Lot 248
  • 248

Valéry, Paul

Estimate
1,000 - 2,000 EUR
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Description

  • Valéry, Paul
  • 3 brouillons de lettres autographes, [à Henry Charpentier, à Henri de Régnier] et à Victoria Ocampo. [1910-1940].
  • ink on paper
7 p. ½ in-8 (180 x 115, 205 x 135 et 180 x 140 mm).

À propos de Mallarmé, et, en 1940, des temps obscurs que traverse la France.



[À Henry Charpentier, vers 1910]. Valéry reconnaît qu’il est difficile en une seule lettre de résumer tout ce qu’il a connu d’un homme tant aimé… "Maintenant je discerne mal ce qui fut lui-même de ce qui se tire de lui : si cette inférence me mène, par un insensible tour, jusqu’en des sphères qu’il n’eût pas aimées, et que ce mouvement me place aux antipodes de la littérature, dois-je encore remonter au principe, ou puis je lui retirer ses conséquences ? Dans votre morceau premier, je lis un Mallarmé selon son œuvre même, bien plus exact que je ne saurais le tracer. […] Dire même qu’il fut un très grand poète, parler, à ce titre, des difficultés qu’il put avoir avec son art, les identifier à celles proposées à Baudelaire, à Hugo, à Banville, ce n’est juste que quant aux œuvres du début. Si l’on entend par poète, celui pour qui les conditions fixes ne sont que résistances au lieu d’être ses organes, ou puissances -- alors Mallarmé n’est pas un poète. Bouts rimés, -- rimes difficiles -- ces mots, à son égard, changent de sens. Le langage remonte à la source… On aperçoit alors, dans une sorte d’égalité, le groupe des conditions où choisir : rimer ; nombrer ; ne pas toucher tels mots ou s’astreindre à tel ordre de tels concepts ou enfin : dire telle chose -- à tout prix !"



[À Henri de Régnier, 1931 ?]. Il le remercie de l’envoi de l’étude "la plus juste et la plus simplement étendue qu’on ait faite de Mallarmé". Il accepte de passer pour un "sectateur" du Poète contre ses adversaires mais "je  me serais bientôt rigoureusement méprisé, si dès l’admiration primitive je n’avais pas cherché et trouvé en moi-même quelques grâces spirituelles indépendantes. C’est là peut-être le plus grand bienfait des grands inventeurs, qu’ils vous obligent à chercher encore autre chose et vous chassent sur un domaine plus vierge et lointain que le leur. Ils commandent le risque bien plus que l’imitation". En 1931, Henri de Régnier -- que Valéry avait rencontré rue de Rome -- fit paraître dans Faces et profils ses souvenirs sur Mallarmé.



À Victoria [Ocampo, 1940]. Poignante lettre après la défaite de la France face à l’Allemagne. "Je pleure en vous écrivant. Nous voici sur le navire qui sombre. On a fait ce qu'on a pu. Rien n'égale ce qu'ont accompli nos enfants. J'ai trop vécu. Il y aura peut-être un avenir. Mais la civilisation qui était notre raison de vivre, le pays qui la maintenait de son mieux sont frappés au cœur. Le nombre et la bestialité nous écrasent. La trahison au Nord, le poignard fratricide et lâche au Sud ont permis et achevé le travail de la brute mystérieuse". Il ne sait ce qu'il adviendra des siens et de lui-même, et n'a plus de nouvelles de ses fils et gendre. "Et je n'ai aucune idée, sinon des idées noires, quant à l'avenir matériel. Peut-être, si je dure encore, serai-je forcé à mon âge de chercher à vivre je ne sais où - en Amérique ou ailleurs. Mais la Poétique et la pensée ne valent pas plus, aujourd'hui, que notre billet de banque". Au travers de son désespoir, il sent pourtant "des éclairs de puissance et de volonté spirituelles -- des énergies qui me tendent vers le but de travailler à faire renaître la lumière de mon pays... Le malheur illumine toutes les fautes et les sottises -- mais il engendre à l'âme des forces et des idées qui ne peuvent venir que de sources situées dans ce qui n'est pas encore et qui pourrait être".