Lot 30
  • 30

Toyen

Estimate
400,000 - 600,000 EUR
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Description

  • Toyen
  • La Chasse au renard
  • signé TOYEN et daté 64 (en bas à droite); signé TOYEN, inscrit 1964 et La Chasse au renard (au dos, sur le châssis)
  • huile sur toile
  • 89 x 146 cm ; 35 x 57 1/2 in.

Provenance

Acquis directement auprès de l'artiste (dans les années 1970)
Professeur Jean Dausset, Paris
Madame Jean Dausset, Paris

Exhibited

Paris, Musée national d'Art Moderne, Centre Georges Pompidou, Toyen, Styrsky, Heisler, 1982, n.n., reproduit p.59

Literature

Radovan Ivsic, Toyen, Paris, Editions Filipacchi, 1974, reproduit p.58
Ragnar von Holten, Toyen, Köping, 1984, reproduit p. 56
Rita Bischof, Toyen, Francfort, 1987, reproduit p.57
Karel Srp, Toyen, Prague, 2000, reproduit p.251
Karel Srp et Jacques Beauffet, Toyen, une femme surréaliste, Saint-Etienne, Musée d'Art Moderne, 2002, p.140

Condition

The canvas is not lined. Under UV light, there is no evidence of any retouching. This work is in very good original condition.
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Catalogue Note

signed 'TOYEN' and dated '64' (lower right); signed 'TOYEN', inscribed '1964' and 'La Chasse au renard' (on the reverse, on the stretcher); oil on canvas. Painted in 1964.

"Qu’ont de particulier les artistes et les chercheurs ? On les oppose souvent en arguant que les chercheurs ne sont et ne seront jamais que des dé-couvreurs de faits préexistants, comme Christophe Colomb n’a fait que découvrir l’Amérique. Alors que les artistes sont des créateurs. En fait, il faut dépasser cette opposition, les chercheurs et artistes sont tous des révélateurs. Ils dépassent les connaissances de l’époque. Ils voient au-delà de leurs contemporains. Ils franchissent des frontières jusque-là inviolées." Jean Dausset

Prix Nobel de Médecine en 1980 pour ses découvertes sur le système immunitaire, Jean Dausset évoque, par le truchement de ce parallèle dont on saisit l’audace et la justesse, l’une des autres passions de sa vie : l’Art.

Présenter deux œuvres demeurées dans sa Collection personnelle, La Chasse au renard de Toyen et Le Fabricoeur d’univers de Matta, est un privilège et une révélation.

L’œil du collectionneur était pour le moins flamboyant : dans l’immédiat après-guerre, au cœur de ce bouillon de culture qu’était le quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris, Jean Dausset, jeune interne en médecine, avait fondé la Galerie du Dragon.

Située au 19 de la rue éponyme, après avoir été un temps et simultanément une librairie où l’intelligentsia de la Rive gauche (d’André Breton à Michel Tapié en passant par Tristan Tzara et Benjamin Péret) venait flâner et débattre, la Galerie devint l’un des foyers les plus ardents du Surréalisme. Après Masson, Tanguy, Arp, Brauner, Miro, Ernst ou encore Picabia, Matta investit la Galerie en 1952. Le Fabricoeur d’univers figura dans l’exposition.

En 1951, une exposition historique ouvrit de nouvelles perspectives. Sous le commissariat de Michel Tapié, Véhémences confrontées mit soudain face à face Pollock et de Kooning, Wols, Riopelle, Mathieu et Hartung. L’exposition fit l’effet d’une bombe et la Galerie du Dragon devint l’un des QG de l’Abstraction lyrique.

Acquis directement par Jean Dausset auprès de Toyen au début des années 1970 pour en faire présent à Rosita, son épouse, La Chasse au renard atteste, s’il le fallait, la permanence de la pertinence en même temps que l’audace d’un regard sans frontière de genres.

Soucieux de tisser, à travers une vie de recherches et de découvertes, un lien entre les hommes, le Professeur Jean Dausset avait non moins le don de savoir tisser des liens entres les artistes.

"What do artists and researchers have in particular? They are often set against each other, by arguing that researchers are and always will be only discoverers of pre-existing facts, like Christopher Columbus only discovered America. Whilst artists are creators. In fact, one must go beyond this conflict, researchers and artists are both revealers. They go beyond the knowledge of their era. They see beyond their contemporaries. They cross hitherto inviolate frontiers.” Jean Dausset

Awarded the Nobel Prize of Medicine in 1980 for his discoveries on the immune system, Jean Dausset evokes, through this daring and precise parallel, one of the other passions of his life: Art.

To present two works from his personal collection, La Chasse au renard by Toyen and Le Fabricoeur d’univers by Matta, is a privilege and a revelation.

The Collector’s eye was, to say the least, flamboyant: right after the War, in the heart of this culture scene that was the area of Saint-Germain-des-Prés in Paris, Jean Dausset, then a young medical intern, founded the Galerie du Dragon.

Situated at number 19 of the rue Dragon, after having been for a while simultaneously a bookshop where the intelligentsia of the Rive Gauche (from André Breton to Michel Tapié via Tristan Tzara and Benjamin Péret) came to idle and talk, the gallery became one of the most ardent centres of Surrealism. After Masson, Tanguy, Arp, Brauner, Miro, Ernst or Picabia, Matta became involved in the gallery in 1952. Le Fabricoeur d’univers figured in the exhibition.

In 1951, an historical exhibition opened new perspectives. Curated by Michel Tapié, Véhémences confrontées suddenly brought together Pollock and de Kooning, Wols, Riopelle, Mathieu and Hartung. The exhibition had the effect of a bomb and the Galerie du Dragon became one of the headquarters of lyrical abstraction.

Purchased directly by Jean Dausset from Toyen at the beginning of the 1970s as a present for Rosita, his wife, La Chasse au renard attests to the permanency of the pertinence and also the daring of a vision that goes beyond genre.

Concerned with weaving links between men, through a life of research and discovery, Professor Jean Dausset also had the gift of weaving links between artists.



"De la Prague qu’a chanté Apollinaire et de son magnifique pont aux statues en haie qui conduisait d’hier vers toujours, de ses enseignes lumineuses par le dedans et non par le dehors – Au soleil noir, à la Roue d’or, à l’Arbre d’or, tant d’autres – de son horloge dont les aiguilles, fondues dans le métal du désir, tournaient à rebours, de sa rue des Alchimistes et, par-dessus tout, de ce bouillonnement d’idées et d’espoirs, là plus intense que partout ailleurs, de ces échanges passionnés à la fleur de l’être aspirant à ne faire qu’un de la poésie et de la révolution, tandis que les mouettes en tous sens barattaient la Moldau pour en faire jaillir les étoiles, que nous reste-t-il ? Il nous reste Toyen." André Breton

Il nous reste Toyen heureusement. Et un corpus rare d’œuvres fantastiques. La Chasse au renard est cette fantastique rareté.

Peinte à Paris en 1964, La Chasse au renard est une œuvre capitale. A l’égale d’une œuvre charnière de Toyen, Au Château La Coste (1946). Flottante, en dépit de sa maturité et de sa complexité, entre Kafka (que Toyen côtoie à Prague à l’époque où  le Devestil rassemble, vers 1923, le meilleur des avant-gardes tchèques) et Kundera (qui écrira, un peu plus de dix ans après 1968 et le Printemps de Prague).

Capitale magique de l’Europe où les effluves du maniérisme n’en finissent pas de se mêler aux cabalistes, savants, astrologues et astronomes de la cour de Rodolphe II, Prague n’est pas seule à devoir s’enorgueillir de Toyen. Le Surréalisme, dans sa dimension internationale, ne peut décemment faire abstraction de la figure sauvage (d’elle on ne sait rien, ou si peu ; qu’elle aima probablement Styrsky et aimera toujours sortir la nuit) et pour le moins fidèle (on se souvient qu’elle sera locataire de l’appartement de Breton après sa mort, c’est dire combien l’estime réciproque fut durable) de Toyen.

A côté de Nadja et de Gradiva, les grandes figures tutélaires et imaginaires, Toyen hante le Surréalisme de part en part. Ce qui est remarquable, c’est la constance viscéralement originale de son surréalisme. Comme renouvelé à chaque battement long de paupière, là où la vision s’abîme et où la poésie sort de son lit, le surréalisme de Toyen prend sa source dans le chromatisme autonome de la période formellement cubiste du Devetsil. A partir de 1925, il croît à travers l’Artificialisme. Coïncidant avec le premier séjour de Toyen et Styrsky à Paris (après la mort de Styrsky en 1942, Toyen s’y installe définitivement en 1947), l’Artificialisme fait de l’essence de la sensation ou de l’image l’objet même de la représentation. A partir de 1932 (soit trois ans avant la visite de Breton à Prague), l’univers de Toyen empreinte définitivement la voie d’une autre dimension. De cet univers et de cette dimension, La Chasse au renard donne l’extraordinaire mesure.

Avec La Chasse au renard, on entre dans le champ magnétique de Toyen. Comme dans une forêt, on pénètre dans une œuvre particulièrement dense et belle qui, à l’inverse d’une vision commune et réductrice du Surréalisme, ne cherche pas à rendre visible ce qui ne l’est pas. Le monde nouveau et la fascination qu’il génère sourdent de la distance qui sépare les choses. Cette distance qui n’est pas sans évoquer les « membranes vertes de l’espace » dont parle Lautréamont, structure un univers où les choses, objets et figures, fragments, animaux, outrepassent leur parfaite existence plastique.

Dans une composition vaste – l’Oural n’est pas sa limite, La Chasse au renard est rigoureusement organisée en trois plans horizontaux. Au premier plan, deux dalmatiens sculpturaux, minéraux presque dans leur puissance aristocratique. Au second plan, le cœur de l’action : le renard esquissé et fuyant, émouvant dans ses transparences rousses échevelées. Immobile et phosphorescent, un renard bleu (est-il celui qui figure au-dessus du linteau de la porte cochère d’un joaillier de Rodolphe II que nous avons retrouvé dans le vieux Prague ?) l’agrippe. Est-il le malin ? Révèle-t-il au contraire l’existence de la grotte où se cacher ? Derrière eux, une troupe de sangliers aux profils de dauphins s’engouffre dans la poursuite. Les points rouges calibrés qui criblent les bêtes sont-ils métaphores d’une conscience affolée ? Sont-elles au contraire les cibles d’un ennemi invisible et froid ? Après Budapest, il est probable que Prague prépare déjà sa révolte. Au troisième et arrière-plan, une femme-faucon introduit la verticalité. Dans une torsion d’une grâce et d’une noblesse extrêmes s’accomplit la fusion de la dame et du rapace. A gauche de la toile, une pluie d’or en feu fait écho et pendant. Entre les deux verticales, une enveloppe se ferme et s’envole. Emporte-t-elle comme le papillon grec de l’âme, la psyché du renard ?

Le caractère énigmatique, pour ne pas dire hermétique, de la plupart des œuvres de Toyen procède des espaces - comme autant d’intermèdes sans musique et sans danse - entre les éléments - tantôt rapides, tantôt figés - de l’architectonique générale de la composition. Sans musique et sans danse mais pétris de poésie. Consubstantielle à l’œuvre de Toyen, elle émerge de ces lacunes fantastiques entre les formes de la réalité.

Etrangement, la technique simule les rythmes poétiques. Aussi précise qu’immatérielle, la manière  de Toyen évoque à travers transparences et coulures, un univers fissuré parcouru d’un vibrato démiurgique. Et certainement très érotique. Ces latences fantasmatiques sont soutenues par un chromatisme intense, des iridescences et irisations que provoquent superpositions de grattages et glacis. L’emprise fuyante du renard roux et du renard bleu d’une part, l’étreinte consommée de la femme et du faucon d’autre part, objectivent d’autres probables rapports. Entre décadentisme sauvage et indécente innocence, La Chasse au renard participe d’une extravagance érotique propre à Toyen. Par elle, la tragédie métaphorique se mue en un fabuleux conte.

Avant nous, Breton l’avait écrit : "Elle n’est pas cruelle comme vous. Ce n’est pas parce qu’on voit chez elle des têtes tranchées de lièvres, de renards ou de loups qu’elle est cruelle. Cela a un autre sens. Un des grands secrets de Toyen, qu’elle est la seule à détenir, est de faire la part de cet inévaluable."

"Prague, sung by Apollinaire; Prague, with the magnificent bridge flanked by statues, leading out of yesterday into forever; the signboards lit up from within - at the Black Sun, at the Golden Tree, and a host of others; the clock whose hands, cast in the metal of desire, turn ever backward; the street of the Alchemist; and above all the ferment of ideas and hopes, more intense there than anywhere else, the passionate attempt to forge poetry and revolution into one same ideal; Prague, where the gulls used to churn the waves of the Vltava to bring forth stars from its depths. What have we left of all this now? We are left with Toyen.” André Breton

Fortunately we are left with Toyen. And a rare corpus of fantastic works. La Chasse au renard (The Fox Hunt) is part of this fantastic rarity.

Painted in Paris in 1964, La Chasse au renard is a major work. On a level with a pivotal work by Toyen, Au Château La Coste (1946). Floating, despite its maturity and its complexity, between Kafka (whom Toyen met in Prague at the time the Devestil gathered together the best artists of the Czech avant-garde in about 1923), and Kundera (who wrote, just over ten years later after 1968 and The Prague Spring).

Magical European capital city where the exhalations of mannerism ceaselessly mingled with cabalists, scholars, astrologers and astronomers from the court of Rodolphe II, Prague was not the only one to boast of Toyen. Surrealism, in its international dimension, could not decently disregard the wild figure of Toyen (we know nothing, or little about her; only that she probably loved Styrsky and always loved to go out at night) and to say the least faithful (one should not forget that she rented Breton’s apartment after his death, which shows just how long-lasting there reciprocal esteem for each other was).

Alongside Nadja and Gradiva, those great imaginary and tutelary figures, Toyen haunted Surrealism right through. The deeply original constancy of her surrealism is remarkable. As if renewed by each long bat of an eyelid, there where vision ruins itself, where poetry raises its head, Toyen’s surrealism finds its source in the autonomous chromatics of Devetsil’s formally cubist period. From 1925, it grew across Artificialism. Coinciding with Toyen and Styrsky’s first stay in Paris (after Styrsky’s death in 1942, Toyen moved permanently there in 1947), Artificialism rendered sensation or image essential as the object of representation. In 1932 (that is to say three years after Breton’s visit to Prague), Toyen’s universe took a definitive turn towards another dimension. La Chasse au renard shows the extraordinary extent of this universe and this dimension.

La Chasse au renard takes us into Toyen’s magnetic field. Like a forest, we enter this particularly dense and beautiful work which unlike the reductive, communal vision of the Surrealists, does not attempt to render visible the invisible. The new world and the fascination it generates, turns a blind eye to the distance that separates things. This distance which evokes the “green membranes of space” described by Lautréamont, structures a universe where things, objects and figures, fragments, animals cut across their perfect, material existence.

In a vast composition, the Ural mountains, are no limit, La Chasse au renard is rigorously organized into three horizontal planes. In the first plane, two sculptural Dalmatians, almost mineral in their aristocratic power. In the second plane, at the heart of the action, the shadowy, fleeting fox, touching in its disheveled, red transparency. Immobile and phosphorescent, a blue fox (is it the same as the one figuring above the lintel of the carriage door belonging to a jeweler of Rodolphe II that was found in the old city of Prague?) grabs hold of it. Is he crafty? Does he reveal, on the contrary, the existence of a cave for hiding. Behind them, a troop of wild boar with dolphin profiles, dive into the chase. Are the red, calibrated spots that speckle the creatures metaphors for a distraught conscience? Or are they, on the contrary, the targets of a cold and invisible enemy? After Budapest, Prague was doubtless preparing its revolt. In the third and last plane, a woman-falcon introduces some verticality. The fusion between the woman and the bird of prey is executed in an extremely graceful and noble contortion. On the left side of the canvas, a cascade of gold echoes and matches them. Between the two verticals, an envelope opens and flies away. Does it take with it the fox’s psyche, like the Greek butterfly of the soul?

The enigmatic, if not hermetic, character of most of Toyen’s works, derives from the spaces, like a succession of intervals without music or dance, between the elements, sometimes rapid, sometimes fixed, of the general architectural structure of the composition. Without music or dance, but full of poetry. An integral part of Toyen’s work, this enigmatic aspect emerges form the fantastic gaps between the forms of reality.

Strangely, the technique simulates poetic rhythms. As precise as they are immaterial, Toyen’s manner evokes, through transparencies and colours, a fissured universe inhabited by a demiurgic vibrato. And certainly very erotic. These fantasmatic gaps are sustained by an intense chromatics of iridescences and shimmerings that provoke the superposition of scratchings and glazings. The fleeting grip of the red and the blue fox on the one hand, and the consummated embrace of the woman and the falcon on the other, objectify other probable relationships. Between wild decadence and indecent innocence, La Chasse au renard participates in the erotic extravagance specific to Toyen. Through her, the metaphorical tragedy evolves into a fabulous tale.

Many years ago, Breton wrote: “She is not cruel like you. It is not because with her, we see the cut off heads of hares, foxes or wolves that she is cruel. This has another meaning. One of Toyen’s  great secrets, which she alone possesses, is to take into consideration that which is inestimable.”