Lot 270
  • 270

Exceptionnelle paire de canapés en coin de feu à châssis et à accotoir unique en noyer et hêtre sculptés et redorés à l’huile d’époque Louis XV, vers 1755, estampillée N. HEURTAUT

Estimate
600,000 - 1,000,000 EUR
bidding is closed

Description

  • giltwood
  • Haut. 102 cm, larg. 142 cm, prof. 62 cm
  • Height 40 1/4 in; width 56 in; depth 24 1/2 in
de forme légèrement concave avec un seul accotoir, opposé par rapport à l’autre ; richement mouluré et sculpté, le dossier à motif d’agrafes et fleurettes, la ceinture ornée d’une coquille enserrée dans des C affrontés, les pieds sculptés de palmes feuillagées et rouleaux ; la bordure interne du dossier et de l’assise décorée d’un fin motif de passementerie crénelé ; garnis à châssis et recouverts de lampas de soie rouge

Provenance

- Peut-être Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul                         

- La comtesse de Séran au château de la Tour en Normandie, du dernier quart du XVIIIe siècle probablement jusqu’à la fin du XIXe siècle


- Les princes de Beauvau au château de Sainte-Assise (Seine-et-Marne) vraisemblablement jusqu’en 1922, date de la vente du château de Sainte-Assise puis cité chez l’antiquaire Jean Seligmann par A. Theunissen au début des années 1930


- Vente à Paris, le 14 mai 1965, lot 67


- Prince Marc de Beauvau (1921-1982)


- Collection particulière

Exhibited

Trésors des Collections privées, Les Chefs d’œuvre du Mobilier français, galerie Charpentier, Paris, 7-15 mars 1998

Literature

BIBLIOGRAPHIE
- A. Theunissen, Meubles et sièges du XVIIIe siècle, Paris, 1934
- B. Pallot, « Nicolas Heurtaut, menuisier et sculpteur en sièges », mémoire de maîtrise en Sorbonne, 1985
- B. Pallot, L’art du siège au XVIIIe siècle en France, Paris, 1987, pp. 246 et 247
- Cat. Expo. 18e, aux sources du design, chefs d’œuvre du mobilier de 1650 à 1790, Dijon, 2014

Condition

Unique. A chef d'oeuvre of rocaille carving by the most famous menuisier and sculptor of Louis XV reign. The combination of the quality of the design, the proportion and the carving are truly exceptional. The overall condition is absolutely fine. The structure is solid. There are minor dents and chips to the carving. The oil gilding certainly largely refreshed but with wear. The oil gilding is very thin and allows a very strong and delicate definition of the carving. Upholstery in good condition. Prestigious provenance and published many times in the major books about 18th century French Furniture of the 20th century.
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Catalogue Note

Cette paire de canapés, unique dans la menuiserie en sièges du XVIIIe siècle appartient à un remarquable ensemble qui aurait été offert, selon la tradition, par le roi Louis XV à sa maîtresse la comtesse de Séran. Réalisé par le célèbre menuisier parisien Nicolas Heurtaut, cet ensemble est constitué de huit fauteuils à dossier plat, d'un canapé d'alcôve, d'un lit à la Polonaise et de cette paire de canapés asymétriques.

Datable des années 1755 ce mobilier illustre un style rocaille classicisant tout en portant la caractéristique la plus aboutie du goût rocaille, l'asymétrie, qui n'est plus seulement ornementale mais devient ici un parti pris structurel. L'ensemble présente en effet le même répertoire ornemental avec des branches de palmier remontant des accotoirs et des pieds, les larges coquilles encadrées par des C affrontés et le délicat motif de passementerie se répondant en alternance, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du dossier. Conservé au château de la Tour en Normandie du XVIIIe siècle jusqu'à la fin du XIXe siècle, ce mobilier a été dispersé mais demeure parfaitement traçable :

Les huit fauteuils : six appartiennent désormais aux collections du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon (ancienne collection de l’antiquaire Marcel Bissey puis Antenor Patiño, don Ortiz Linares en 1982, inv. V5212-7) et  les deux autres ont été vendus chez Christie’s à Londres, Exceptional sale, le 10 juillet 2014, lot 12 (£662.500).

Le canapé d'alcôve a appartenu aux collections du prince de Beauvau au château de Sainte-Assise, puis à Jean Seligmann dans les années 30, à la collection Ortiz Linares vers 1955 avant de rejoindre la collection particulière dans laquelle il se trouve aujourd'hui. Il a été exposé au château de Versailles en 2015, «  18e, aux sources du design », n°25.

Le lit à la Polonaise est désormais conservé dans le Grand Cabinet de la Dauphine à Versailles (don du comte Guy de Boisrouvray en 1962, inv. 3809) il fut présenté au musée des Arts décoratifs à Paris dans l'exposition sur les Grands Ebénistes en 1955-1956.

Enfin notre paire de canapés à accotoir unique a rejoint les collections du prince de Beauvau au château de Sainte-Assise en Seine-et-Marne puis celle de Jean Seligmann avant d'être vendu aux enchères à Paris, étude le 14 juin 1965, lot 67. Ils sont conservés dans la même collection particulière depuis leur acquisition en 1965.

Présentées au public lors de grandes expositions éphémères sur les chefs d'oeuvre du mobilier ou de manière permanente au château de Versailles, les différentes pièces composant ce mobilier illustrent parfaitement la créativité et la virtuosité d'un des plus célèbres menuisiers et sculpteur du règne de Louis XV. C'est justement sur notre paire de canapés à accotoir unique qu'il convient de revenir. Dans l'exposition "18e, aux sources du design" était présenté un rare canapé « en ottomane cintrée » en forme de fer à cheval des années 1760. Il s'agit d'une forme particulièrement inhabituelle et imposante, elle est ici déclinée en trois éléments distincts qui lui confèrent une modularité fonctionnelle. Cette modularité apparait sur d’autres réalisations de Nicolas Heurtaut notamment les canapés à confidents mobiles qui rendait le travail de sculpture plus important –mais pour un résultat encore plus exceptionnel- tout en permettant de concilier des exigences pratiques tout simplement liées à largeur de ce type siège (souvent plus de 3 mètres, confidents compris).

Le canapé d'alcôve, pièce centrale de cette combinaison, possède un dossier légèrement cintré de forme concave, une absence de sculpture au dos et sur les pieds postérieurs ce qui le destine à être placé dans une niche et le qualifie de "meublant" selon la dénomination du XVIIIe siècle. En revanche, le dessin asymétrique avec un accotoir unique permettait probablement, selon l'envie ou la saison de placer cette paire de petits canapés soit de part et d'autre du canapé d'alcôve avec l'accotoir disposé vers l'extérieur, soit positionné inversé en vis à vis de ce canapé, de chaque côté d'une cheminée. Rappelons que cette paire de canapés dissymétriques est aussi parfois appelée « coins de feu ». Enfin un dernier détail, la fine sculpture à motif de passementerie présente uniquement sur le côté opposé à l'accotoir trouve un écho sur chaque côté du dossier du canapé d'alcôve.

Nicolas Heurtaut, sculpteur reçu maître en 1742 et menuisier reçu maître en 1753

Originalité et prouesse technique

La richesse et l’originalité de cet important mobilier révèlent tout le talent de Nicolas Heurtaut qui vient d’être reçu maître menuisier quand il réalise cet ensemble. Sculpteur à l’Académie de Saint-Luc, exerçant son art dès 1742 dans les ateliers des Tilliard, Sené et probablement Avisse et Saint-Georges il maîtrisait toutes les subtilités du style rocaille tout en possédant un style propre que la lecture de ce mobilier permet de rappeler (voir B. Pallot) : « la double crosse superposée issue d’une même moulure, l’agrafe posée en bout d’accotoir ; l’utilisation du champ plat au milieu de la moulure, des cavités pratiquées en haut de chaque C de la devanture afin de faire mieux ressortir la sculpture et l’inévitable jeu de moulure en forme de lacets disposées à chaque extrémité d’une traverse et qui est à lui seul le moteur de tout le mouvement du siège » . Outre la qualité de la sculpture, l’originalité de cette paire de canapés réside dans leur structure asymétrique : le dossier, par le jeu des lignes est constitué de deux parties distinctes et dissymétriques, de dimensions différentes auquel répond l’assise, par un jeu identique mais inversé. L’ensemble est parfaitement équilibré et témoigne des nombreuses heures de dessin suivies pendant les dix années d’apprentissage et de compagnonnage à l’Académie de Saint Luc. L’asymétrie est évidement accentuée par la présence d’un accotoir unique avec une console présentant un fort galbe. Si le dessin est inédit sa matérialisation et son exécution tiennent de la prouesse technique. En effet, pour constituer cette partie, le menuisier a utilisé une pièce de bois d’au moins 70 cm de haut sur 30 cm de large dans laquelle il a débité un élément constituant le pied entier et sa projection vers l’arrière à 45° sous la forme de la console d’accotoir.

Une provenance Crozat / Choiseul ?

Suggérée par la pertinence de monsieur Charles Hooreman qui a judicieusement mis en évidence la sculpture du dossier d'un fauteuil appartenant à cet ensemble avec celui apparaissant sur un tableau de Louis-Michel van Loo de 1767 (vente à Paris, étude Marc Ferri, le 9 décembre 1997, lot 18) représentant Louise-Honorine Crozat du Chatel, duchesse de Choiseul et son fils adoptif. Un examen attentif de la partie haute du dossier du fauteuil sur le tableau évoque la même feuillure de châssis polylobée, ainsi que le même décor sculpté. En outre, la manière dont les puissantes moulures se terminent, en léger enroulement, accentué par les feuilles d'acanthe qui les surmontent, sont typiques de la manière de Nicolas Heurtaut.

Bien que l’hypothèse ne puisse être confirmée en l’état actuel des connaissances et par l’étude des inventaires trop imprécis, il est intéressant de rapprocher ce mobilier avec une possible provenance Crozat puis Choiseul, entre son mariage (1750), sa nomination comme Ministre des Affaires Etrangères en 1758 jusqu’à moment de sa disgrâce en 1770, où il quitte Paris pour Chanteloup et met à l’encan une partie de sa collection de tableaux et du mobilier (voir P-F. Dayot, dans  “ A public view of a private space : the bedroom of the duc de Choiseul in Paris” in Waddesdon Miscellana, vol. I, 2009). L'auteur précise que certains meubles ont été achetés par le garde-meuble de la Couronne et pour Louis XV dans des ventes aux enchères dont les catalogues n’ont pas été publiés.

Cette piste Crozat / Choiseul tend à conforter l’acquisition d’un meuble spectaculaire vers 1755, par les grands amateurs du moment et une réapparition une quinzaine d’années plus tard chez une maîtresse de Louis XV dans un château néoclassique en Normandie où le mariage des styles était plus communément admis que dans les salons de Paris.

La comtesse de Séran et le château de La Tour

Marie-Marguerite-Adélaïde de Bullioud, comtesse de Séran fut la maîtresse du roi Louis XV après la disparition de la marquise de Pompadour. L’essayiste Marmontel relate dans ses Mémoires ses visites régulières au roi dans ses petits appartements. La tradition, reprise dans l’édition de 1962 Salverte fait état de ce mobilier qui aurait été offert par le roi Louis XV à madame de Séran. Appartenant au cercle de Madame Filleul et du marquis de Marigny, le frère de madame de Pompadour, elle aspirait à rejoindre l’entourage de la duchesse de Chartres pour finalement rejoindre celui de Mesdames comme Maîtresse des Robes, rôle qu’elle poursuivit après la mort de Louis XV en servant Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI. Elle se partageait entre Versailles et le château de La Tour en Normandie, de style néoclassique qui avait été érigé entre 1769 et 1775 par son mari, le comte Louis François Anne de Séran où se trouvait ce remarquable ensemble.

Les princes de Beauvau et le château de Sainte-Assise 

Charles de Beauvau (1793-1864), marié à Lucie de Choiseul Praslin (1794-1834), achète le château de sainte-Assise en 1827. Son fils Marc de Beauvau y séjourne souvent dans une ambiance familiale, racontée par sa petite fille, la duchesse de Clermont Tonnerre, dans ses mémoires « Au Temps des Equipages », où elle mentionne que son grand-père avait une très belle collection de meubles. Son fils, Charles Louis de Beauvau (1878-1942) vend Sainte-Assise en 1922 et cède les canapés  à l’antiquaire Jean Seligmann. Le 14 mai 1965, les coins de feu sont présentés en vente aux enchères à Paris où ils sont acquis par Marc de Beauvau (1921-1982), qui rachète ainsi des biens que son père avait vendus. Ils sont restés dans la famille par descendance.