Lot 175
  • 175

Proust, Marcel

Estimate
5,000 - 8,000 EUR
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Description

  • Proust, Marcel
  • Importante lettre autographe signée à Max Daireaux. 102 bd Haussmann [peu après le 18 juin 1913].
  • ink on paper
9 p. in-12 sur 3 bifeuillets. Signée "Tendres amitiés, Marcel".

Relisant les épreuves de Swann, Proust veut vérifier la justesse de ses descriptions.



Longue lettre montrant la méticulosité de l’écrivain, ses recherches infinies pour trouver un mot.



Ingénieur civil des Mines, Max Daireaux est l’ami idéal pour répondre à quatre "choses scientifiques qui [l’]ont embarrassé dans la correction de [s]on livre" :



Un lever de soleil comparé à la coagulation d’un œuf propulsé. Il l'interroge d’abord concernant un passage qui, finalement, n’apparaîtra que plus tard dans Sodome et Gomorrhe : "À un endroit […] je veux dire que le soleil au moment où il se lève, où il bondit de derrière un nuage, fait ce mouvement [...] comme un œuf […] sans qu’on ait touché à lui, par le changement de densité qu’a amené sa coagulation. Or un changement de densité […] peut-il rompre un équilibre, amener un mouvement de propulsion ?" Sur la suggestion de Daireaux, Proust modifie les épreuves et le passage deviendra : "l'œuf d'or du soleil, comme propulsé par la rupture d'équilibre qu'amènerait au moment de la coagulation un changement de densité" (Pléiade, III, p. 512).



Le plan de l’appartement de Swann. S’interrogeant sur la justesse du mot "plan", Proust résume presque toute l’intrigue d’un passage qui apparaîtra dans les Jeunes filles en fleurs, au sujet des rêveries du narrateur sur l’appartement de Gilberte : "Il y a dans mon livre un certain appartement. Or des années avant un des personnages qui [y] habite maintenant, comme mari de la dame […] avait souvent rêvé comme à un bonheur impossible d’un appartement où il vivrait avec elle, d’une salle à manger commune etc. D’autre part […] [m]oi qui suis amoureux de la fille j’ai rêvé longtemps de l’appartement qu’elle habitait avec ses parents. […] Puis-je dire qu’il est le plan (?) où viennent coïncider (?) (ou converger ?) les appartements engendrés et décrits (?) par l’imagination du mari (qui ne l’était pas encore), de moi etc." Sur les épreuves de 1914, le texte corrigé devient : "Comment aurais-je encore pu rêver de la salle à manger comme d'un lieu inconcevable […] ? cet appartement où il me recevait pouvait être considéré comme le lieu où étaient venus se confondre, et coïncider, non pas seulement l'appartement idéal que mon imagination avait engendré, mais un autre encore, celui que l'amour jaloux de Swann, aussi inventif que mes rêves” (Pléiade, I, p. 528, nous soulignons).
Un petit dessin semblant montrer un plan d'appartement est annoté : "appartement réel".



Le regard de M. de Norpois. Il se renseigne ensuite sur la justesse d’une expression décrivant des "regards verticaux et obliques" que l’on peut avoir quand on cache quelque chose à son interlocuteur, et cite un passage du roman qu’il souhaite que Daireaux vérifie : "j’avais surpris sur le visage de M. de N[orpois] une expression de mécontentement  et dans les yeux le regard étroit vertical et oblique (comme dans le dessin en perspective d’un solide, une de ces faces opposées au spectateur) [les mots de la parenthèse sont soulignés] qui s’adresse à cet interlocuteur invisible". Pour illustrer son propos, il dessine un petit cube vu en perspective. La description de ce regard prendra place dans les Jeunes filles (Pléiade, I, 470). En juillet, il interrogera aussi André Foucart, autre jeune ingénieur rencontré à Cabourg, sur cette question de cube (Kolb, XXI, p. 652).



Sur le style de Bergotte. La dernière interrogation concerne un terme qui apparaîtra dans les Jeunes filles à propos du style de Bergotte : "Comment faut-il dire pour une vision trouble “comme celle que l’on a à travers un verre… fumé ?” (mais elle n’est pas trouble je crois) ; dépoli ? (mais je crois qu’on ne voit absolument rien ? D’ailleurs cela peut aller si on ne voit presque rien pourvu qu’on aperçoive vaguement quelque chose.” L’expression sera utilisée quand le narrateur expliquera à quel point le style de Bergotte est changeant : “cette dissemblance était probablement -- vue d'une façon trouble à travers la conversation, comme une image derrière un verre fumé -- un autre aspect de ce fait que quand on lisait une page de Bergotte, elle n'était jamais ce qu'aurait écrit n'importe lequel de ces plats imitateurs" (Pléiade, I, p. 540, nous soulignons).



Références : Kolb, XII, n° 92. -- L’Agenda 1906, 2015 (en ligne), f. 14, 15, 15v et 16v.



Sur Max Daireaux, voir lot 165.