Lot 34
  • 34

MASQUE, GURO, CÔTE D'IVOIRE |

Estimate
600,000 - 800,000 EUR
bidding is closed

Description

  • haut. 29,5 cm ; 11 5/8 in

Provenance

Collection Marceau Rivière, Paris, acquis ca. 1978 

Exhibited

La Flèche, Château de Carmes, Arts premiers de Côte d'Ivoire, 11 janvier - 3 mars 1997 / Nogent-le-Rotrou, Musée municipal du Château Saint-Jean, 8 mars - 28 avril 1997
Turin, Galleria d'Arte Moderna,  Africa. Capolavori da un continente, 2 octobre 2003 - 15 février 2004
Le Mans, Carré Plantagenêt, musée d'archéologie et d'histoire, Masques d'Afrique, 12 mai - 29 août 2010
Milan, Museo delle Culture, Africa. La Terra degli spiriti, 27 mars - 30 août 2015

Literature

Bastin, Introduction aux Arts d'Afrique Noire, 1984, p. 175, 411 et couverture, n° 154
Fischer et Homberger, Die Kunst der Guro, Elfenbeinkuste, 1985, p. 165, n° 59
Boyer, Girard et Rivière, Arts premiers de Côte d'Ivoire, 1997, p. 71 et 130, n° 57
Bassani, Africa. Capolavori da un continente, 2003, p. 193 et 357, n° 3.38
Fischer, Guro. Masks, Performances and Master Carvers in Ivory Coast, 2008, p. 356, n° 365
Joubert et Rivière, Masques d'Afrique, 2010, p. 37, 90 et 91, n° 30
Neyt, Trésors de Côte d'Ivoire, 2014, p. 97, n° 62
Bassani, Homberger, Pezzoli et Zevi, Africa. La Terra degli Spiriti, 2015, p. 79

Catalogue Note

Vali gù des Guro Par Alain-Michel Boyer

 Avec le visage qui s’inscrit dans un ovale effilé, délicatement rétréci en direction du menton, ses surfaces polies, ses formes adoucies, frémissantes, ce masque est un témoignage magistral de la recherche de la forme organique propre aux Guro. Il se distingue parmi d’autres réalisations analogues par la remarquable finesse de ses traits, leur singulière exactitude : sous les paupières striées d’incisions, les yeux mi-clos amplifient l’intensité contenue et le sentiment d’intériorité ; la bouche aux lèvres minces, dessinant un autre ovale, découvre de petites dents qui frappent par leur régularité ; le nez est ciselé avec un exceptionnel réalisme et la coiffure, agencée en quatre arcs de cercle, atteint le sommet du raffinement. Nul étonnement si les Guro, qui possèdent un sens esthétique aiguisé, préfèrent ce type de masque à tous ceux qui existent chez eux : ils disent à son égard qu’il est yazma, «ravissant».

Il relève de la catégorie des et compose avec deux autres une famille : le premier à danser, zamble, masque animalier, est son mari; le grotesque zauli, frère de ce dernier, a pour rôle de mettre en valeur la grâce de , épouse de zamble. Plus précisément, le masque de la Collection Marceau Rivière s’appelle Vali gù, c’est-à-dire « dyula», mot désignant en Côte d’Ivoire une commerçante musulmane. Quelques signes l’attestent[1] : le haut chignon orné de plumes, les couettes prenant naissance de chaque côté des tempes (l’une a été brisée), les scarifications en haut du front et entre les deux yeux. Ce masque ne représente donc pas une femme Guro, mais une belle étrangère de passage, une Malinké ou une Peule, toujours considérées par les autochtones comme « troublantes », « ensorcelantes », terriblement séduisantes. Elle avait subjugué le sculpteur par sa beauté et la teinte claire de sa peau – ce qui est rendu ici par le recours au rouge[2], jadis obtenu en écrasant avec de l’œuf les graines du fruit d’un arbre, le nyo (le rocouyer, Bixa orellana).

Ce masque porte au dos des graphèmes tracés selon le syllabaire des Guerzé[3]. Comment expliquer cette présence chez des Guro longtemps restés sans écriture. Or, dès 1897, le premier Occidental qui «pénétra» chez les Guro (il fut leur captif), Joseph Eysseric, notait que des nomades traversant la région vendaient des feuillets avec des inscriptions, que les villageois portaient en amulettes autour du cou, pliés dans des étuis de cuir[4]. Certaines femmes plaçaient ces talismans, nommés saba, au sommet de leurs coiffures, ce qui advient encore aujourd’hui[5]. Il est habituel en Afrique que des animistes tirent parti de tous les secours à leur disposition, surtout s’ils ont une origine étrangère : l’éloignement leur confère une puissance accrue[6]. Que ces signes, ici appelés to-ma-si par les Guro, aient été tracés à l’endroit où le danseur plaquait son visage - donc pour être au contact de son épiderme - attestent qu’ils avaient une valeur propitiatoire. Des formules identiques, avec les mêmes glyphes, sont tracées dans différents carrés : cette duplication témoigne de leur portée magique.

C’est un paradoxe de l’art des Guro : le masque Vali gù représente une créature dangereuse pour son danseur (par exemple, il doit la veille s’abstenir de toute relation sexuelle). Car c’est un yo, divinité ambivalente, bienveillante, maléfique, dont il faut se protéger par ce talisman ; mais qu’il importe aussi de conjurer, voire de séduire, de charmer, par la distinction de la sculpture et sa grâce qui atteint ici son paroxysme.

[1] Voir: Eberhard FISCHER, Guro, Munich, Prestel Verlag, 2008, p. 222.

[2] En langue guro, un même mot désigne une personne au teint clair et une personne rougeaude (ainsi que les albinos).

[3] Les Guerzé vivent en Guinée forestière (et au Liberia, où ils sont appelés Kpelle), à la frontière de la Côte d’Ivoire. Ils parlent une langue mandé-sud, comme les Guro. Leur syllabaire fut inventé vers 1930 (par Gbili, chef d’un village du Liberia) mais son usage étant très limité, il fut éphémère (une dizaine d’années) et remplacé par l’alphabet latin (avec quelques lettres additionnelles). Leur syllabaire est analogue à celui des Loma, inventé à la même époque, et lui aussi disparu.

[4] Joseph EYSSERIC, Rapport sur une mission scientifique à la Côte d’Ivoire, Paris, Nouvelles archives des missions scientifiques, Imprimerie Nationale, 1899, p. 241.

[5] Voir une photographie dans : Eberhard FISCHER, Guro, Munich, Prestel Verlag, 2008, p. 66. Voir également p. 222-223.

[6] Voir : Alain-Michel BOYER : Kulango Figurines/Figurines kulango, Milan, 5Continents, 20017, p. 81.

Vali gù of the Guro

By Alain-Michel Boyer

With its face a slender oval, delicately tapering towards the chin, its polished surfaces, its softened, vibrant forms, this mask is a masterful testament to the research around the organic form by the Guro. It stands out from other comparable productions for its remarkably fine features, and their unique accuracy: underneath the eyelids streaked with incisions, half-closed eyes magnify the contained intensity and the feeling of interiority. The mouth, with its thin lips drawing another oval, reveals small teeth that are striking in their regularity. The nose is carved with exceptional realism and the coiffure, arranged in four semi-circles, is the epitome of refinement. No wonder that the Guro, who have a keen aesthetic sense, prefer this type of mask to all the ones that exist at home: they say its is yazma "ravishing". 


The Rivière mask falls within the category, and, along with two others, it is part of a family: the first to dance, zamble, an animal mask, along with its husband, the grotesque zauli, brother of the latter, is intended as a foil to highlight the grace of the , wife of the zamble. To be more precise, the Marceau Rivière collection mask is called Vali gù, ie. “ dyula”, a word used in Côte d’Ivoire to refer to a Muslim saleswoman. Some signs point to it : the high chignon adorned with feathers, bunches arising on either side of the temples (one of which has been broken), scarification on the upper part of the forehead and between the eyes. This mask does not represent a Guro woman, but a beautiful foreigner passing through, a Malinke or a Fula woman possibly, always considered by the natives as "troubling", "bewitching", terribly attractive. She enthralled the sculptor with her beauty and the lightness of her skin - which is rendered here with the use of red, that used to be obtained by crushing an egg with the seeds of the fruit of a tree, the nyo (achiote, Bixa orellana). 


The back of this mask is inscribed with graphemes drawn from the syllabary of the Guerze . How can this be explained when the Guro long remained without writing? As early as 1897, the first Westerner who "entered" Guro territory, Joseph Eysseric, noted that nomads traveling across the region would sell loose leafs bearing inscriptions that the villagers wore as amulets around their necks, folded into leather cases . Some women placed these talismans, known as saba, atop their coiffures, which still occurs today. In Africa it is quite common that animists take advantage of all the help available to them, especially from a foreign origin: remoteness thus conferring greater power. Having these signs - known here as tɔ-ma-si by the Guro - traced where the dancer would put his face - so as to be in contact with his skin - shows that they had a propitiatory value. Identical formulas, reproducing the same glyphs, are drawn in different squares: this duplication reveals their magical significance.
That is a paradox of Guro art: the Vali gù mask represents a creature that is dangerous to its dancer (for instance, he must abstain from sexual intercourse on the day before). Because it is a yo, an ambivalent deity, benevolent, evil, which must be warded off with a talisman, but which must also be conjured, indeed seduced, charmed, through the distinction of the sculpture and the grace that reaches its paroxysm here.