Lot 39
  • 39

Pectoral Reimiro, Île de Pâques

Estimate
200,000 - 300,000 EUR
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Description

  • Pectoral Reimiro
  • Wood, obsidian, bone
  • long. 53 cm
  • 20 7/8 in

Provenance

Collection privée, Angleterre
Collection privée

Catalogue Note

Par Michel Orliac

Depuis l’escale du capitaine James Cook, en 1774, les bois sculptés de l’île de Pâques faisaient l’objet de transactions régulières. À partir de 1868, avec le succès de l’implantation des missionnaires1, ces œuvres abandonnèrent largement la sphère sacrée des cultes autochtones. Les Pascuans, les prêtres et le capitaine Dutrou Bornier, un colon demeurant sur l’île, négocièrent désormais activement les objets cérémoniels fortement appréciés des marins.

C’est ainsi qu’en 1868, lors de l’escale de la HMS Topaze, le chirurgien Linton Palmer vit et décrivit, sans le nommer, un objet jusque là inconnu : un « pectoral fait de bois dur, en forme de croissant, chaque extrémité terminée par une tête [...] porté par les hommes concavité tournée vers le haut ». Palmer en propose une chronologie, sans doute fondée sur la patine et l’usure : « le profil des visages des [...] plus anciens est très aquilin ». En 1872, Pierre Loti accrocha un de ces pendentifs dans sa cabine sur la Flore – le prenant pour un boomerang venu d’Australie... En 1877, Alphonse Pinart signala à son tour ce « hausse-col » porté sur la poitrine, sans en connaître ni la signification ni le nom. Celui-ci sera enfin révélé au cours de la mission scientifique de la canonnière allemande Hyäne  (1882), lorsque l’intendant Weisser reçut d’Alexander Salmon un « Reimiro, pectoral du roi de Rapanui en 1882, datant de 250-300 ans ... [appartenant] au chef de tribu Hangeto ». Selon Salmon, résident sur l’île, éleveur de moutons et informateur des savants, cet objet était « porté sur la poitrine par les chefs pendant les danses ».
Près de deux générations plus tard, en 1914, Katherine Routledge ajoutera que le reimiro  « était plus particulièrement une décoration féminine ... certains des plus petits sont censés avoir été portés par Ngaara  [le dernier roi de l’île] 2». Enfin, en 1940, il fut dit à Alfred Métraux que le petit reimiro des femmes était nommé rei mata puku (= embryon de poule [?])3.

Ces informations, dont certaines sont très tardives, constituent pour ainsi dire les seules disponibles sur le reimiro. Elles l’identifient néanmoins, en tenant compte de sa très grande rareté, comme un insigne de rang porté sur la poitrine par la haute aristocratie des deux sexes.

D’autres informations établissent un lien entre le reimiro et la lune, ou plus précisément sa signification temporelle (mois). L’objet se présente en effet sous la forme d’un croissant de lune dont les cornes (ou extrémités ?) sont ornées de sculptures diverses, en général symétriques. Ces sculptures sont le plus fréquemment des têtes humaines très allongées, de forme arquée également lunaire, caractérisées par leur front plissé, un nez aquilin et dont le menton porte ou non un bouc. Viennent ensuite des sculptures énigmatiques : « coquilles » pour certains, queues de cétacé pour d’autres (M. et C. Orliac 20084), puis des poissons, des coqs et enfin des têtes humaines rondes. Les yeux de ces diverses représentations sont le plus souvent incrustés d’os et d’obsidienne. La longueur des reimiro est comprise entre 24 cm et 91 cm et leur hauteur entre 12 et 46 cm. Du plus petit au plus grand, la répartition régulière des dimensions ne permet pas de discriminer des classes d’objets, comme c’est le cas entre les rapa et les ao. Par ailleurs, ces dimensions ne semblent pas être liées à la nature des figures qui les ornent.

Quelle que soit leur dimension, les reimiro présentent tous la même morphologie, éminemment élaborée : ils sont en effet courbes à la fois longitudinalement et transversalement. L’une des faces, convexe et régulière, est ourlée sur le bord supérieur d’un bourrelet creusé d’une rigole, et arbore le dispositif de suspension (le plus souvent deux tétons perforés placés de part et d’autre de l’axe médian vertical). L’autre face, concave, est beaucoup plus complexe. Elle est creusée en son milieu d’une longue cavité arquée, à bords abrupts, dont le fond plat porte parfois encore les traces d’un  colorant rouge ou blanc. Les surfaces comprises entre cette lunule et les bords de l’objet sont, elles aussi, concaves.

La forme très sophistiquée du reimiro témoigne superbement du talent des prêtres-sculpteurs pascuans. Pour ce pendentif royal, ils utilisaient surtout le bois du makoi (Thespesia populnea), mais aussi celui du toromiro (Sophora toromiro) ou encore des bois flottés (C. Orliac 20105). Afin de disposer de la dimension maximale de la pièce de bois, les objets les plus grands étaient taillés transversalement dans le houppier de l’arbre.

Ce superbe reimiro présente, sous leur forme la plus classique, tous les caractères énumérés ci-dessus. Ses dimensions et ses proportions le placent au cœur du très étroit corpus des objets de ce type. Enfin, l’adoucissement des reliefs et les profondes usures qui entament le bord externe des bossettes perforées – où passait le lien de suspension –, attestent du très long usage de cet insigne réservé aux sommets de l’aristocratie pascuane.

Gorget, reimiro, Easter Island

By Michel Orliac

In 1868, during the visit of HMS Topaze, the surgeon John Linton Palmer saw and described a hitherto unknown object: ‘the men wore a gorget made of hard wood, lunate in shape, and each end terminated in a head; the concavity was uppermost.’ Although he did not give the object its name, reimiro, Linton Palmer provides a chronology, which he probably formed based on observation of patina and wear, noting that ‘the profile of the face in the oldest gorgets was very aquiline.’ In 1872, Pierre Loti hung one of these gorgets in his cabin aboard the Flore, mistaking it for a boomerang brought back from Australia…In 1877, Alphonse Pinart also drew attention to this type of ‘gorget’, worn on the chest, again without knowing its meaning or its name. This information was finally revealed in 1882 during the scientific mission of the German gunboat Hyäne, when Alexander Salmon presented a ‘reimiro, a gorget belonging to the king of Rapanui in 1882, dating back 250-300 years…[the property of] tribal chief Hangeto’ to Weisser, the ship’s steward. According to Salmon, a resident of the island and sheep farmer who provided scholars with information, this item was ‘worn on the chest by chiefs during dances.’

Almost two generations later, in 1914, Katherine Routledge noted that reimiro ‘was especially a woman’s decoration, but a number of small ones were said to have been worn by Ngaara [the last king of the island].’ [2] Finally, in 1940, Alfred Métraux was told that the smaller women’s Reimiro was called a rei mata puku (chicken embryo [?])[3].

This information, much of which is very late in date, is the only data available on the reimiro. Despite its limitations it helps to identify these objects, in the light of their great rarity, as badges of rank worn on the chest by both male and female members of the aristocracy.

Other information establishes a link between reimiro and the moon, or more accurately, its temporal significance, the lunar month. Reimiro take the shape of a crescent moon, in which the horns (or extremities?) are decorated with varied sculptures, usually symmetrical. These sculptures are most frequently very elongated human heads, in an arched form which is also lunar. The heads are characterised by their furrowed brows, aquiline noses, and chins which may or may not have a goatee beard. Then there are others with enigmatic sculptures: ‘Shells’ for some, tails of cetacean for others (M. & C. Orliac, 2008[4]), then fish, cockerels, and rounded human heads. The eyes of all of these various representations are frequently inlaid with bone and obsidian. Reimiro range in length from 24 cm to 91 cm and in height from 12 to 46cm. From the smallest to the largest, the regular size distribution does not allow us to categorise specimens in the manner which is possible for rapa and ao. Moreover the scale of reimiro does not seem to be related to the character of the figures that adorn them.

Regardless of their size, reimiro all display the same highly elaborate morphology, being curved both longitudinally and transversely. One side, convex and regular, is bordered on the upper edge by a raised rim, carved with a groove; this side bears the suspension device (usually two pierced studs placed either side of the vertical median axis). The other side is concave and much more complex. A long arcuate cavity runs across the middle, with steep edges and a flat bottom, which still occasionally bears traces of a white or red colour. The surfaces between this crescent and the sides of the object are also concave.

The highly sophisticated shape of the reimiro is a superb testament to the talent of the sculptor-priests of Easter Island. For these royal pendants they mostly used makoi wood (Thespesia populnea), but also toromiro (Sophora toromiro) or even driftwood (C. Orliac, 2010[5]). In order to make use of the greatest possible size of the wood, the larger specimens were carved out transversely from the crown of the tree.

This beautiful reimiro displays all of the characteristics listed above in their most classic form. Its scale and proportions place it at the heart of the very small corpus of objects of this type. Finally, the softening of the reliefs and the deep wear to the outer edge of the perforated studs, where the suspension cord would have been threaded, testifies to the long use of this insignia, reserved for the highest aristocracy of Easter Island. 

[1]Congrégation des Sacrés-cœurs de Jésus et de Marie.

[2]Routledge Katherine, 1920,  page 268.

[3]Métraux Alfred, 1940,  page 231.

[4]Orliac Orliac M. et C. 2008, Trésors de l’île de Pâques, p.XXX )

[5]Orliac C., 2010, Botanical identification of 200 Easter Island Wood Carvings, Gotland University Press, 11, p. 125-139