Livres et Manuscrits

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View full screen - View 1 of Lot 28. JEAN COCTEAU. Portrait d'une tragédienne. Huile sur toile, signée "J" et datée 51 en bas à gauche. 146 x 114 cm.

JEAN COCTEAU. Portrait d'une tragédienne. Huile sur toile, signée "J" et datée 51 en bas à gauche. 146 x 114 cm

Lot Closed

June 30, 12:32 PM GMT

Estimate

15,000 - 20,000 EUR

Lot Details

Description

COCTEAU, JEAN


PORTRAIT D’UNE TRAGÉDIENNE.

1951.


Huile sur toile.

Signée "J" avec son étoile caractéristique, datée 51 en bas à gauche. Titrée et datée au verso par Cocteau.

146 x 114 cm.


Magnifique et grand portrait.


Voici ce qu'écrit Cocteau lui-même à propos de cette toile le 16 octobre 1951 :

"J’ai travaillé jour et nuit sur la grande toile neuve achetée à Nice par Édouard. Une grande tête de femme drapée de blanc derrière un rideau rouge qui tient toute la gauche. La tête est peinte dans les bleus pâles, les blancs et les bistres. (Terre d’ombre). J’étais parti de la Madone de Médicis. En fin de compte ma tragédienne ressemble au jeune homme de La Victoire. J’en conclus que le modèle était le même. Les figures de Michel-Ange à œil de poisson et à grande bouche." (Le Passé défini, I, 1951-1952, Gallimard, p. 65-66).


Le lendemain, il ajoute : "Presque terminé Le Portrait d’une tragédienne. Toile dure et douce qu’il ne faut pas pousser trop loin pour lui conserver son air de peinture large malgré le travail interminable des joues, du nez, de la bouche et de l’oeil. C’est le non-fini du rideau rouge et du linge sur la tête qui précisent le reste et lui valent le relief." (Idem, p. 66).


Dans le catalogue de l'exposition de 1953, l'artiste commente encore cette toile : "Cette tête a comme origine le modèle que Michel-Ange transformait en homme ou en femme selon le besoin de ses allégories".


"Ces couleurs denses et affirmées se mêlent par ailleurs, à d’importantes réserves noires ; Ce noir, très happant au début de la période picturale, est souvent employé comme fond. Dans Le Portrait d’une tragédienne, huile sur toile de 1951 ? la jeune femme antique, à laquelle Cocteau donne de façon troublante les traits anguleux de sa propre jeunesse, détache ainsi sa silhouette crayeuse et bleutée sur le noir du ciel sans lune qui bouche les deux tiers droits du tableau. Bien souvent, on a l’impression que ce noir est la couleur précieuse de la toile, la "couleur couleur" n’étant là que pour faire valoir sa pureté. C’est d’ailleurs une idée que Cocteau exprimera ouvertement en parlant de l’apport de la couleur au cinéma comme auxiliaire du "vrai" noir […]. En fait cette montée du sombre semble bien être l’un des aspects marquants de la peinture chez Cocteau. Elle se manifestera également par l’emploi, de plus en plus fréquent, de papiers à dessin fortement teintés – brun, vert soutenu, bleu foncé, brique et même noir – pour les pastels et les lithographies […]. Mais on retrouve aussi – pourquoi ne pas le dire ? – le goût même d’un Cocteau dont la chambre du Palais-Royal, tapissée de rouge sang de bœuf, enfermait son sommeil d’opiomane dans le décor de tuerie du cabinet de Barbe-bleue. À Milly-la-Forêt même, le lit d’écarlate surmonté d’un dais à cantonnière à grosses broderies noires dressait, au-dessus de sa malingre personne, la pompe d’une théâtralité étonnante dans ce lieu intime." (Fr. Ramirez et Chr. Rolot, Jean Cocteau l’œil architecte, ACR édition, 2000).


En 1953, dans Démarche d’un poète, "Cocteau consacre un chapitre à l’acte de peindre, que Cocteau sépare très fortement de l’acte de dessiner. S’il dessine depuis toujours, le poète est venu très tard à la peinture sur toile, durant l’hiver 1950. Il réalise alors une vingtaine de toiles en six mois, inaugurant ainsi une nouvelle direction de son œuvre. Sans doute y a-t-il là pour lui, pendant longtemps un domaine interdit, réservé à ce père suicidé quand il était enfant et sur lequel il reste très silencieux. Démarche d’un poète l’évoque brièvement : "De lui surtout me reste le souvenir très vif d’une odeur de palette et d’huile que je trouvais délicieuse. Il peignait avec beaucoup d’aisance. Je restais assis près de sa chaise". Par ailleurs, si Cocteau a souvent écrit sur la peinture des autres, sa fréquentation des grands peintres et surtout son admiration sans bornes pour Pablo Picasso ont certainement contribué à retarder son passage à l’acte pictural". " (Jean Cocteau peintre, Bibliothèque Interuniversitaire Montpellier).


Expositions :

- Jean Cocteau. Gemälde, Andteppiche, Eichnungen. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen Munchen, janvier-mars 1952, n° 14.

- Jean Cocteau. Tapisserie, Peintures, Dessins. Nice, Galerie des Ponchettes, 9 février-8 mars 1953.

- Jean Cocteau le Mythologue. Milly-la-Forêt, Maison Jean Cocteau, 2 avril 2016-17 décembre 2017, reproduit p. 7.

- Plusieurs étiquettes d'expositions figurent sur le châssis dont : Jean Cocteau et la Grèce, 1951 ; Jean Cocteau, 1951 par l'Association des Amis du Musée ; Tokyo (n° 141) ; Staatliche Baden-Baden (n° 253) ; ainsi que des étiquettes d'acheminement de la maison Chenue.


Provenance : Succession Stéphane Dermit.


Un certificat du Comité Jean Cocteau sera remis à l’acquéreur.




"Je me suis mis à peindre par fatigue de l’encre et par un besoin de changer de véhicule, d’expulser ce qui m’encombre par d’autres portes. Je me suis mis à peindre parce que j’avais découvert que l’acte de peindre nous sort de nous-mêmes au point de nous anesthésier, de nous rendre insensibles à ce qui n’est pas le tableau." (Jean Cocteau, Démarche d’un poète, 1953.)


C’est un événement important pour les collectionneurs de Jean Cocteau, qu’ils soient bibliophiles ou amateurs de dessins et peintures de l’artiste, que la dispersion de neuf œuvres de l’artiste, quatre huiles sur toile et cinq techniques mixtes sur carton.


Ses premières huiles ont pour thème des sujets empruntés à la Bible ou à la mythologie comme le montrent les quatre huiles présentées ici.


Elles sont exceptionnelles tant par leur provenance que par leur rareté et leurs tailles.


Leur provenance, d’abord, est importante, car elles sont restées dans la "famille" depuis leur création, famille à la manière de Cocteau, famille "de cœur" comme le dit joliment Carole Weisweiller, la fille de Francine, grande amie de Cocteau. L’écrivain avait adopté Edouard Dermit à la fin des années 50 et en avait fait son légataire universel. Au décès de Cocteau, sans qu’il y ait une vente de succession, tout ce que l’artiste possédait est revenu à Dermit puis à ses deux enfants Stéphane et Jean. Et ce sont maintenant les deux enfants de Stéphane qui proposent ces neuf œuvres aux enchères.


La rareté de ces œuvres est également à souligner. Il est difficile d’évaluer le nombre d’huiles sur toile peintes par Cocteau, mais il semble juste de dire quelques dizaines. Carole Weisweiller nous dit que Cocteau a commencé à peindre à l’huile en 1951 quand Francine Weisweiller, sa mère, a décidé de transformer la serre de sa maison Santo Sospir de Saint Jean Cap Ferrat en un atelier pour l’artiste. À ce moment Weisweiller, Dermit et Cocteau se sont mis à peindre, souvent ensemble. Cocteau a continué de façon intermittente jusqu’à sa mort en 1963. Nous avons vu quelques toiles dans la vente de la succession Jean Marais, il y en a au musée Cocteau de Menton et il en reste quelques-unes chez quelques collectionneurs que l’on compte sur les doigts des deux mains. Le centre Pompidou possède une huile sur carton "Sommeil hollywoodien", 1953.


Enfin, la taille des œuvres est exceptionnelle, particulièrement celle des quatre huiles sur toile. Cocteau avait toujours besoin de dessiner, il dessinait comme il respirait, sur tout ce qu’il avait sous la main. Et il y a des centaines de dessins. Mais pour peindre sur toile, et en grand format, il fallait un atelier, des supports, des tubes de peintures, des outils... toutes choses qu’il n’avait pas dans le minuscule appartement de la rue Montpensier à Paris, ni même dans la petite maison de Milly-la-Forêt. On peut certainement dire que Cocteau aimait ces neuf œuvres, il les a gardées à Milly, rarement montrées. Quant à Edouard Dermit il les a très peu prêtées, seulement à quelques musées choisis, jamais vendues. 


Je pense sincèrement que nous avons, avec cette vente chez Sotheby’s, une opportunité qui ne se reproduira sans doute pas, de pouvoir choisir entre neuf œuvres significatives du talent de Jean Cocteau. 


Patrick Martin

Expert de l’œuvre graphique de Jean Cocteau Comité Cocteau. Paris.