Lot 12
  • 12

Cy Twombly

Estimate
2,000,000 - 3,000,000 EUR
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Description

  • Cy Twombly
  • Ides of March
  • titré; signé et daté 62 au dos
  • huile et crayon sur toile
  • 173 x 199 cm; 68 1/8 x 78 1/4 in.
  • Exécuté en 1962.

Provenance

Galleria La Tartaruga, Rome
Gagosian Gallery, New York
L&M Arts, New York
Thomas Ammann Fine Arts, Zurich
Collection particulière, Etats-Unis
Vente: Sotheby's, Londres, 28 juin 2010, lot 21
Acquis lors de cette vente par le propriétaire actuel

Literature

Heiner Bastian, Cy Twombly : Catalogue Raisonné of the Paintings, Volume II, 1961-1965, Munich, 1993, p.205, no.135, illustré en couleurs

Catalogue Note

Ides of March est une toile monumentale réalisée à Rome où Cy Twombly arrive en 1957. Peinte la même année que Death of Giuliano de Medici conservée à la Kunsthalle de Hambourg, elle fait partie d’un cycle bref (1961-1964) et violemment original. Comment expliquer qu’un des jeunes leaders de la peinture expressionniste américaine qui a l’amitié de Rauschenberg et l’aval de Leo Castelli  à New York décide de s’installer seul à Rome, berceau de la culture classique ? Et surtout, comment, en dépit des références plus ou moins explicites à l’Antiquité classique, les œuvres du début des années 1960, Ides of March en particulier, témoignent de l’extraordinaire capacité de Twombly à épurer le langage de l’Expressionnisme Abstrait tout en lui restant fidèle ? Ces questions et des éléments de réponses désignent Ides of March comme une œuvre d’une souveraine audace.

« Caesar, méfie-toi des Ides de Mars ! » lui avait-on prédit. En 44 avant JC, le 15 du mois, César est assassiné. En 1962, Cy Twombly peint Ides of March.

De Vengeance of Achilles, 1962 (Kunsthaus, Zurich) à School of Athens, 1964 (Cologne, Museum Ludwig) en passant par Nine Discourses on Commodus, 1963 (Guggenheim Museum, Bilbao), c’est tout un aéropage de figures historiques et mythologiques qui est convoqué. Pour autant, Roland Barthes, le critique de l’artiste, prévient du contre-sens : les titres que Twombly donne aux œuvres du début des années 1960 n’induisent pas d’immédiate analogie. En l’espèce, ce n’est pas parce que l’oeuvre s’intitule Ides of March que Twombly devient narrateur et illustrateur. Comme l’écrit Barthes, comme l’avaient compris Leo Castelli, cette suite de toiles capitales démontre l’originalité hors norme de Twombly. Au moment où il arrive de New York où l’Expressionnisme Abstrait bat son plein, Twombly reçoit - en quelque sorte - le choc de l’Italie. Pour autant, l’immersion dans ce berceau de culture classique (des sculptures grecques des cours du Vatican aux Chambres de Raphaël dans les appartements du Pape) n’entraine pas conversion à la figuration. Mais elle fait surgir chez le jeune peintre Américain la conscience d’un temps archaïque – réel ou fictif. Affirmant que « le passé est la source car tout art est essentiellement contemporain », il ne brandit pas cet axiome comme un alibi de la réintégration de la figure dans son œuvre. Si le titre est explicite, la peinture, sous des allures subséquentes allusives, n’en demeure pas moins superbement abstraite.

Outre la tension avec le titre qui force l’imagination et la vision, Ides of March est une œuvre dont la puissance et l’impact visuel procèdent d’une autre tension : entre lignes et couleurs. Les œuvres de la première moitié des années 1960 se distinguent par un abandon de l’all-over de la « période américaine ». Ides of March est symptomatique de ce passage de l’automatisme – palimpseste pur à une syntaxe de traits. Tracées à la mine de plomb sur la toile peinte en blanc, ces lignes gagnent en sémantique sans pour autant le concéder à la mimesis. A l’exception du titre qui court en bas de la toile et correspond à un cas immédiat de dessin scriptural, le tracé semble suivre le cours d’une pensée irréductiblement informelle. Voir dans l’enchevêtrement des lignes situées dans l’angle supérieur droit de la toile la main encore volontaire d’un César faiblissant sous les coups multiples de couteau, n’est-ce pas asservir l’imaginaire à ce que lui dicte le testament écrit, c’est-à-dire, le titre ? Hautement théâtral dans un contexte, le motif renoue avec l’indépendance de la vie de formes dès qu’il en est abstrait. En cela, Ides of March est exemplaire de la polysémie des œuvres peintes entre 1961 et 1964. Cette polysémie - dont on connait les limites - entre en résonnance avec l’ambivalence même de la ligne qui oscille entre maitrise solennelle du geste (n’oublions pas que Twombly a Raphaël sous les yeux) et fureur expressionniste innée. Semblable dichotomie se retrouve dans le registre des couleurs. Ab limine litis, il est à noter que les toiles réalisées au début des années 1960 dont Ides of March, font un usage exceptionnel de la couleur : la pâte est travaillée, mélangée, étirée comme nulle part ailleurs dans l’œuvre de Twombly. Peinte dans l’angle supérieur gauche, la forme sombre et dense (dans laquelle certains pourront voir la tête de César) a une matérialité – voire une corporéité – rare. Que dire de l’empreinte vermillon laissée dans le bas de la composition ? Passionnelle, vengeresse, la couleur est littéralement griffée. Avec les verts abstraits de toute référence au ton local, rouge brun et rouge sang s’enlèvent sur l’impavide fond blanc. Récurrent dans le cycle auquel appartient Ides of March, le blanc qui tranche avec l’horror vacui de l’Expressionnisme Abstrait, pourrait avoir été inspiré par la lumière d’Italie. Mais Twombly lui-même dit qu’il est moins naturel que purement symbolique et spatial : « La blancheur peut-être l’état classique de l’intellect, ou un espace néoromantique du souvenir ». A l’image du blanc, Ides of March est une œuvre où se résout le drame des antagonismes. Cette oeuvre témoigne surtout de l’extraordinaire capacité de Twombly à réinterpréter un classicisme diffus dans un contexte d’expression fondamentalement abstrait.

Ides of March is a monumental canvas painted in Rome where Cy Twombly arrived in 1957. Painted the same year as Death of Giuliano de Medici now in the collection of the Kunsthalle in Hamburg, it is part of a short cycle of works (1961-1964) and violently original. How can it be explained that one of the young leaders of American expressionist painting, a friend of Rauschenberg and supported by Leo Castelli in New York, should decide to move to Rome, the cradle of antiquity? And above all how, despite more or less explicit references to classical Antiquity the works from the early 60's, Ides of March in particular, testify to Cy Twombly’s extraordinary capacity to purify the language of Abstract Expressionism whilst remaining faithful to its aims? These questions and elements of a response define Ides of March as a work of supreme audacity.

“Caesar, beware the Ides of March!” warned the soothsayer. In 44BC, on the 15th of March Caesar was assassinated. In 1962, Cy Twombly painted Ides of March.

From Vengeance of Achilles, 1962 (Kunsthaus, Zurich) to School of Athens, 1964 (Ludwig Museum, Cologne) via Nine Discourses on Commodus, 1963 (Guggenheim Museum, Bilbao), Cy Twombly summons an entire assembly of historical and mythological figures. However Roland Barthes, a critic of the artist, warns of a misinterpretation: the titles Twombly gave to his works from the early 60's do not incur an immediate analogy. In this instance, it is not because the work is entitled Ides of March that Twombly becomes a narrator and illustrator. As Barthes writes, and as Leo Castelli understood, this series of major canvases demonstrates Twombly’s exceptional originality. At the time he arrived in New York where Abstract Expressionism was in full swing, Twombly was hit – in some ways – by the shock of Italian culture. Yet, his immersion in this cradle of classical culture (from the Greek Sculptures of the Vatican to Raphaël’s Chambers in the Pope’s apartments) did not bring about his conversion to figuration.  But brought forth in the young painter an awareness of archaic times – real or imaginary. Declaring that “the past is the source because all art is essentially contemporary”, he does not brandish this axiom as an alibi for reintegrating the figure into his work. If the title is explicit, beneath its subsequent allusive airs the painting remains superbly abstract.

Beyond the tension created by the title which forces the imagination and vision, Ides of March is a work whose strength and visual impact proceeds from another tension: between lines and colors. The works from the first half of the 1960s can be defined by an abandon of the all-over technique of the American period. Ides of March is symptomatic of this transition from automatism – pure palimpsest to syntax of lines. Drawn in pencil on a white painted canvas, these lines gain in semantics without however conceding to mimesis. With the exception of the title running along the bottom of the canvas and corresponding to an immediate case of scriptural drawing, the lines seem to follow the course of an irreducibly informal approach. If we see in the tangled lines of the canvas’s upper right hand corner the hand of a still struggling Caesar weakening under the multiple blows of a knife, is this not a way of subjugating the imagination to the dictates of the written title? Highly theatrical in its context, the design re-establishes with independence the life of forms as soon as it becomes abstract. In this, Ides of March is an example of the polysemy of painted works between 1961 and 1964. This polysemy – the limits of which we are aware of – starts resonating with the line’s very ambivalence, oscillating between the solemn control of gesture (let us not forget that Twombly has Raphaël in mind) and an innate expressionist fury. A similar dichotomy can be found in the range of colors. Ab limine litis, it can be noted that the canvases painted at the beginning of the 1960s, including Ides of March, reveal an exceptional use of color: the paste is worked, mixed, spread across the painting like nowhere else in Twombly’s works. Painted in the upper left hand corner, the dark and dense form (in which a few may glimpse Caesar’s head) has a rare materiality or even corporeality. What can be said about the vermillion mark placed at the bottom of the composition? Passion, revenge, the color is literally scratched. With the green tints, totally different from the local color, the brown reds and blood reds lift from the fearless white background. White is a recurring color in the series that includes Ides of March : it contrasts in horror vacui with Abstract Expressionism and may have been inspired by the Italian light. Yet Twombly himself said it was less natural that purely symbolic and spatial: “The whiteness can be the classical state of intellect, or a neo-romantic space of memory.” Like the color white, Ides of March is a work where antagonisms are resolved.  Above all, it testifies to Twombly’s extraordinary capacity to reinterpret a classicism diffused within the context of a fundamentally abstract expression.

Cy Twombly, Palestrina, 1959 © D.R.