Lot 57
  • 57

Augustin Bocciardi, 1719 - 1797 Important coffret à entrailles

Estimate
35,000 - 50,000 EUR
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Description

  • Augustin Bocciardi
  • Important coffret à entrailles
  • signé ANÖ BOCC[I]ARDI FECIT et daté de manière indistincte A° 1779 ou 179[-]
  • en marbre blanc sculpté; ouvrant sur deux compartiments avec leurs couvercles
  • 38 x 39 x 24 cm; 15 by 15 1/3 by 9 1/2 in.

Provenance

Ancienne collection du baron Jacques Félix Emmanuel Hamelin (1768-1839), amiral français sous Napoléon Ier; puis resté dans sa descendance; collection privée française.

Literature

S. Lami, Dictionnaire des Sculpteurs de l'Ecole Française au Dix-huitième Siècle, Paris, 1910 (réed. 1970), pp. 71-72.

Catalogue Note

Après avoir été reçu à l’Académie de Saint-Luc en juillet 1760, le génois Agostino Bocciardi va exposer aux Salons de 1762 et 1764. Il est ensuite employé, comme « sculpteur », par les Menus-Plaisirs à partir de 1765[1], tout en conservant une clientèle privée : en 1779, il travaille à l’Hôtel de Villeroy et, vers 1782, il participe au décor de l’Hôtel de Senecterre, rue de l’Université. Son activité au sein des Menus-Plaisirs fut assez diversifiée : sculpteur il est aussi lapidaire, comme en témoignent les deux paires de vases de porphyre conservées au Louvre[2] et celui monté sur une demi-colonne du Metropolitan Museum, qui proviennent tous du duc d’Aumont[3]. Agostino Bocciardi contribue, en 1770, à l’ornementation du serre-bijoux que la ville de Paris offre à la nouvelle Dauphine, Marie-Antoinette (n. retrouvé[4]) et, en 1777, il fournit la cheminée du pavillon de Bagatelle conçu par le comte d’Artois[5]. L’année suivante, il livre deux vases de marbre blanc veiné et quatre de marbre griotte au marquis de Marigny[6] (n. retrouvés). Dans ces mêmes années, il réalise, pour la Reine, la cheminée de marbre ornée d’une superbe frise naturaliste de Gouthière qui se trouve toujours dans le boudoir turc de Fontainebleau dont le décor initial a été remanié par Joséphine de Beauharnais.

L’objet que nous présentons se rattache à ce qui semble avoir été une autre spécialité de Bocciardi : le décor funéraire. Ainsi, il aura contribué à la pompe funèbre  d’Élisabeth Farnèse en 1765 et, la même année, au mausolée du Dauphin puis, deux ans plus tard, de son épouse, Marie-Josèphe de Saxe, à la pompe funèbre de Marie Leczinska (1768), à celle de Carlo Emmanuele III de Sardaigne (1773) et, l’année suivante, au mausolée de Louis XV dessiné par Papillon de La Ferté. La dernière cérémonie à laquelle il contribue fut la pompe funèbre organisée à Paris en 1781 pour la mère de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Impératrice d’Autriche. Nouvelle preuve de son intégration, Bocciardi aura successivement épousé deux françaises, Marguerite Duaret qui meurt en 1774, puis, en 1792, Jeanne Faconnet qui, après s’être remariée, lui survivra vingt ans. L’inventaire après décès d’Agostino devenu Augustin Nicolas Bocciardi, dressé le 10 Messidor An X [29 juin 1802], le présente comme « marbrier sculpteur » mais ne donne aucun détail sur ses ouvrages car les  « trente deux pièces qui sont devis & marchés, ne pouvant servir que de renseignements », n’ont pas été décrites mais seulement cotées[7].

Ce coffret en marbre sculpté est destiné à recueillir les restes d’un défunt avant d’être placé dans une chapelle où il sera scellé au pied d’un relief ou d’un tombeau, ce qui explique l’aspect brut de la face arrière. Sous le couvercle, deux réceptacles cylindriques –dont on conserve aussi les opercules en marbre– devaient recevoir des cylindres de plomb, les parties « nobles » étant ainsi séparées des autres. Même si l’essentiel du décor se développe sur la face principale et sur le dessus, une grande attention a été porté aux parties moins visibles. Ainsi la guirlande de lauriers, qui est nouée au dessus de la serrure et du motif principal, se poursuit sur les côtés de part et d’autre d’un bouton décoré d’une rosace. On peut aussi remarquer comment le ruban de la médaille qui est sculptée sur le couvercle se termine, derrière le lion, par un très élégant nœud enserrant une gerbe de palmes. Autre signe du soin apporté à ce décor, les deux chutes de trophées qui marquent les angles sont différenciées : celle de gauche comporte un faisceau de licteur, une épée, une masse d’arme et un gantelet, et celle de droite est sculptée d’un carquois, de deux lances courtes et d’un bouclier plus élaboré et décoré. Le motif principal est composé de deux putti ou génies : l’un, assis sur la dépouille d’un lion et tenant une masse offre une allusion directe à Hercule, et l’autre, qui est muni d’ailes, semble se délivrer de ses chaînes (terrestres ?). L’état quasiment impeccable de cet objet, sans restaurations apparentes, permet d’admirer la qualité de la taille du marbre, les détails et la finesse des éléments sculptés, notamment le groupe des enfants et le lion au traitement joliment naturaliste. C’est un très bel exemple du travail des sculpteurs français de cette époque et de la manière dont ils maintenaient la réputation acquise par les artistes des générations précédentes.

Une tradition familiale, perpétuée par les propriétaires actuels mais que nous n’avons pu confirmer, voudrait qu’il ait été commandé par le quatrième et dernier Prince-Évêque français de Strasbourg[8], Louis-René Édouard de Rohan (1734-1803), surnommé « le Cardinal Collier » suite à sa mésaventure, pour honorer son prédécesseur, Louis-César Constantin de Rohan-Guéménée (1697-1779). Mais l’absence de tout attribut religieux dans le décor sculpté ou d’alvéoles qui auraient pu fixer des accessoires de cuivre ou de bronze se rapportant à ses fonctions, permettent d’envisager que cet objet a pu être commandé pour un membre laïc de cette famille. Nous proposons, à titre d’hypothèse, d’y reconnaître Charles de Rohan-Soubise (1715-1787), Maréchal de France et Ministre d’État, dont on sait qu’il fut proche de son cousin, même si l’affaire du Collier et la faillite retentissante de son gendre, le Prince de Guéménée, lui firent perdre sa position à la Cour. Les nombreux attributs guerriers visibles dans le décor de ce coffret et la présence de la croix « à huit pointes boutonnées » de l’Ordre Royal & Militaire de Saint-Louis, dont le maréchal de Rohan fut Grand-Croix, viendraient étayer cette hypothèse.

 L’aspect dénué de toute sculpture de l’écusson, qui ne semble pas rapporté a posteriori après une possible déprédation, permet de supposer que ce coffret ne fut jamais livré, ce qui expliquerait son très bon état de conservation. L’explication la plus probable tient à la situation matérielle du prélat souvent fragilisée par son goût du faste. Son opulence avait d’ailleurs fait jaser lors de son ambassade à Vienne (1772-1774). Néanmoins, malgré la perte de ses propriétés de Strasbourg et de Saverne, il en conservait quelques beaux restes au moment de sa mort à Ettenheim en 1803[9].

Nous remercions Monsieur Moana Weil-Curiel pour ses recherches en archives et son aide précieuse dans la rédaction de cette notice.

[1] « J’ai aussi recu l’ordre de M. le duc d’Aumont de faire travailler le sieur Bocciardi, sculpteur, dans les Menus, quoiqu’il n’y ait rien à faire » (Journal de Papillon de La Ferté, à la date du 11 février).

[2] Les plus beaux de ceux qui passent dans le commerce sont régulièrement attribués à Gouthière et Bocciardi. La qualité de son travail permet d’envisager que Bocciardi soit le lapidaire du superbe brûle-parfum en jaspe rouge et bronzes dorés de Gouthière acheté par Marie-Antoinette à la vente après décès du duc d’Aumont qui est conservé à la Wallace Collection.

[3] Sans doute motivé par son goût personnel, et par la concurrence des marchands-merciers, le duc d’Aumont avait installé un atelier lapidaire dans l’hôtel des Menus-Plaisirs du Faubourg Poissonnière. Le ciseleur Pierre Gouthière (1732-1813), le sculpteur Agostino Bocciardi, et le polisseur Charles Guillemain y travaillaient sous la direction de François-Joseph Bélanger (1744-1818).

[4] Voir R. Tilles, Bulletin du CRCV, 2015 [consultable en ligne].

[5] C. Baulez, 1986, p. 575, fig. 14. Mais la plaque rapportée en 1864 par Lord Hertford n’est pas d’origine.

[6] Chaque vase de marbre blanc veiné sera payé 404 livres 18s et les quatre vases de marbre griotte « avec anneaux de bronze doré d’or moulu » 660 livres 3s. l’unité (A. Gordon [dir.], 2003, p. 75 et 87, d’après Paris, B. H. V. P., Fonds Marigny, N. A. 106bis, fol. 157-159).

[7] De plus les différents registres, livres-journaux et livres de compte mentionnés dans cet inventaire ne concernent que les années postérieures à 1790.

[8] Ils sont tous issus de la lignée des Rohan : Armand-Gaston de Rohan (1674-1749), qui fit construire le Palais de Strasbourg et l’hôtel parisien qui conservent leur nom, Francois-Armand de Rohan-Soubise (1717-1756) dit le Cardinal de Soubise, Louis-César Constantin de Rohan-Guéménée (1697-1779) qui, après avoir succédé à son oncle, attendra cinq ans pour obtenir le cardinalat, mais ne sera pas Grand Aumônier de France, et Louis René Édouard.

[9] La rubrique des papiers de son inventaire après décès conservé au Landesarchive du Baden-Wurtenberg à Karlsruhe ne comporte que des documents relatifs à ses revenus et propriétés.