Lot 215
  • 215

Proust, Marcel

Estimate
20,000 - 25,000 EUR
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Description

  • Proust, Marcel
  • À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Placard manuscrit. [1914-1919].
  • ink on paper
Exceptionnel et très précieux placard encore inconnu, en grande partie manuscrit.

Placard composé de 24 fragments manuscrits (19) ou imprimés (5), répartis en 4 colonnes et collés sur une feuille in-plano (498 x 645 mm). Annotation manuscrite du typographe "Cahier violet n° 18" au crayon bleu dans le coin supérieur gauche. Filigrane "JD Daguerre" sur le papier de support ; filigrane "Papier des Deux Mondes" pour certains fragments manuscrits.
Traces de pliures.




Les épreuves de Grasset retravaillées pour la N.R.F. Après la publication de Du côté de chez Swann en 1913, Grasset avait commencé, en 1914, celle d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs, mais la guerre survint et retarda la publication. Proust en profita alors pour corriger son texte : travaillant à partir des épreuves imprimées pour Grasset en 1914, il corrigea le texte et l’augmenta considérablement. Pour rendre la nouvelle version plus lisible, Mlle Rallet, la dactylographe de la N.R.F. (auprès de laquelle Proust avait été convaincu d’éditer la suite de son roman) qui avait pour tâche de tout retranscrire (Kolb, XVII, p. 444 et note), eut l’idée originale de coller bout à bout les fragments manuscrits provenant du "cahier violet" et les épreuves, corrigées ou non, sur de grandes feuilles. Ce faisant, elle morcela ainsi à la fois le manuscrit de Proust, les épreuves corrigées de Grasset (pour l’édition prévue en 1914) et celles de Gallimard (pour l’édition de 1919) en vue de la première édition de ce volume (1919), formant ainsi "une extraordinaire marqueterie" (P. Clarac). Enthousiasmé par le résultat, Proust commente ainsi ces placards : "le manuscrit […] malgré mon affreuse écriture […] est ravissant et a l’air d’un palimpseste à cause de la personne qui le collait avec un goût infini" (Kolb, XVIII, p. 295).



Les placards joints à l’édition de luxe de 1920. Si l’achevé d’imprimer d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs est à la date du 30 novembre 1918, l’ouvrage ne sortit en librairie que le 23 juin 1919, publié par la Nouvelle Revue Française, bientôt couronné par le Prix Goncourt le 10 décembre et, sous l’effet du succès, réimprimé le 16 décembre. Après cette consécration, Proust ne tarda pas à lancer l’idée, peut-être pour des raisons financières, d’une édition de luxe du roman. Parue en avril 1920 chez Gallimard, elle fut limitée à 50 exemplaires disponibles par souscription (en fait 51, puisqu’il existe un exemplaire n° 0 en plus des exemplaires numérotés de I à L). Très recherchée, cette édition bénéficia d’une présentation matérielle tout à fait particulière : réimposé au format in-quarto assez inhabituel (324 x 217 mm), imprimés sur papier bible, ce volume est protégé par un luxueux portefeuille recouvert d’un papier peint au pochoir ; chacun des exemplaires est en outre accompagné d’un portrait de Proust imprimé en héliogravure d’après celui de Jacques-Émile Blanche et, surtout, de deux des placards susmentionnés.



Chacun des placards est unique. À raison de deux placards par exemplaire, ce furent ainsi probablement 102 placards qui furent dispersés. Ces placards ont donc un très grand intérêt pour la compréhension du roman : bien plus que d’"extraordinaire[s] marqueteries [s]" ravissantes à contempler, ces placards dispersés en 1920 au gré des collections sont des manuscrits uniques de parties du roman dont aucune bibliothèque ne conserve la version manuscrite. Fr. Goujon a montré que cette édition de luxe exploitait le dernier manuscrit que Proust avait envoyé à son éditeur en octobre 1917, celui de la "deuxième partie" du roman, ainsi qu’il appelait celle autour des jeunes filles.



Presque entièrement manuscrit, à l’exception de 5 petits morceaux d’épreuves, notre placard correspond aux pages 216 (21e ligne) à 223 (antépénultième ligne) de l’édition des Jeunes filles en fleurs (Pléiade, t. II). Elles contiennent le passage du roman où, rendant visite à Elstir et venant de réaliser que Miss Sacripant n’est autre qu’Odette, le Narrateur réfléchit à l’art du portrait (p. 216-218) et comprend aussi que M. Biche n’est autre qu’Elstir lui-même (p. 218-219). Le héros prend alors conscience qu’il ne lui serait pas impossible de rencontrer à nouveau les jeunes filles qu’il n’avait pas encore pu approcher (p. 219-220). Saint-Loup s’apprête ensuite à partir, et la grand-mère du Narrateur lui offre des lettres de Proudhon en gage d’amitié (p. 221), avant qu’il ne gagne Doncières (p. 221), où son ami promet de lui rendre visite. Le Narrateur analyse le manque de tact de Bloch, qui projette d’aller rendre visite à Saint-Loup à Doncières, sans comprendre que le marquis ne l’avait invité que par politesse (p. 221). Le protagoniste reçoit ensuite une lettre de Saint-Loup dans laquelle il évoque les conversations délicieuses qu’il a eues avec son nouvel ami (p. 223).



Ce placard présente plusieurs variantes par rapport au texte, dont plusieurs sont données dans l’apparat critique de l’édition de la Pléiade (p. 218, a ; 219, a ; 220, a et b ; 221, a (la 1re) ; etc.).



Raturé et corrigé, d’une graphie très spontanée, ce placard restitue l’écriture de Proust dans son jaillissement même, avec tous ses repentirs successifs.



L’exemplaire de luxe de Suzy Proust ? Ce placard était certainement à l'origine inclus dans un des 51 exemplaires de l’édition de luxe publiée en 1920. Provient-il d’un exemplaire que Suzy Proust reçut en 1920 ? C’est une hypothèse vraisemblable, car, si l’on en croit sa correspondance, Proust offrit un des précieux exemplaires à sa nièce en août 1920 (Kolb, XIX, n° 188).



Références : P. Clarac, "Remarques sur le texte des Jeunes filles en fleurs. Projet d'une édition", in Bulletin de la société des Amis de Marcel Proust, n° 2. -- Fr. Goujon, "Le Manuscrit de À l'ombre des jeunes filles en fleurs : le "cahier violet", in Bulletin Marcel Proust, n° 49, 1999, p. 7-16. -- P. Wise, "Le généticien en mosaïste", in Genesis, n° 36, 2013, p. 141-150.

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