Lot 49
  • 49

Statue d'ancêtre Uli, Aire Mandak, Centre de la Nouvelle-Irlande

Estimate
700,000 - 1,000,000 EUR
bidding is closed

Description

  • Statue d'ancêtre Uli, Aire Mandak
  • wood, pigments and turbo shell
  • haut. 136 cm
  • 53 1/2 in

Provenance

Collection Maurice de Vlaminck, Paris, probablement acquis de Charles Ratton ca. 1930
Bellier, Paris, Tableaux Modernes. Sculptures Africaines et Océaniennes. Coll. de M. Maurice De Vlaminck, 1er juillet 1937, n° 48, p. 45, pl. II
André Breton, acquis lors de cette vente
Galerie Gradiva /André Breton, Paris, 1937
Galerie Mànes, Prague, 1937
Collection Adolf Hoffmeister, Prague, acquis en août 1937
Transmis par descendance
Sotheby's, Paris, 11 juin 2008, n° 45
Collection privée

Condition

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Catalogue Note

LE ULI GRADIVA

« On a rêvé d’un lieu sans âge, n’importe où hors du monde de la raison ».
André Breton, tract publié lors de l’ouverture de la galerie Gradiva, mai 1937

En janvier 1937, André Breton accepte la proposition de son ami Edmond Bomsel d’ouvrir à Paris « un magasin d’objets, de tableaux et de livres » (Paul Eluard, 14 février 1937, Lettres à Gala, 1984, p. 275). Son nom – Gradiva – est choisi par Breton en hommage à la nouvelle de Wilhelm Jensen qui inspira à Sigmund Freud son célèbre essai Le Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen (1907). Idéal féminin, Gradiva (« celle qui avance »), évoque tant la relation passionnelle de Breton à l’objet que « la beauté de demain masquée encore au plus grand nombre » (carton d’invitation à l’inauguration de la galerie Gradiva, mai 1937). La porte en verre dessinée par Duchamp, silhouettant un couple, s’ouvre sur une pièce où Breton a installé les œuvres de sa collection personnelle – ses « objets sauvages », notamment des sculptures océaniennes -, des livres, et des tableaux des artistes qui l’entourent : Arp, Bellmer, Chirico, Dali, Duchamp, Ernst, Giacometti, Klee, Miro, Paalen, Picabia, Picasso, Man Ray et Tanguy.

La galerie fermera neuf mois plus tard; André Breton et Jacqueline « ne vendaient rien n’étant marchands ni l’un ni l’autre » (Mabin, La Galerie Gradiva, 2012 et Pace, Jacqueline Lamba, 2010, p. 288). En revanche, c’est dès leur l’arrivée à Prague en août 1937, à la Galerie Mànes où elles devaient être exposées à l’automne, que sont vendues les trois œuvres océaniennes expédiées par André Breton pour le compte de la galerie Gradiva. Parmi elles figure l'une des œuvres majeures de la collection de Sculptures Africaines et Océaniennes de l'artiste Maurice de Vlaminck, dispersée deux mois plus tôt par Maître Alphonse Bellier (Hôtel Drouot, Paris, 1er juillet 1937). Expert de la vente, Charles Ratton décrit le lot n° 48, acquis par André Breton, comme : « Ouli, Figure d'ancêtre. Importante statue d'homme, les bras levés, supportant un petit personnage sur chaque épaule. Les yeux sont incrustés de coquillage ». 

Prague, « capitale magique de toute l’Europe ». André Breton, 1935

Accompagné de sa femme Jacqueline, de Paul Eluard et son épouse Nusch, ainsi que du peintre Tchèque Josef Sima, André Breton arrive à Prague le 27 mars 1935. Haut lieu de l’avant-garde européenne, la galerie Mànes avait déjà accueilli, sous le titre Poesie 1932, la plus importante exposition surréaliste organisée hors de France, réunissant des œuvres de Arp, Dali, Ernst, Giacometti, Klee, Masson, Miro, Paalen, Tanguy, et des surréalistes Tchèques Styrsky, Toyen et Makovsky. Breton y donne sa célèbre conférence Situation surréaliste de l’objet, tandis que le « Groupe des surréalistes en Tchécoslovaquie » (Prague, 1934-1939), fondé par Nezval, Toyen et Styrsky, publie le premier numéro du Bulletin international du Surréalisme (Prague, 9 avril 1935). L’envoi d’œuvres par la galerie Gradiva en août 1937 s’inscrit dans l'histoire de ces liens étroits que les deux groupes surréalistes nourriront jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale.

La statue d’ancêtre Uli sera acquise par l’artiste, caricaturiste, écrivain, scénographe, compositeur et diplomate, Adolf Hoffmeister (1902-1973). Membre fondateur, en 1920, du mouvement d’avant-garde Devetsil, Hoffmeister s’intéresse très tôt aux arts lointains, et en particulier aux œuvres d’art mélanésien. Si ses archives conservent une correspondance avec André Breton sur les arts océaniens, ses sources d’acquisition se partagent essentiellement entre les artistes et collectionneurs Tchèques - en particulier Josef Hloucha et Emil Filla - et le marchand parisien Charles Ratton. En réponse à la « carte surréaliste du monde » publiée en 1929 dans la revue Variétés, il dessine en 1938 une « carte » de sa collection, avec pour œuvre centrale le Uli Gradiva. Il fera réaliser son socle par le sculpteur et designer tchèque Vincenc Makovskÿ à la fin des années 1930, à la manière des bancs sur lesquels étaient traditionnellement installées, précisément seules les statues Uli de ce type, lors des cérémonies. 

« Tu fais peur. Tu émerveilles ». André Breton, 1948

Après leur « découverte » par les Expressionnistes allemands, les sculptures de la Nouvelle-Irlande fascineront, dans la France de l’entre-deux-guerres, les Surréalistes. La magistrale statuaire Uli s’impose d'emblée, à leurs yeux, comme sa figure emblématique, inspirant à André Breton son célèbre verset : « Tu fais peur. Tu émerveilles » (in Océanie, 1948, à propos du Uli de l'ancienne collection Roland Tual). L'histoire emblématique du Uli Gradiva le place au cœur de ces « relations de sensibilité » (Zervos, « Introduction » in Cahiers d'art, n° 7-8, 1927, p. 127) qu'entretinrent les Surréalistes avec les arts lointains.  

LE ULI GRADIVA AU CŒUR DU CORPUS DES ULI
Par jean-Philippe Beaulieu
Directeur de recherche, CNRS

Augustin Krämer identifia douze types de sculptures Uli lors de son expédition dans la région centrale de Nouvelle-Irlande, conduite entre décembre 1908 et mai 1909. Il leur a consacré de nombreuses pages, tant dans ses carnets de voyages (inédits) et que dans son magistral Die Malanggane von Tombara, publié en 1925. 

Le Uli Gradiva, avec ses deux bras levés et un petit Uli debout sur chaque épaule, les regards pointés dans des directions opposées, appartient au type « selambúngin lorong » désigné aussi comme «vapmarorau ». Lorong est le terme madak qui signale le chef, l’homme important du clan, le responsable des rituels. Vapmarorau est dérivé de Orau, se traduisant par « trembler dans le vent » et qui est aussi associé aux bancs rituels abrités dans des huttes au sein des enclos cérémoniels. « Les bancs sont superbement peints en noir, blanc, jaune et rouge et se terminent en tête de poisson, thon ou requin à la gueule largement ouverte. La surface des bancs est couverte de motifs en zigzag évoquant des serpents. Tous ces animaux sont en contact avec le monde des esprits ». Si Krämer ne détaille pas explicitement la hiérarchie des douze types de Uli, il précise que les « selambúngin lorong » sont les seuls à être présentés debout sur les bancs des huttes disposées dans les enclos funéraires, soulignant ainsi leur rôle majeur lors des rituels.

La quasi-totalité des Uli a été collectée sur une période très courte, entre 1904 et 1908. Les administrateurs Boluminski et Wostrack, le gouverneur Hahl mais aussi les résidents coloniaux étaient des maraudeurs effrénés qui se livraient une compétition acharnée, tirant profit des bouleversements induits par l’établissement de l’ordre impérial. Sur un corpus de 230 Ulis, nous avons identifié trente-trois « selambúngin lorong », dont trois sont illustrés par Krämer (Die Malanggane von Tombara, p. 26, 27 et 28), et seulement cinq sont conservés dans des collections privées. Le Uli Gradiva s'apparente en particulier au Uli acquis en 1908 par la Hamburger Südsee Expedition auprès de l’administrateur colonial Boluminski (Museum für Völkerkunde, Hamburg, inv. n° 9402i, in Krämer, idem, p. 26), et à celui de l'ancienne collection Masco, aujourd'hui dans les collections du Los Angeles County Museum of Art (LACMA).   

Nous n’avons pas été en mesure d’identifier le collecteur et le trajet du Uli Gradiva avant sa présentation à Paris dans la vente de la collection Maurice de Vlaminck, en 1937. En revanche, son illustration dans le catalogue de cette vente, de même que les traces des anciens et très fragiles pigments jaunes visibles sur les tempes du personnage principal et sur les côtés des petits ulis démontrent qu'à l'inverse de certaines statues retouchées ou repeintes, soit au moment de leur collecte, soit dans les musées allemands, le Uli Gradiva est demeuré tel qu'il a été collecté voilà une centaine d'années.    



"We dreamt up an ageless place, a place outside the world of reason." André Breton, pamphlet published for the opening of the Gradiva gallery, May 1937

In January 1937, André Breton accepted his friend Edmond Bomsel's offer to open a shop "selling artefacts, paintings and books" in Paris.  (Paul Eluard, February 14, 1937, Lettres à Gala, 1984, p. 275). Its name - Gradiva - was chosen by Breton in homage to the short story by Wilhelm Jensen, which was the inspiration for Freud's famous essay: Delusion and Dream in W. Jensen's Gradiva  (1907). A feminine ideal, Gradiva ("she who advances"), evokes both Breton's passionate relation to artefacts and "the beauty of tomorrow, hidden as yet to the multitude"  (invitation to the inauguration of the Gradiva Gallery, May 1937). The glass door, designed by Duchamp – depicting a couple in silhouette - opened onto a room where Breton showcased pieces from his personal collection - his "savage artefacts" - amongst which could be found several Oceanic sculptures, books, and paintings by the artists of his circle: Arp, Bellmer, Chirico, Dali, Duchamp, Ernst, Giacometti, Klee, Miro, Paalen, Picabia, Picasso, Man Ray and Tanguy.

The gallery closed down nine months later as André Breton and Jacqueline "did no business whatsoever, neither one of them being dealers at heart" (Mabin, La Galerie Gradiva, 2012 and Pace, Jacqueline Lamba, 2010, p. 288). However, upon arrival in Prague in August 1937, at the Mànes Gallery, where they were to be exhibited in the fall, the three Oceanic pieces sent by Breton for Gradiva were immediately sold. Amongst them figured one of the major pieces of the Sculptures Africaines et Océaniennes collection belonging to artist Maurice de Vlaminck, sold at auction two months earlier by Maître Alphonse Bellier (Hôtel Drouot, Paris, July 1, 1937). The expert for the sale, Charles Ratton, described lot No 48, acquired by André Bretton, as: "Ouli, an ancestor figure. A prominent statue of a man, arms raised, carrying a small figure on each shoulder. The eyes are inlaid with seashell. " 

Prague, "capitale magique de toute l’Europe". (A magical capital for the whole of Europe) André Breton, 1935

Along with his wife Jacqueline, Paul Eluard and his wife Nusch, as well as Czech painter Josef Sima, André Breton arrived in Prague on March 27, 1935. As the Mecca for the European avant-garde, the Mánes Gallery had already hosted, under the title Poesie 1932, the largest surrealist exhibition outside of France, bringing together works by Arp, Dali, Ernst, Giacometti, Klee, Masson, Miro, Paalen, Tanguy, and by Czech surrealists Styrsky, Toyen and Makovsky. Whilst there, Breton gave his famous lecture: Surrealist situation of the object whilst the "Group of Surrealists in Czechoslovakia " (Prague, 1934-1939), founded by Nezval, Toyen and Styrsky, published the first issue of the International Bulletin of Surrealism (Prague, April 9, 1935). The Gradiva Gallery sending artworks in August 1937 was in keeping with the close links established between these two surrealist groups and that would last until the beginning of World War II. 

The Uli ancestor figure was acquired by artist, cartoonist, author, designer, composer and diplomat, Adolf Hoffmeister (1902-1973). A founding member of the Devětsil avant-garde movement in 1920, Hoffmeister took an early interest in Savage arts, especially works of Melanesian art. Although his archives feature a correspondence with André Breton on the topic of Oceanic Art, his sources of acquisition were mainly shared between Czech artists and collectors - Josef Hloucha and Emil Filla in particular - and French art dealer Charles Ratton. In response to the "surrealist world map" published in 1929 in the journal Variétés, he drew a "map" of his collection in 1938, with the Gradiva Uli as its central piece. He had Czech designer and sculptor Vincenc Makovskÿ craft its stand in the late 1930s, modelling the benches upon which only Uli figures were traditionally installed during ceremonies. 

Tu fais peur. Tu émerveilles."  (You frighten. You astonish.) André Breton, 1948

Following their "discovery" by German Expressionists, the sculptures of New Ireland captivated the Surrealists in France between the wars. To them, the majestic Uli statuary instantly stood out as their iconic figure and inspired André Breton's famous verse: "You frighten. You astonish." (in Océanie, 1948, on the Uli from the former Roland Tual collection). The emblematic history of the Gradiva Uli places it at the heart of these "relationships in sensitivity" (Zervos, "introduction" in Cahiers d'art, No. 7-8, 1927, p. 127) that the Surrealists fostered with the Distant Arts.  

THE GRADIVA ULI AT THE HEART OF THE ULI CORPUS
By jean-Philippe Beaulieu
Research Director, CNRS

Augustin Krämer identified twelve types of Uli sculptures during the expedition in the central region of New Ireland he undertook between December 1908 and May 1909. He dedicated many pages to them, both in his travel journals (unpublished), and in his seminal Die Malanggane von Tombara, published in 1925. 

The Gradiva Uli, with both its arms raised and a small Uli standing on each shoulder, their eyes pointed in opposite directions, belongs to the "selambúngin lorong" type also known as "vapmarorau". Lorong is the Madak term that indicates the leader, the great man of the clan, the man in charge of rituals. Vapmarorauis derived from Orau, which translates as "trembling in the wind" and which also relates to ritual benches sheltered in huts within the ceremonial enclosure. "The benches are beautifully painted in black, white, yellow and red and their ends are carved into fish heads, tuna or sharks with their mouths wide open. The bench surfaces are covered in zigzag patterns evoking snakes. All these animals are in contact with the spirit world.Although Krämer does not explicitly detail the hierarchy among the twelve types of Uli, he does mention that the "selambúngin lorong" are the only ones shown standing on the benches of the huts arranged within funerary enclosures, highlighting their key role in rituals.

Almost all of the Uli were collected over a short period between 1904 and 1908. Administrators Boluminski and Wostrack, Governor Hahl, and other colonial residents, were prolific marauders who engaged in fierce competition, taking advantage of the upheaval induced by the establishment of the Imperial Order. In a corpus of 230 Ulis, we have identified 33 "selambúngin lorong", three of which were illustrated by Krämer (Die Malanggane von Tombara, p. 26, 27 and 28), and only five of which are kept in private collections. The Gradiva Uli is particulary close to the one acquired in 1908 by the Hamburger Südsee Expedition from colonial administrator Boluminski (Museum für Völkerkunde, Hamburg, inv. No. 9402i, in Krämer, ibid, p. 26), and to the one from the former Masco collection, now held in the collections of the Los Angeles County Museum of Art (LACMA).   

We have not been able to identify the collector and the course the Gradiva Uli followed before its presentation in Paris at the auction of the Maurice de Vlaminck collection, in 1937. However, its illustration in the catalogue of this auction, as well as traces of very ancient and fragile yellow pigments visible on the temples of the main figure and on the sides of the smaller Ulis show that, unlike other statues that were touched up or painted over, either at the time of collection or once within German museums, the Gradiva Uli remains as it was collected a hundred years ago.