Lot 324
  • 324

Sand, George

Estimate
7,000 - 10,000 EUR
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Description

  • Sand, George
  • [A PROPOS DE VICTOR HUGO, L’ANNÉE TERRIBLE]. Manuscrit autographe signé, sans date [1872]. 29 pages 1/2 in-8 (208 x 133 mm), cousues par cahier de 10 pour les 2 premiers, non cousues pour les 10 dernières pages, sous chemise demi-maroquin noir moderne.
MAGNIFIQUE ÉTUDE SUR VICTOR HUGO ET L’ANNÉE TERRIBLE.

Le manuscrit présente de nombreuses ratures et corrections.



En 1872 paraissait L'Année terrible, recueil de vers de Victor Hugo, qui avait soulevé des controverses, à cause de son sujet encore brûlant : la guerre de 1870 et la Commune. C'est à cette occasion que George Sand écrit ce long article, où elle étudie l'importance de l'oeuvre de Victor Hugo dans son ensemble et fait la critique du livre en question. A son enthousiasme et son admiration se mêlent quelques réserves dues à sa répulsion pour la Commune. Tout en désapprouvant l'indulgence de Victor Hugo pour les insurgés, Sand exalte le génie du grand poète. Elle avait déjà publié, sur ce livre, un court article (Le Temps du 31 juillet 1872), auquel Hugo répondit le 2 août 1872 : « Vous avez écrit sur L'Année terrible une page superbe et charmante. Il y a entre nous une dissidence, mais ce n'est pas un désaccord ; car nous voulons au fond la même chose. Nous voulons tous les pas en avant, et aucun pas en arrière... »



George Sand le reconnaît d'emblée : Voici un poète sublime, le poète de la France. Il est véritablement la voix de la patrie... Je sens pour lui quelque chose de plus que de l'admiration. Je sens que je l’aime... il use de son droit qui est de monter autant qu'une pensée peut monter au-dessus d'une situation, une aspiration au-dessus d'un fait, une volonté au-dessus d'un obstacle... Mais le poète a-t-il, demande-t-elle, la vision nette des choses connues ? Oui et non. Oui au point de vue de l'éternelle philosophie ; au point de vue immédiatement historique, non.



Elle reproche à Hugo sa tendance à la déformation : Il prend des imbéciles pour des scélérats, d'une mouche il fait un monstre, d'une fourmi un éléphant... Hugo a entendu la voix juste et la voix haute, mais la voix sage ? Elle lui reproche un certain manichéisme : ... entre deux frères qui s'égorgent, il a beau se jeter pour les séparer au risque d'être égorgé soi-même. Mais quand malgré soi on est resté debout entre les deux cadavres, doit-on traiter l'un de martyr et l'autre d'assassin ? Ils se sont égorgés l'un l'autre, martyrs tous les deux ou assassins tous les deux, il n'y a pas à dire .... Ceux qu'il appelle martyrs [les Communards] avaient-ils une idée ? Nous attendons que l'histoire nous la révèle, mais nous avouons qu'à travers l'arbitraire grossier, la haine aveugle, l'absence totale de patriotisme, le meurtre barbare et l'incendie sauvage, nous ne pouvons la saisir... Elle fustige longuement les crimes de la Commune : Il n'est pas vrai que l'incendie du Louvre et de la Bibliothèque ait été ordonné par des gens qui ne savaient pas lire. Nous savons tous que ces gens savaient en outre fort bien écrire... Mais chercher une excuse à ceux qui écrivaient : faites flamber, non, nous ne pouvons aller jusque-là... C’est pourquoi le livre de Victor Hugo l'a déçue : Après avoir lu Actes et paroles [1872], nous attendions de nouveaux Châtiments pour tous les criminels et nous comptions que cette page suprême viendrait. Nous ne la trouvons pas dans L'Année terrible... le poète ... n'a pas flétri avec son énergie accoutumée les chefs et les membres de cette bande... elle ajoute, plus sévèrement encore : Se justifier de n'avoir pas frayé avec les massacreurs et les incendiaires, c'est vraiment bien inutile. Il est vrai, concède-t-elle, qu’Hugo n'a pas pu mesurer la vraie nature de ce volcan de boue. Frappé de stupeur, il a cherché ailleurs la cause du mal... Cependant elle reconnaît son génie : Son talent n'a jamais eu tant d'éclat, sa parole tant de couleur, d'harmonie, d'originalité et de force de pénétration. Cette Année terrible, il y manque une page, c'est vrai, mais ce n'en est pas moins le livre de la France, son cri suprême, le dernier éclair d'une des phases de sa vie....



Belle conclusion : Nos monceaux de livres seront jugés, oubliés pour la plupart, un nom restera éclatant, attaché à la robe funèbre du XIXe siècle comme une étoile au manteau de la nuit, et ce nom, ce sera celui de l'auteur de L'Année terrible. (sur L’Année terrible, voir lot 235)



Les deux écrivains ne se rencontrèrent presque jamais, et leur amitié fut essentiellement « épistolaire et distante » (G. Lubin).



A la mort de George Sand en 1876, Victor Hugo écrivit son éloge funèbre qui fut lu par Paul Meurice « je pleure une morte et je salue une immortelle. Je l’ai aimée, je l’ai admirée, je l’ai vénérée ; aujourd’hui dans l’auguste sérénité de la mort, je la contemple. »



De la collection Alfred Dupont (IV, 22 nov. 1962, n°181).