Lot 154
  • 154

Saint-Exupéry, Antoine de

Estimate
30,000 - 50,000 EUR
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Description

  • Saint-Exupéry, Antoine de
  • 25 lettres autographes signées à son ami Charles Sallès, son "vieux Poulet". Juin 1917-été 1928.[Avec :] Carnet de photographies avec envoi autographe signé.
  • ink on paper
68 p. in-4 ou in-8, dont une carte postale illustrée et une carte de visite (315 x 222 à 55 x 95 mm), carnet oblong in-12 (116 x 165 mm). 4 lettres sur papier de deuil, 9 illustrées de dessins à l’encre ou rehaussés au crayon de couleur. Signées "Antoine" ou "de Saint-Exupéry".
Plis parfois marqués et quelques taches sans gravité.

Très belle correspondance de jeunesse, en partie inédite, illustrée de nombreux dessins ou croquis.



Un ami d'enfance. Originaire lui aussi de Lyon et né la même année que Saint-Exupéry, Charles Sallès (1900-1998) était devenu l’un de ses plus proches amis dès leur rencontre sur les bancs du collège à Fribourg. Cette amitié fut renforcée lors des étés passés en voisins, dans l’Ain, le grand-père de Sallès possédant une propriété près du château de Saint-Maurice-de-Rémens où Saint-Exupéry séjournait souvent. Après un diplôme d’HEC, Sallès devint exploitant agricole, à côté de Tarascon où il reçut à plusieurs occasions son ami, et pour la dernière fois, à l’automne 1940, avant le départ de Saint-Exupéry pour Alger.



Cet exceptionnel ensemble témoigne autant de l’humour mélancolique de Saint-Exupéry que de ses talents de dessinateur, de ses rêves d’écrivain autant que de pilote, à travers dix ans de sa vie, de ses années d’étudiant recalé à Navale aux premières aventures de l’Aéropostale.



Il débute par un carnet offert à Charles Sallès, signé par Saint-Exupéry et 10 autres de leurs camarades bacheliers -- dont Louis de Bonnevie -- après une semaine en retraite de fin d’études à la Villa Saint-Charles à Vordermeggen, en Suisse. Quatre des signataires, dont Antoine, ont ajouté quelques lignes autographes au verso des photographies composant ce carnet. Saint-Exupéry espère bien revoir son ami, surnommé son "vieux Poulet", étant tous les deux du même "patelin". Sur le dernier feuillet portant les adresses des 11 amis, Saint-Exupéry est mentionné comme "seigneur de Saint-Maurice" [adresse de la propriété familiale, dans l’Ain]. Saint-Exupéry passe l’été suivant en Bretagne, à l’ombre des menhirs et au bord d’une mer qu’il doit fasciner, puisqu’elle s’approche et s’éloigne de lui "avec action et réaction". Après avoir demandé à Sallès de lui rapporter de Suisse "une bible complète (pas l’édition abrégée) de l’abbé Crampon", il imagine son ami en séances de canotage ou de "trimbalage à pattes (ça se dit en anglais du fou… fouting je crois)". La lettre suivante, datée du 31 août 1917, illustrée d’un petit croquis représentant un vol d’oiseaux, est une amusante pochade, mêlant mots latins, orthographe fantaisiste et formules mathématiques, écrite à deux mains, par Saint-Exupéry  ici surnommé "Roupette", et par leur ami commun Louis de Bonnevie, traité de c… ignorant "l’hortaugrafe", et tous deux signant volontairement de façon excessivement déformée. 
A la rentrée 1917, Saint-Exupéry suit des cours de préparation à l’Ecole navale et ironise sur la vie heureuse qu’il mène au Lycée Saint-Louis, surchargé d’heures de colle, tyrannisé par les pions et ne pouvant guère se distraire dans une cour minuscule pour autant de types… Il remercie son vieux Poulet pour la Bible qu’il lui a procuré, n’ayant guère le temps de lui écrire davantage : "où donc est-il le temps où je faisais des vers ???", avec trois petits autoportraits : en poète, tête levée vers la lune, en moine prêt à être sanctifié grâce à la bible de Sallès, et enfin désemparé devant un tableau noir rempli d’exercices de mathématiques.  A la Pentecôte suivante, l’étudiant Saint-Exupéry -- qui a quitté Paris pour le lycée Lakanal à Sceaux -- se plaint de ne causer que de maths et de verser des larmes attendries sur les bons moments de leur scolarité passée : il dessine de grosses gouttes, tombées sur le papier ("il y a même une mouche qui s’est noyé dans celle du millieu"). Durant l’été, il évoque sa possible mobilisation : "Si je suis reçu je vais à Navale, mais si je suis retapé, je pars !", évoquant à nouveau l’heureux temps passé dans la Dombe : "nous allions tout droit devant nous et finalement nous nous retrouvions à la même place ce qui prouve simplement, ç a se démontre en géographie, que nous avions fait le tour du monde. La seule chose qui nous étonnait était de ne pas avoir rencontré de nègres".
En 1921, incorporé comme mécanicien au 2e régiment d’aviation de Strasbourg, il attend son affectation probable au Maroc, "confit dans l’huile des moteurs", et commençant les leçons de pilotage : "J’ai passé ici ma permission de départ pour tenter d’obtenir mon brevet en doublant les heures mais des avaries à mon avion font que je perds mon temps à attendre ce qui m’emplit le cœur de fiel […] Je n’ai rien vu et rien fait. Pas une promenade, pas un flirt, pas un pas ! J’ai dormi quand je n’avais plus de travail. Une fugue à Paris seulement en avion, et cafard plus dense au retour -- vie exquise". Achevant son service militaire à Casablanca, il rédige une longue et belle lettre, écrite à l’encre verte, pour se faire pardonner son silence. Sachant son ami à Paris, il lui demande des nouvelles de "ce chef d’œuvre d’art et de vie qui trépide place de l’opéra et meurt sur les quais parmi les feuilles mortes et les vieux romans démodés de nos grands-mères que les bouquinistes s’obstinent à vendre".  Il décrit en revanche Casablanca comme une ville qui le dégoûte, "une ville champignon aux immeubles écrasants, aux somptueux cafés, peuplés de colons rapaces, de grues et de tapettes. […] Heureusement la ville arabe est là -- entourée d’un haut mur elle défend ses petites échoppes claires et ses étalages multicolores, ses marchands de gâteaux […] et surtout (et c’est tout ce que j’aime) les marchands de babouches, babouches d’argent, babouches d’or que ne chausserait pas Cendrillon -- et qui attendent… Les petits arables comme des fils de roi vont, habillés de somptueuses petits toges de couleur, et jouent assis dans les ruelles avec de petites filles aux longs voiles – ils sont éveillés, charmants et pullulent. Les environs par contre donnent une idée exacte du néant". Citant un tableau que Picabia, "dadaïste notoire", a exposé au Salon des Indépendants, il dessine un paysage désertique parsemé de roches : "c’est beau mais c’est triste".



De retour en France, sa vie se partage, entre 1924 et 1926, entre premiers essais d’écrivain, "La première partie de mon roman [Courrier Sud] est achevée, dactylographiée, et j’ai hâte de te la faire lire", et emplois rémunérés, comme comptable pour les tuileries Boiron puis pour la société de camions Saurer, comme mécanicien et représentant. "Mon vieux la vie est mélancolique. On ne fait jamais ce que l’on rêve […] j’ai couru toute la journée après je ne sais quoi -- une poule possible -- une rencontre imprévue, je pense que je cherche le bonheur comme l’on cherche à faire une invention sans savoir bien laquelle -- jamais on ne trouve, c’est de l’utopie". En janvier 1925, Saint-Exupéry écrit sa première lettre de l’année et sans doute la seule "car on choisit ses amis mais on ne choisit pas son musée de vieilles tantes. Pour elles je ne veillerai pas. Si j’avais le courage de veiller, je commencerai par chercher une poule -- de préférence". Il parle de son travail, sous les camions et sur les routes, en compagnie de mécanos adorables, citant le chansonnier Martini à propos d’une blague sur les voitures Citroën, lui-même songeant à s’en procurer une. Mais l’humeur de Saint-Exupéry est toujours sombre et il décrit dans une lettre à l’en-tête du grand Café Riche à Lyon, les petites rues de sa ville natale, les odeurs nauséeuses de poubelle et d’égout, les vieilles semblables à des cloportes, les prostituées en robes voyantes (pourries au-dedans), la vie monotone qu’il mène à Saint-Maurice entre sa grand-mère qui gémit sur le bolchevisme et sa tante Madeleine qui pense s’encanailler en jouant au poker avec lui. Il reproche à Charles, avec humour mais avec une certaine peine, de n’être pas venu comme prévu à Saint-Maurice alors que tout avait été préparé, de sa chambre au vase de nuit, des fleurs cueillies par ses sœurs Simone et Gabrielle dite Didi au discours de bienvenue de sa grand-mère…



Une lettre, joliment illustrée à la façon d’une bande dessinée, donne d’amusants détails sur l’emploi du temps de Saint-Exupéry : en train de discuter sur le tarmac d’un terrain d’aviation, assis à un bureau devant un tas de lettre non envoyées, en entretien d’embauche au secrétariat de l’aéronautique, comparant la vie d’agriculteur de Sallès (semant, trayant ou couvant des œufs) à celle qu’il mène lui, parfois en province, symbolisée par des toiles d’araignées, en compagnie de "jolies femmes" (trois visages de rombières peu amènes). Il annonce la parution de sa nouvelle, "L’Aviateur", dans la revue Le Navire d’argent, son espoir de publier également Manon, danseuse [texte qu’on a pu croire perdu mais qui a été publié en 2007 avec d’autres œuvres de jeunesse] et un roman : "Gallimard me prendra un bouquin -- qu’il a dit -- quand j’aurai une troisième nouvelle -- ou une plaquette de ces deux-là".  Ayant repris espoir d’une vie plus conforme à ses souhaits -- il effectue au printemps 1926 des baptêmes de l’air pour la Compagnie aérienne française (C.A.F.) -- le pilote rédige une lettre sur un ton plus gaillard pour raconter sa découverte de la ville d’Orange  où il a pu admirer des œuvres vraiment sympathiques : "je ne parle pas du théâtre antique et de l’arc de triomphe, on me les a fait admirer, mais ça ne vaut pas une femme nue. Par contre ça dure plus longtemps"Le retour en train, un train que la vitesse aurait pu faire capoter, est prétexte pour le pilote à plaisanter sur la hauteur qu’aurait atteint la vigie du wagon de queue en cas d'accident… "C’est le charme de l’aviation […] que de vous échouer quelque part dans une île déserte ou chez les peuplades d’Orange à la manière d’un naufragé. Un patelin virtuel et abstrait devient une vraie ville avec une « Grande Rue », un hôtel de la gare, ses vrais habitants grandeur nature. […] On y voit vendanger, faire du commerce et faire l’amour. On n’avait jamais cru tout ça. Et l’on est fier d’être français".



Après la C.A.F., Saint-Exupéry est engagé par la compagnie fondée par Latécoère, d’abord comme mécanicien puis comme pilote et effectue à partir de l’année 1927, les vols de la ligne Toulouse-Casablanca, puis Casablanca-Dakar. Rentrant du Maroc en janvier, faisant escale à Alicante, il écrit en hâte à son ami pour évoquer son périlleux labeur de pilote. Il écrit après plusieurs heures de vol, par un temps si effrayant qu’un de ses camarades a perdu la veille son passager : "il a passé par-dessus bord. Moi-même ai trois fois dépassé de toute la tête le plan supérieur, ce n’est plus du pilotage mais de la poêle à frire". Cette lettre comporte de très beaux dessins (silhouettes des rues d’Alicante : mendiants, vendeurs de journaux, ouvriers, bourgeois…).
Cinq mois plus tard, il est hospitalisé à Dakar après être tombé en panne  et avoir dû passer la nuit dans un village, pestiféré, où il a dû être piqué par des tas de sales bestioles. S’il ne se retenait pas, il s’adonnerait aux boissons fortes et ferait des petits à toutes les négresses de Dakar : "ce n’est déjà pas bien joli le Sénégal, mais quand on n’en voit qu’une cour d’hôpital ça perd tout pittoresque. On étouffe, on sue, on se bat avec les moustiques, on parle de la fièvre jaune qui menace, de la peste qui règne. […] J’ai maigri de sept kilos. C’est d’ennui", et il dessine un petit autoportrait, vu de face, mine tristement allongée. Revenu en France, au moment de la mort de sa sœur aînée, Marie-Madeleine, il se livre à d’émouvants aveux : "Elle était charmante et je l’aimais si tendrement, mais j’ai si mal su le lui dire. Je ne sais pas dire le fond de moi. […] Je te dis ça parce que tu es un si vieil ami -- autrement je déteste tout ce qui s’exprime".



La dernière lettre est écrite du Cap Juby, au Maroc, où Saint-Exupéry a été nommé chef de poste. Dans cette belle missive, parfaitement digne de l'atmosphère de Courrier Sud [qui paraîtra l'annés suivante], le pilote, qui vient d’apprendre les heureuses fiançailles de son ami Charles, décrit sa vie dans le Rif, les nuits d’alerte face aux Maures du Sahara, les fuites et les dépistages, à cheval ou à chameau, des tribus hostiles, les efforts  déployés pour sauver un avion tombé dans le désert : "Rien que des choses dures, une selle qui écorche les cuisses, une pioche pour dégager l’avion, qui blesse les mains et des hommes qui ne pensent qu’à la guerre, pas des hommes : du gibier. Et la nuit qui remet de l’ordre dans un Sahara anarchique. Resserre les troupeaux, resserre les tribus autour des puits, resserre même les gazelles qui, séparées, meurent de froid, mais qui n’est qu’un longue alerte. Alors ça fait un drôle d’effet d’entendre parler d ‘amour ! ça donne soif d’un tas de choses qui sont si loin". Et s’il rêve au doux repos qu’il pourra prendre auprès du jeune couple, installé en Provence, il est conscient de sa situation particulière : "ma pire mélancolie c’est d’avoir goûté à une vie, un peu celle des « gentilshommes de fortune », au dépouillement, à la misère, à l’avanture [sic]. Je ne sais plus si je suis capable d’être heureux. […] Je ne connaîtrai jamais plus d’un mois la douceur de vivre… -- J’ai goûté au fruit défendu. Une femme qui fasse un miracle. Ça arrive… Et je suis ému, presque bouleversé par ta lettre". Mais il doit interrompre sa lettre, ayant invité des chefs Maures à boire le thé : "je te quitte, je reprends ma vie".



A l’exception des dessins de la lettre d’Alicante, les nombreux dessins émaillant cette correspondance sont inédits, ainsi que la majorité des lettres elles-mêmes.



[On joint :]
- Une page de carnet avec 9 petits dessins originaux, à l’encre : visages d’hommes vus de profil, et au verso un plan esquissé d’une adresse parisienne, rue Saint-Dominique.
- 2 télégrammes de Saint-Exupéry adressés à Charles Sallès. Amberieu, 15 juin et Paris 20 septembre 1924.
- Saint-Exupéry, Simone de. 2 lettres autographes signées à Charles Sallès22 août 1921 et 16 novembre 1928  (carte postale illustrée et 1 p. in-8). Elle donne des nouvelles de son frère,  en poste à Casablanca en 1921, "un affreux trou", et en 1928, elle envoie un article de L’Intransigeant qui a été consacré à Antoine.



Références : Œuvres complètes, Pléiade, I, p. 841-858 (7 des 25 lettres sont éditées, parfois tronquées) ; voir aussi n. p. 1190-1191. -- Antoine de Saint-Exupéry, dessins. Gallimard, 2006, n° 342-344 pour la lettre d’Alicante de janvier 1927 ; y voir aussi les références de publication dans un catalogue d’exposition de 1984 (Paris) et de 1990 (Tokyo). -- Album pléiade, cette même lettre repr. nos 74 et 74bis.



Sur Charles Sallès, voir aussi lot 155.

Condition

Plis parfois marqués et quelques taches sans gravité.
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