Lot 51
  • 51

Barthes, Roland

Estimate
8,000 - 10,000 EUR
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Description

  • Barthes, Roland
  • Lettres à un jeune étudiant, Éric Jeanneret. Septembre 1956-novembre 1960.
  • Paper
11 lettres autographes signées (soit 22 p. in-12 à in-4), 3 cartes postales, enveloppes autographes ; signées "R. Barthes".

Sur le théâtre, le statut d’intellectuel et une amitié naissante.



Après un exposé qu’il fit à Neuchâtel, Roland Barthes reçut une lettre d’un jeune étudiant, Éric Jeanneret : ainsi commence cet échange épistolaire qui s’étendra sur quatre ans. C’est l’époque à laquelle son Degré zéro de l'écriture (1953) vient de s’imposer comme le manifeste d’une nouvelle critique littéraire, où il travaille à ses Mythologies (1957) et s’intéresse particulièrement au théâtre. Les questions pointues de l’étudiant sur sa conception du théâtre "sont toujours dans le mille du problème : c.-à-d. que je les trouve embarrassantes ; c.-à-d. que je vous admire de les poser." Artaud, Adamov, Durrenmatt (dont le texte lui "parait très faible"), Bouvard et Pécuchet, la danse, le réalisme de Paolo Paoli, etc., ponctuent leurs lettres. Selon lui, le théâtre d’Artaud est une "subversion radicale, nécessaire peut-être, admirable en tous cas, mais qui reste métaphysique, et c’est là où personnellement, je ne veux pas suivre Artaud. […] Artaud est un très grand type, en avance même encore maintenant, je vous le concède, sur tout notre théâtre parisien ; mais je crois profondément que le moment est venu de donner de l’aliénation humaine une image concrète, historique, socialisée, et non plus une image métaphysique. […]" Il évoque ensuite Brecht puis l’existentialisme. Ses propos sur l’absurde sartrien et la mauvaise foi frappent par leur intelligence et leur caractère lapidaire.



Peu à peu, le ton devient plus amical : le "Cher Monsieur" de la première lettre devient "Mon cher Éric". "J’aimerais un jour parler sérieusement, c.à.d. personnellement, non intellectuellement, avec vous. Que ne venez-vous qqus jours à Paris, à Noël, par exemple ? Je m’arrangerai pour vous loger et m’occuperai de vous. […] Vous verriez du théâtre." Hélas les obligations familiales de Barthes — sa mère et son frère ont acheté une maison à Hendaye —changent leurs projets. L’étudiant, inquiet de son avenir, consulte son nouvel ami sur les choix qu’il doit faire : "je comprends vos embarras de carrière ; mais je dirais qu’ils sont normaux dans le cas d’un garçon comme vous, qui avez été si tôt avide de savoir, avide d’une pratique intellectuelle. Or dans notre société, l’intellectuel, que vous êtes déjà si profondément, n’a pas une place définie : aucune profession ne correspond réellement à la vocation intellectuelle. […] Moi-même j’éprouve presque chaque année cette instabilité constitutive. Cela tient à ce que la société n’a économiquement aucun besoin de nous." Barthes l’encourage dans son envie d’étudier la psychiatrie ("la psychiatrie serait une excellente voie, elle est en train de s’ouvrir à la philosophie la plus moderne, et vous pouvez satisfaire à la fois l’exercice d’une pensée et celui d’une générosité") comme l’ethnologie (qui "est une base irremplaçable au cas où vous voudriez ensuite faire une sociologie plus ouverte, plus proche des problèmes de la société contemporaine"). C’est finalement vers l’économie que l’étudiant se tournera, ce qui ne l’empêchera pas de publier en 2011 une pièce de théâtre sur l’économiste dissident Silvio Gesell. Le théâtre, toujours le théâtre…