
Dan Mask, Ivory Coast
Auction Closed
June 21, 04:43 PM GMT
Estimate
7,000 - 10,000 EUR
Lot Details
Description
Masque, Dan, Côte d'Ivoire
haut. 22 cm ; 8 4/6 in
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Dan Mask, Ivory Coast
Height. 22 cm ; 8 4/6 in
Loudmer - Poulain, Paris, Art Primitif, 21 juin 1976, n° 213
Collection Hélène Leloup, Paris, acquis lors de cette vente
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Loudmer - Poulain, Paris, Art Primitif, 21 June 1976, n° 213
Hélène Leloup collection, Paris, acquired in the above sale
Un masque deangle inédit, idéal de beauté dans le Haut-Cavally
Par Bertrand Goy
À l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, à proximité du fleuve Cavally qui marque la frontière avec le Libéria, se trouve la région du Tonkpi où demeurent les Dan autour de la « Ville aux 18 montagnes », Man, sa capitale. Cette population, composante la plus méridionale du groupe mandé, se distingue des autres membres de cet ensemble linguistique dont font, entre autres, partie les Bambara ; cette différence, particulièrement sensible pour ce qui est de leur culture matérielle, est attribuable à l’environnement naturel dans lequel ces peuples vivent, territoire enclavé entre forêts denses et pics montagneux pour les premiers, paysage dégagé de savanes arborées pour les seconds. Les Dan se singularisent ainsi par une production de masques d’une grande diversité, majoritairement images de visages humains d’un réalisme très éloigné des créations de leurs voisins du Nord privilégiant, par ailleurs, les représentions animales.
Le masque de Madame Leloup se caractérise en premier lieu par ses yeux étirés, la chéloïde en forme de tige verticale partageant son front en deux et se prolongeant ici le long du nez en soulignant la finesse, l’absence d’oreilles et une bouche charnue sans être disproportionnée. Ces éléments incitent à le classer parmi les deangle qui complètent l’accoutrement revêtu par les jeunes garçons « à la porte du devenir-homme [1]» paradant dans le village et se livrant à de joyeuses facéties pour solliciter des offrandes de nourriture de la part des femmes. Cette hypothèse n’exclut pas l’existence de masques identiques pouvant servir d’autres desseins dont l’infinie diversité tient à l’absence totale de normes imposées tant à leurs créateurs qu’à ceux qui les utilisent.
Les paupières lourdes marquant le visage de ce beau masque constituent un indice nous autorisant à suggérer une possible origine géographique. Lors de deux expéditions entreprises dans cette région de Côte d’Ivoire en 1933 puis 1938, le célèbre ethnologue et conservateur belge Frans Olbrechts, sillonnant villages et marchés, collectait un certain nombre de masques dan. L’un d’entre eux, désormais conservé à l’Africa Museum de Tervuren (EO.1967.63.118), acquis à Flampleu, présente cette même caractéristique. La localité, située au pied de la montagne Lonhon sur la route joignant Man et Danané, est évoquée par Pieter Jan Vandenhoute dans son ouvrage « Classification stylistique du masque dan et guéré dans la Côte d’Ivoire occidentale ». Sur les pas d’Olbretchs, son mentor, et peu de temps après son passage, il menait une mission dans le cercle du Haut-Cavally au cours de laquelle il acquérait 260 masques ; parmi ces derniers, il distinguait un sous-style régional dan, celui de Flampleu, dont « la caractéristique la plus frappante est la paupière supérieure qui forme une saillie en quart de sphère[2] ». Comme exemple de cette spécificité, il citait un « Masque-Ancêtre [3]» sculpté par Kmantadouwe, décédé vers 1904.
Le masque de la Collection Leloup pourrait être l’œuvre d’un de ses contemporains : malgré la densité de l’essence utilisée, sa légèreté, très appréciable pour le danseur, dit le talent d’un maître d’autrefois peu avare de son temps, affinant la pièce de bois de ses coups de gouge précis et patients, jusqu’à la réduire à une épaisseur digne de celle d’un masque no du Japon. Sur le front, le forage à l’ancienne des orifices qui permettaient d’accrocher une coiffe de fibre végétale ou de coton et la présence d’une cheville de bois dans l’un d’eux confirment cet âge avancé. L’envers du masque, quant à lui, démontre de façon patente l’ancienneté d’une sculpture qui garde les stigmates d’un usage long et répété malgré la dureté de l’euphorbiaceae dans lequel elle fut taillée.
Le temps a toutefois préservé la face ; il a même transmué le polissage rituel initial et les nombreuses onctions dont elle fut l’objet en une patine brune satinée qui intensifie la douceur et la mélancolie de ce visage à l’ovale régulier et aux traits délicats.
Cette œuvre réussit à atteindre l’idéal de beauté humaine auquel aspirent les sculpteurs de masques du Haut-Cavally. Madame Leloup ne s’y était pas trompée qui conserva celui-ci dans sa collection durant près de cinquante ans.
[1] « pforte zur mann-werdung” tiré de : Hans Himmelheber, Negerkunstler und Negerkunst, Braunschweig, K&B, 1960, p. 142
[2] P.J.L Vandenhoute, Classification stylistique du masque dan, Leiden, E. J. Brill, 1948, p. 28
[3] Couverture du catalogue Utotombo, Bruxelles, Société des Expositions du Palais des Beaux-Arts, 1988
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An Unprecedented Mask: Ideal Beauty in the Upper Cavally
By Bertrand Goy
In the extreme west of Côte d'Ivoire, near the Cavally River which marks the border with Liberia, is the Tonkpi region where the Dan live around the "City of 18 Mountains", Man, its capital. This population, the southernmost component of the Mande group, is distinct from the other members of this linguistic group to which the Bambara belong, among others. This difference, which is particularly noticeable in their material culture, is attributable to the natural environment in which these people live, a landlocked territory between dense forests and mountain peaks for the former, and an open landscape of wooded savannah for the latter. The Dan are distinguished by a production of masks of great diversity, mostly images of human faces of a realism very different from the creations of their northern neighbors who, on the other hand, prioritize animal representations.
The mask of Madame Leloup is characterized first and foremost by its stretched eyes, the keloid in the form of a vertical stem dividing its forehead in two and extending here along the nose, emphasizing the fineness, the absence of ears and a fleshy mouth without being disproportionate. These elements lead us to classify it among the deangles that complete the attire worn by the young boys "at the door of becoming a man[1]" parading around the village and engaging in joyful antics to solicit offerings of food from the women. This hypothesis does not exclude the existence of identical masks that could serve other purposes, the infinite diversity of which is due to the total absence of norms imposed both on their creators and on those who use them.
The heavy eyelids marking the face of this beautiful mask are a clue to suggest a possible geographical origin. During two expeditions to this region of the Ivory Coast in 1933 and 1938, the famous Belgian ethnologist and curator Frans Olbrechts collected several Dan masks, crisscrossing villages and markets. One of them, now in the collection of the Africa Museum in Tervuren (EO.1967.63.118), acquired in Flampleu, has this same characteristic. The locality at the foot of the Lonhon mountain on the road between Man and Danané, is mentioned by Pieter Jan Vandenhoute in his work "Classification stylistique du masque dan et guéré dans la Côte d'Ivoire occidentale". Following in the footsteps of Olbrechts, his mentor, and shortly after his visit, he conducted a mission in the circle of Haut-Cavally during which he acquired 260 masks. Among the masks he distinguished a regional Dan sub-style, that of Flampleu, whose "most striking characteristic is the upper eyelid which forms a quarter-spherical projection”. As an example of this specificity, he cited a "Mask-Ancestor" sculpted by Kmantadouwe, who died around 1904.
The mask in the Leloup Collection could be the work of one of Kmantaouwe’s contemporaries.
Despite the density of the wood used, its lightness, which is very appreciable for the dancer, shows the talent of a master of the past who refined the piece of wood with precise and patient gouges, until it was reduced to a thickness worthy of a Japanese mask. On the forehead, the old-fashioned drilling of the holes through which a plant fiber or cotton cap could be hung and the presence of a wooden peg in one of them confirm this advanced age. The reverse side of the mask, on the other hand, clearly demonstrates the age of a sculpture that bears the scars of long and repeated use despite the hardness of the euphorbiaceae from which it was carved.
Time has, however, preserved the face; it has even transmuted the initial ritual polishing and the numerous anointings to which it was subjected into a satin brown patina that intensifies the softness and melancholy of this face with its regular oval and delicate features.
This work succeeds in reaching the ideal of human beauty to which the mask sculptors of Upper Cavally aspire. Madame Leloup was not mistaken and kept this one in her collection for almost fifty years.
[1] Himmelheber, “pforte zur mann-werdung”, in Negerkunstler und Negerkunst, Braunschweig, 1960, p. 142