
Auction Closed
November 28, 03:48 PM GMT
Estimate
10,000 - 15,000 EUR
Lot Details
Description
Masque, Wé / Guere, Côte d'Ivoire
Haut. 27 cm
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We / Guere Mask, Côte d'Ivoire
Height 10 ⅝ in
Collection Roger Bédiat, Abidjan
Ader Picard Tajan, 21 mai 1990, Lot 111
Collection privée française, acquis lors de cette vente
Libéré du foisonnement d’éléments extérieurs qui caractérise traditionnellement les masques guerriers téé gla, cette œuvre s’impose à nous par sa seule écriture sculpturale. Il témoigne remarquablement d'une esthétique de la force propre à l’art ancien du sud-ouest ivoirien, et de son impact formel sur l’œuvre des artistes modernes. Ce masque Guéré illustre également le goût éclairé de l’un des plus ardents protagonistes de la reconnaissance des arts africains de Côte d'Ivoire : Roger Bédiat.
L'institution du masque guerrier - commune à l'ensemble des peuples du Sud-Ouest ivoirien - s'inscrivait, à l'époque pré-coloniale, dans un phénomène de guerre couvrant, « au-delà de ses enjeux réels, un vaste champ culturel (récits épiques, art musical et chorégraphique) » (Dozon, La société bété. Histoires d'une ethnie de Côte-d'Ivoire, 1985, p. 172). Si les diverses sociétés régissant les communautés d'origine Krou (Guéré, Bété, Dida, We) et Mandé (Dan, Guro) en revendiquent la paternité, selon toute vraisemblance elle trouverait son origine chez les We/Guéré, et les masques téé gla en constitueraient l'archétype (Gnonsoa in Féau, Corps sculptés, corps parés, corps masqués, chefs-d’œuvre de Côte d’Ivoire, 1989, p. 112).
Destiné à imposer la paix lors de conflits internes ou venant « se mêler aux combattants au cours de la bataille, lançant des flèches ou des sagaies destinées moins aux adversaires réels qu’aux esprits venus les soutenir » (Marie-Noëlle Verger-Fèvre, « Côte d’Ivoire : Masques du pays We » in Tribal Art, Printemps 2005, n° 9, p. 108), le masque téé gla imposait sa figure terrifiante, matérialisant les forces hostiles de la forêt. A l’esthétique de la force, dont les données font « surgir l’inconnu plutôt qu’elles n’ordonnent le connu » (Meurant, Ubangi, 2008, p. 141), répond ici la magistrale architecture des formes.
L’intelligence de sa forme rappelle combien les arts africains, et en particulier ceux de Côte d’Ivoire, participèrent à la rupture opérée par les artistes du début du XXe siècle d’avec le naturalisme du siècle précédent. Werner Speiss (Picasso sculpteur, 2000, p. 66) s’appuie sur les écrits de Kanhweiler pour préciser la genèse des « plans superposés » apparus entre 1911 et 1913 dans l’œuvre de Picasso : selon Kanhweiler, « cette technique constitue une des innovations les plus révolutionnaires du cubisme. La sculpture africaine a encouragé Picasso, sans doute aucun […] Picasso possédait un masque Wobé (Grebo) et c’est l’étude de ce masque qui est à l’origine du bouleversement qui s’opéra alors ». Le vocabulaire de ce masque, tout autant que sa patine évoquent le célèbre masque Oubi (sud du pays Guéré), collecté par Georges Couturier en 1933 (en dépôt au musée du quai Branly, inv. n° D 67-1-7 ; cf. Rubin, Primitivism in 20th century Art, vol. II, p. 591), comptant également parmi les premiers témoins collectés d’un art guerrier dont l’audace impacta la recherche des artistes modernes.