Lot 157
  • 157

Proust, Marcel

Estimate
2,000 - 3,500 EUR
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Description

  • Proust, Marcel
  • Amusant poème autographe. [Vers 1907.]
  • ink on paper
1 p. in-12 (173 x 112 mm).

Curieux poème qui aurait été destiné à Reynaldo Hahn : un bien vilain couple. Proust dresse un portrait piquant d’un homme un peu sot (du moins n’a-t-il "pas inventé la poudre") dont l’épouse est plutôt laide ("un Lancret raté" [et non "renté" comme lit Kolb]). Proust devient grivois quand il évoque une tache sur la robe de cette femme, une tache de thé, dit-il, pour ne pas être plus grossier… Et de l’imaginer vêtue de la même robe à col "berthe" que Thérésa, c’est-à-dire la chanteuse de café-concert Emma Valladon (1837-1913). Celle-ci n’était pas exactement un modèle d’élégance, ainsi qu’en témoigne Reynaldo Hahn, qui se souvient l’avoir vue enfant : "Elle me sembla hideuse. Étalant une obésité d'ogresse, elle marchait, solennelle, le ventre en avant, corsetée selon la mode du jour. Elle portait sur une jupe de satin rose ornée de dentelles un petit corsage en pointe, très décolleté et qui, échancré sur les hanches, dégageait amplement ses flancs et laissait s'épancher, nus jusqu'aux épaules, ses énormes bras, mous et poudrés" (L'Oreille au guet Gallimard, 1937, p. 229-230). Ailleurs il cite sur elle le polémiste catholique Veuillot : "Notre chanteuse joue sa chanson autant qu'elle la chante. Elle joue des yeux, des bras, des hanches, hardiment. Rien de gracieux; elle s'exerce plutôt à perdre la grâce féminine; mais c'est là peut-être le piquant, la pointe suprême du ragoût."



Un homme [nom déchiré] "n’a pas inventé
La poudre.
Sa femme est un Lancret raté,
Sans poudre.
Une tache -- disons, par réserve -- de… thé --
Saupoudre
Sa jupe que bientôt s’en va la vétusté
Découdre
Et pourtant je la vois assez bien sous
la berthe
De Thérésa, en organdi.
C’est pourquoi je préfère encore [nom déchiré]
J’ai dit."



Une lecture plus crue est peut-être possible : cette femme laide qui se glisse "sous la berthe" de Thérésa entretient peut-être une relation lesbienne avec elle, et son mari serait non seulement bêta, mais aussi cocu. Cette lecture est d’autant plus tentante que Thérésa avait la réputation d’être homosexuelle ("aussi caricaturale comme lesbienne que lui [le chanteur Charlus] comme tapette", selon Chr. Gury, p. 210).



Proust a censuré les noms propres en déchirant les coins du feuillet.



Références : Hahn, n° XCIV, p. 147. -- R. Hahn, L'Oreille au guet, 1937. -- Chr. Gury, Charlus ou Aux sources de la scatologie…, 2002.