PF1303

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Lot 26
  • 26

Baudelaire, Charles

Estimate
25,000 - 35,000 EUR
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Description

  • Baudelaire, Charles
  • Lettre autographe signée à Auguste Poulet-Malassis. 11 novembre 1858.
Jeudi 11 novembre 1858. Mon cher ami, j’ai reçu vos remerciements, et ils m’ont étonné. Je voulais absolument vous être agréable en vous envoyant un morceau inédit, que je voulais ajouter simplement aux pièces que j’accumule pour un journal quelconque, et je ne croyais pas que ce misérable sonnet put ajouter quelque chose à toutes les humiliations que les Fleurs du mal vous ont fait subir. Je voulais vous être agréable, rien de plus, et je ne peux pas comprendre en quoi j’ai mérité tant d’injures, à ce point que vous me compariez au Béranger secret, comme a fait Veuillot. Il est possible, après tout, que la tournure subtile de votre esprit vous ait fait prendre Belzébuth pour le Con et le poignard charmant pour la pine. Quand j’ai fait cette découverte, j’ai bien ri.
En somme tout cela est bien léger. La seule chose grave, qui y est contenue, est cette faculté mystérieuse qui vous pousse à injurier vos amis, avec d’autant plus d’audace qu’ils sont plus intimes et plus anciens. Aussi quand je vous voir faire une connaissance nouvelle, je suppute en moi-même dans combien d’années elle sera digne d’être injuriée par vous.
Michel Lévy a aussi une propension singulière de ce genre ; mais au moins a-t-il le mérite d’être bête. Il y a encore De Broise disant à Banville : Le préfet d’Alençon nous a demandé pourquoi nous publions des bêtises comme les Odes.
Un autre que vous, un esprit raisonnable, aurait écrit : je vous sais gré de votre cadeau, mais votre talent est compromettant pour un journal de province. Seulement, si vous aviez écrit cela, vous n’auriez pas suffisamment brillé à vos propres yeux. Il fallait assaisonner cette lettre d’une masse d’impertinences pour un de vos vieux amis qui ne peut pas avoir de querelles avec vous.
Croyez que si je me moque un peu de vous, c’est pour votre bien. Un de ces jours, il vous arrivera un malheur, pas par moi, bien entendu. Je vous assure que j’ai bien souffert souvent de cette tournure maladive de votre esprit, et je connais bien d’autres individus qui ne sachant pas ce qu’il y a de louable en vous, vous ont pris simplement pour ce que vous n’êtes pas, pour un homme mal élevé ! Maintenant cherchez moi querelle, si vous voulez. Ouf ! J’ai fini et j’ai accompli mon Devoir.
Tout à vous,
Ch. Baudelaire.

Présentez mes respects à votre mère
J’ai reçu votre jolie épître hier soir à minuit. J’étais absent de mon quartier depuis quelques jours."


Provenance

Vente Drouot, 27 novembre 1990, n° 19.

Literature

Lettre reproduite dans Claude Pichois. Baudelaire, Correspondance I, Bibliothèque de la Pléiade, 1993 , p. 523-524.

Catalogue Note

Le 30 décembre 1856, Baudelaire signe avec Poulet-Malassis et de Broise le contrat de l’édition des Fleurs du mal. Depuis 1850, Poulet-Malassis s’intéressait au poète. Le 4 février 1857, Baudelaire remet son manuscrit au correspondant parisien de Poulet-Malassis, alors imprimeur à Alençon, du Journal d’Alençon et du département de l’Orne. Commence alors une correspondance importante entre Baudelaire et son éditeur au sujet des corrections, de la mise en page, de la préparation des dédicace, page de titre, couverture… Enfin après trois mois, Poulet-Malassis dépose, le 12 juin 1857, à la préfecture de l’Orne deux exemplaires des Fleurs du mal, dont la mise en vente était annoncée pour le 21 juin. Très vite le livre choqua, et les articles dénonçant son immoralité déferlèrent en particulier dans Le Figaro et le Journal de Bruxelles. Le 7 juillet, Les Fleurs du mal furent déférées au Parquet. Baudelaire, alerté d’un risque de saisie, en informa aussitôt Poulet-Malassis. Edouard Thierry écrivit cependant un article favorable. Barbey d’Aurevilly se vit refuser le sien dans Le Pays. Le 20 août, le procès vint devant la 6e chambre correctionnelle. Ernest Pinard requit des amendes contre Baudelaire et ses éditeurs. Le jugement stipulait en outre la suppression de six des poèmes parmi les plus beaux des Fleurs du mal. Telles furent "toutes les humiliations" évoquées par Baudelaire.
Une lettre du 13 novembre de Baudelaire à Poulet-Malassis nous montre que ce dernier ne s’emporta aucunement à cette lettre du 11 novembre : "Je vous remercie de tout mon cœur, même de cette protestation d’amitié dont je n’avais aucun besoin, puisque je n’ai jamais douté d’elle […]".