Proust, Marcel

Proust, Marcel

Le côté de Guermantes II. Sodome et Gomorrhe I. [Et :] Sodome et Gomorrhe II.

Paris, N.R.F., 1921 et 1922.

2 volumes in-8 (190 x 140 mm). Brochés. Boîte-étui à dos de maroquin crème et plat supérieur de plexiglas (A. Devauchelle).

DEUX VOLUMES AVEC LONGS ENVOIS À HENRI DE RÉGNIER : DE CANAQUE À CANAQUE.

Tous deux sont inconnus de Kolb.

Ensemble de deux éditions originales :

Le côté de Guermantes II. Sodome et Gomorrhe I : l’un des 30 exemplaires d’auteur sur vélin pur-fil Lafuma-Navarre (n° 505).

Envoi autographe signé : "A Monsieur / Henri de Régnier / hommage de ma plus / ancienne admiration / qui date de la Canne de Jaspe / et ne s’est jamais démentie / son ami bien reconnaissant / Marcel Proust", sur le premier feuillet blanc.

Cet envoi se souvient de la lecture qu’avait faite Proust en 1897, quand il écrivait une longue lettre de compliments à l’auteur de la Canne de jaspe : "Je ne quitte plus depuis hier la Canne de Jaspe, m’excusant dans la rue auprès de ceux qui rient de mes bras ballants sans autre canne, en montrant cet écrit" (Corr., XX, n° 360).

Considéré comme l'un des plus grands poètes de sa génération, ami de Verlaine et de Mallarmé, Henri de Régnier fut l’une des premières admirations du jeune Proust, qui fit paraître, en 1892, un compte rendu d’un recueil de poèmes de Régnier dans Le Banquet (voir lot 277). Ainsi que le souligne Proust dans son envoi, son admiration pour son interlocuteur était durable et sincère. On en retrouve la trace dans toute son œuvre : outre un pastiche de Régnier en 1909, on a pu reconnaître son influence dans Les Plaisirs et les Jours, et Proust lui-même soulignait sa dette pour la thématique du phénomène de la mémoire involontaire exploité dans la Double maîtresse. De son côté, critique littéraire, Régnier reconnut l’excellence de la Recherche, même si son article sur le Côté de Guermantes II, très réservé, affirmait que le roman comportait "bien des longueurs et bien des digressions."

Sodome et Gomorrhe II. Papier d’édition. Bruni.

Très bel envoi autographe signé sur le premier feuillet blanc : "À Henri de Régnier / à mon admiration / première, fidèle et / préférée. Après un / véritable "coma" ces / temps-ci, j’espère lui / dire souvent, me sentant / moins mal, ma profonde / reconnaissance. Je ne sais / si sa majesté la Reine / des Canaques désire un / exemplaire pour elle seule / Je lui en enverrai un bien / que la NRF me donne / cela au compte-goutte. / Très respectueusement, Marcel Proust".

Henri de Régnier dut être parmi les premiers à recevoir le roman, car son nom figurait sur la liste d’envois que Proust avait fait parvenir à Gallimard (Corr., XXI, p. 228), mais il ne put cette fois en faire la critique à cause de problèmes de santé qui l’empêchaient de lire (idem, p. 226), à moins que ce ne soit parce qu’il n'ait été scandalisé par le "pédérastique Sodome et Gomorrhe II" (Les cahiers inédits, p. 775). Peu bibliophile, Proust explique qu’il n’est pas parvenu, pour ses envois, à distinguer les grands papiers des autres, et qu’il a pu, par mégarde, envoyer un papier courant à la place d’un plus luxueux : ainsi s’explique le fait que cet exemplaire sur papier courant ne soit pas sur vélin comme Le Côté de Guermantes II. Sodome et Gomorrhe I, envoyé à Régnier un an auparavant (Corr., XXI, p. 231).

La Reine des Canaques dont parle Proust est Marie de Régnier, épouse d'Henri de Régnier et fille de José-Maria de Heredia, qui, après l’élection de son père à l’Académie française, en 1894, avait fondé avec Proust une Académie plus jeune et plus divertissante, l’Académie Canaque, dont elle se proclama première reine et qui eut une existence éphémère (1894-1895). Premier Canaque, le secrétaire perpétuel Marcel Proust se chargeait d’ordinaire des statuts et des harangues improvisées ; les autres membres de la "Canaquacadémie" furent les jeunes Henri de Régnier, Paul Valéry, Pierre Louÿs ou Léon Blum. Ainsi que le suggère l’envoi, Proust finira par envoyer également un exemplaire à Marie de Régnier (Corr., XXI, n° 164). Comme souvent, l’envoi évoque un passé révolu, une période joyeuse et insouciante qu’il a partagés avec ses correspondants.

Provenance : Henri de Régnier (envoi).

Référence : J. Suffel, "Marcel Proust et Marie de Régnier, reine des Canaques", Bulletin du Bibliophile, 1971, p. 379-381. -- P.O. Walzer, "Marie de Heredia, Pierre Louÿs, Proust, Valéry et l'Album canaque", Versants : revue suisse des littératures romanes, n° 4, 1983, p. 137-141.