séminaire, les préoccupations et interrogations de Lacan concernant le noeud borroméen, constitué de trois ronds noués à trois, mais deux à deux indépendants, qu'il avait introduit comme support de ses trois notions majeures : le Réel, le Symbolique et l'Imaginaire, en février 1972.



Très nombreux dessins originaux, à l’encre ou au feutre de couleurs.



Correspondance adressée à deux jeunes chercheurs, à propos des recherches mathématiques qui guidèrent le psychanalyste à définir le nœud borroméen comme structure du sujet : entrelacement sans endroit ni envers, du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. C’est lors d’un séminaire de février 1972 que Lacan parla pour la première fois du nœud borroméen, inspiré par les trois anneaux figurant sur les armoiries des Borromeo (représentant l'union de cette famille avec celles des Sforza et des Visconti), par la topologie et la théorie des nœuds qu’il explorait depuis déjà plusieurs années.



La toute première lettre de cette correspondance date du 18 décembre 1973 : le jour même de son séminaire, en réponse à une lettre que Michel Thomé lui a adressée lui exposant "une trouvaille" faite avec Pierre Soury selon laquelle le nœud borroméen (qui comporte six croisements) peut s'obtenir en refermant sur elle-même, brin à brin, une tresse régulière à, également, six croisements (comme celles que réalisent les femmes avec leurs cheveux) Lacan lui écrit : "Cher Monsieur Thomé. Merci de votre papier. Je ne l'ai dit au séminaire mais vous pensez-bien que c'est de là que je suis parti (comme tout le monde)" puis lui dit vouloir mieux le connaître et lui propose de lui en dire un peu plus sur lui, car, dit-il "je ne recevrai que des gens ennuyeux ces jours-ci."
Toujours en étroite relation avec son séminaire, ayant appris que Soury et Thomé travaillaient ensemble, Lacan (à partir de la lettre datée du 3-6-75) les reçoit et s'adresse aux deux, puis quand Thomé lui demande une analyse, Lacan ne reçoit et ne s'adresse plus qu'à Soury (à partir de la lettre datée du 30-8-76). Le docteur Lacan tisse un lien particulier avec Pierre Soury, mathématicien, chercheur rattaché à la Maison des Sciences de l'Homme (MSH) chargé de cours à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, que Thomé présenta à son analyste et qu'il sollicite à tout moment et fera intervenir plusieurs fois au cours de son séminaire. Soury eut la tâche "de construire un moule mathématique permettant d’étudier les préoccupations logiques et topologiques de Lacan." (Roudinesco, p. 473).



Durant quelques six années, les recherches borroméennes vont unir ces trois protagonistes, dans un échange parfois tyrannique de questions sans réponses et de figures insolubles. Cette correspondance témoigne de cette "planète Borromée" où certains problèmes font "enrager" Lacan qui réclame des précisions et des explications au jeune physicien, illustrant ces interrogations ou ses propositions de calculs ou de schémas : tresses, nœuds, tores, tétraèdres… À plusieurs reprises, il réclame d’être appelé, multipliant les appels au secours et reprochant parfois à Soury de manquer leurs rendez-vous. "Je deviens enragé, appelez-moi, je vous en prie, ou venez me voir", demande-t-il, impératif, à Soury.
En août 1976, il expose longuement une formule chiffrée qui ne correspond pas aux calculs de Soury : "Il est bien clair que je peux me tromper. Tellement l’affaire fait bordel. Je vous prie de m’en rendre compte si c’est le cas". Et cela dut être le cas, car dès le lendemain, il évoque sa "précédente connerie. J’espère que vous m’en direz l’inanité" et le surlendemain, en réponse à une nouvelle précision de Soury : "Chapeau : je m’y attendais. Reste que vous allez recevoir 7 où j’ai aussi quelques objections. Sans doute pas toutes valables".



Les recherches se poursuivant autour des tétraèdres, Lacan s’interroge, par exemple, sur la possibilité d’enchaîner deux tétraèdres comme deux cercles : "mais ce n’est pas d’être nouable qui suffit : il faut que ce soit dénouable […] Y voyez-vous plus clair ? J’enrage. Et d’autant plus que je me casse la tête sur cette question : l’écriture réelle du Je sais est-elle concevable ? Ou n’y a-t-il que du Il sait ou du « Maneine sait » [allusion à un fameux souvenir d’enfance avec sa sœur Madeleine qui se mêla à son travail sur le savoir]. Bref l’écriture réelle est-elle toujours un symptôme ? Je ne suis pas brillant".
Les questions se succèdent, et autant de casse-têtes, à propos de différentes combinaisons de tores, que Lacan dessine -- parfois en couleurs -- dont une qu’il a appelée "à la queue-leu-leu". D’un ton sec, parfois : "Enlacement nul : je traduis ça par pas d’enlacement : ce que contredisent les exemples donnés. De même enlacement non nul je traduis par « il existe » : les exemples ne le contredisent pas moins. Veuillez venir m’expliquer". Plus courtois à d’autres moments à propos d’un "rapport" entre la tresse borroméenne et le nombre de coups dont elle est faite : "Y a-t-il une formule ? je vous serais reconnaissant de me la donner".



En décembre 1978, apparaît le nom du mathématicien Jean-Michel Vappereau -- que Lacan a rencontré quelques années auparavant -- "qui [l]e taquine avec des choses"Et quelques jours plus tard : "Vappereau… je sais ce que j’en pense". Cette lettre, datée du 12 décembre, présente au verso la minute autographe de la réponse de Pierre Soury qui cite une de leurs conversations et utilise le triangle mathématique dit de Pascal pour se justifier auprès de Lacan d’une incompréhension à propos d’un nœud "borroméen généralisé" : "Tout ça me rend amer. Lundi soir, veille de votre séminaire, j’ai raconté à des amis, ce rendez-vous pris avec vous pour mardi matin, juste avant votre séminaire. Je leur ai dit, en parlant de vous : « il va encore faire plein d’erreurs à cause de moi ». D’une façon générale, je ne doute pas que les explications sont cause de confusion et d’erreur. C’est un malheur que vous ne cherchez pas à contourner. Et je me retrouve à vous faire faire des erreurs. Une des raisons qui fait que je n’aime pas les rendez-vous avec vous juste avant votre séminaire, c’est ça, c’est que ça vous fait faire des erreurs et des confusions. Il y a un jeu de mot classique à ce sujet, c’est induire en erreur » = « enduire d’erreur »". Ce à quoi Lacan répond à son tour : "N’empêche que vous m’avez mis -- noir sur blanc ; je tiens le document à votre disposition -- le borroméen généralisé -- 6.3 à savoir 3 sur 6 / généralisé -- à 35. […] Le 6.3 est non à 35 mais à 20".



Les trois dernières lettres, datées des premiers mois de l’année 1979, sont de simples billets demandant à Soury de téléphoner pour fixer des heures de rendez-vous.



Pierre Soury devait se donner la mort, le 2 juillet 1981, à l’âge 39 ans.



"Croyant pouvoir accéder au noyau fondamental de la pensée, Lacan se livra avec passion à la géométrie des nœuds, des tresses, des tores et des bouts de ficelle, jusqu'à se dissoudre lui-même dans la stupeur muette d'une aphasie nietzschéenne" (Roudinesco, p. 465).



Références : E. Roudinesco. Jacques Lacan. Fayard, 1993, en particulier "Mathème et Nœuds borroméens", p. 463-496 ; parmi les correspondances que cite Roudinesco dans sa bibliographie, les présentes lettres constituent, de loin, le plus volumineux ensemble de lettres de Lacan (p. 668). -- P. Soury, Chaînes et Noeuds, éd. M. Thomé et Chr. Léger, 1986, où sont présentés les lettres envoyées à Lacan par Soury et Thomé. -- Il faudrait aussi citer les derniers séminaires de Lacan, de 1971 à 1980, dont plusieurs n'ont pas encore paru (notamment La Topologie et le Temps, 1978-1979).