Lot 19
  • 19

Apollinaire, Guillaume

Estimate
18,000 - 25,000 EUR
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Description

  • Apollinaire, Guillaume
  • Lettre-poème autographe signée Gui, à Louise de Coligny-Châtillon (Lou), datée Mourmelon-le-Grand, 6 avril 1915, 4 pages sur un double feuillet vert eau grand in-12, écrites à l’encre noire recto-verso, sous chemise demi-maroquin noir moderne.
  • paper
TRÈS BEAU ET LONG POÈME D'AMOUR ET DE GUERRE, ADRESSÉ À LOU.

TOUTE LA LETTRE EST EN FAIT CONSTITUÉE PAR UN TRÈS LONG POÈME (78 VERS), assez désespéré, qu'Apollinaire adresse à une femme qu'il sent désormais perdue pour lui. Plus que jamais, la littérature est pour lui un dérivatif.
Le 28 mars, à Marseille, les amants avaient en effet rompu, et le poète demanda rapidement à partir comme volontaire sur le front, en Argonne. Lou se trouvait alors à Paris, logeant dans l'appartement de son ancien amant. Cette lettre-poème est écrite le jour même de l'arrivée d'Apollinaire au camp de Mourmelon. Evitant tout badinage, le poète y mêle sans cesse la guerre et son amour brisé, comme s'il sentait la mort en lui aussi bien qu'autour de lui.

Ma Lou, je coucherai ce soir dans les tranchées, lui annonce-t-il d'emblée. Il siffle des obus dans le ciel gris du nord / Personne cependant n'envisage la mort…/ J'y chanterai tes bras comme les cols des cygnes / J'y chanterai tes seins d'une déesse dignes…/ Mon coeur flambe pour toi comme une cathédrale… La suite montre toute la détresse du poète, même s'il essaie de la masquer : Je sais comment reprendre un jour mon petit Lou… / Mais que je suis content d'être parti de Nîmes ! /Aussi mon Lou chéri, je suis gai, je suis gai, / Et je ris de bonheur en t'écrivant ces rimes … Mais il soupire brusquement : Les amants vont mourir et mentent les amantes… / O ma Lou, tes grands yeux étaient mes seuls copains. / N'ai-je pas tout perdu, puisque mon Lou m'oublie ! Sa tristesse lui inspire alors des accents lyriques admirables, dignes des futurs Calligrammes :

Adieu, petite amie, ô Lou, mon seul amour,
O mon esclave enfuie,
Notre amour qui connut le soleil, pas la pluie,
Fut un instant trop court.
La mer nous regardait de son oeil tendre et glauque
Et les orangers d'or Fructifiaient pour nous.
Ils fleurissent encor
Et j'entends la voix rauque
Des canons allemands crier sur Mourmelon
- Appel de la tranchée -
O Lou, ma rose atroce, es-tu toujours fâchée
Avec des yeux de plomb ?

Il continue sur le même ton, en évoquant ce qu'il voit dans la tranchée :
… Les Allemands sont là derrière les collines
Les blessés crient comme Ariane
O noms plaintifs des joies énormes
Rome, Nice, Paris, Cagnes Grasse Vence, Sospel, Menton, Monaco, Nîmes…

et termine mélancoliquement : Adieu. Le ciel a des cheveux gris.

Lettres à Lou
(éd. M. Décaudin), lettre n° 115.