Lot 69
  • 69

François Watteau, dit Watteau de Lille

Estimate
100,000 - 150,000 EUR
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Description

  • François Watteau, dit Watteau de Lille
  • Le Bal de Tivoli
  • Signé et daté en bas au milieu F. Watteau/an 7eme/r. p. f.
  • Huile sur panneau non parqueté
    Porte au dos plusieurs étiquettes.

Provenance

Collection Charles Lenglart, Lille ;
Collection Louis Lenglart, Lille ;
Collection Jules Lenglart, Lille ;
Sa vente, Paris, Hôtel Drouot, 10 mars 1902, n°109 ;
Acquis à cette vente par Eugène Kraemer ;
Sa vente, Paris, galerie Georges Petit, 28-29 avril 1913, n°70 ;
Acquis à cette vente par la famille de l’actuel propriétaire.

Exhibited

Explication des peintures, sculptures, gravures, desseins, et autres ouvrages, exposés dans l’un  des Salons du Cirque de Lille, le 25 messidor an VIII de la République Française, jusqu’au 4 thermidor inclusivement par les Peintres, Sculpteurs, Artistes et Amateurs de la même ville, Lille, 1800 ;
Exposition Watteau, Lille, Palais Rameau, 1889 ;
Collections privées du nord : Maîtres Anciens, musées de l’Hospice Comtesse, Lille, 1968;
Les Watteau de Lille,  Lille, Musée des Beaux-Arts, 16 mai-31 août 1998

Literature

P. Marmottan, Notice historique et critique sur les peintres Louis et François Watteau, dits les Watteau de Lille, Paris, 1889, pp.45-46, pp.49-50, p.61 et p.69 ;
A. Mabille de Poncheville, Les peintres Louis et François Watteau, dits Watteau de Lille, G.B.A, avril 1926, p.228 ; id.., 1928-a, pp.75-76, p.109, n°24 et p.113, n°5 ; id., 1928-b, p.270 ; id., 1959, p.97 ;
CG. Marcus, « Louis et François Watteau dits les Watteau de Lille », Art et Curiosité, III, mai-juillet, n°62, pp. 20, n°22 ;
G-A Langlois, Folies, tivolis et attractions – les premiers parcs de loisirs parisiens, Paris, 1991, p.209, n°254, repr.192 ;
H. Oursel, « Les arts sous la Révolution et l’Empire », dans Trenard L., Histoire de Lille -, l’ère des Révolutions (1715-1851), Toulouse, 1991, p.364;
G. Maës, Les Watteau de Lille, Alençon 1998, p.381, n° FP84, rep. p.115

Condition

The painting is in overall very good condition. The painting is painted on a panel made with one non cradle plank perfectly stable. There is a very light beginning of a slit of about 25 centimeters long starting from the left edge. No visible restoration. Under UV light: The painting is under a green uniform varnish. There is a thin retouch along the slit previously mentionned. We can notice a little restoration of about 1 centimeter diameter in the lower right corner and a small dot of restoration of 0.5 centimeters in the middle of the right edge.
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Catalogue Note

« C’est encore une des œuvres qu’il est indispensable d’examiner si l’on veut estimer à sa juste valeur François Watteau. Les amateurs parisiens n’avaient jusqu’ici qu’une vague idée de lui ; devant de tels documents, une conviction nait et s’affirme, le sens du maître apparait et l’étreint. Qu’est-ce qu’en effet que le tableau de Tivoli. ? Un chef-d’œuvre. L’esprit gaulois y coule à plein bords, aussi la mise en scène infiniment récréative s’en ressent-elle. Voici dans un cadre formé par des futaies à fraiches feuilles d’un ton exquis qu’on aurait avoué Louis Moreau, une vaste tente à gauche ; près de celle-ci une musique envoie dans l’air ses accords symphoniques déliant les jambes de 6 couples enlacés et s’embrassant sans vergogne. » Paul Marmottan dans sa notice sur les Watteau de Lille. Cette citation du grand collectionneur et historien de l’art du XIXème siècle que l’on retrouve sur une étiquette manuscrite au dos du tableau nous résume le regard qui était porté sur notre œuvre dès le milieu du XIXème siècle. Considérée comme un chef d’œuvre, ce tableau représente un tournant de carrière de l’artiste. En effet, François Watteau de Lille était plutôt connu du grand public pour ses portraits ou ses scènes militaires, que le contexte historique l’avait porté à développer. Notre tableau daté de l"an 7 (1799) est un parfait témoignage du changement radical  des mœurs et des habitudes de la société à la fin de la Terreur.
L’œuvre était considérée par les contemporains de l’artiste comme un éloge de la mode et de la société de son temps grâce aux personnages animant la scène.
Le goût de Watteau de Lille pour la mode peut trouver son origine dans sa collaboration avec la revue Gallerie des modes et costumes français pour laquelle il réalisait les illustrations. Célèbre pour ses scènes d’agrément et pour ses croquis d’élégantes de l’époque, il entra en contact avec Esnault et  Rapilly qui avait fondé la revue en 1778. Il développa alors son goût pour la mode et les toilettes, et s’attacha à ce nouveau genre de peinture et de dessin. François Watteau passa une année fructueuse à leurs côtés, réalisant de nombreux modèles. Durant ses années parisiennes (1774-1786), Watteau remplit plusieurs carnets de croquis ; il était habitué à saisir des scènes de jardins, de société, et fixait sur le papier les costumes des gens qu’il croisait ou admirait. Ce n’est que plus tard que, s’inspirant de ses carnets,  l’artiste réalisa des tableaux d’envergures dont le nôtre fait partie.

Ayant quitté Paris et son poste d’illustrateur pour la Gallerie des modes et costumes français en 1786, François Watteau regagna sa ville natale. Son retour à Lille fut difficile car l’artiste ne connut pas l’aura ni l’engouement du public qu’il avait pu mesurer à Paris pour sa peinture. S’étant d’abord cantonné à des scènes historiques, que le contexte politique parisien favorisait, il décida, après une période de réflexion, d’élargir ses sujets de compositions et de développer une certaine polyvalence. C’est ainsi qu’en 1798, au Salon lillois de l’an VI, il présenta toute une série de tableaux aussi différents par leurs thèmes les uns des autres. Il aborda le sujet religieux, le portrait, les sujets d’actualités et les scènes de genre. C’est à ce tournant dans la carrière du peintre que se situe Le Bal Champêtre, peint en 1799. Ayant sans doute ressorti les carnets de croquis noircis lorsqu’il était à Paris, il s’en inspira, réutilisant ses personnages et ses scènes pour les agencer et les incorporer à notre tableau. On connaît une esquisse préparatoire (collection privée), pour le tableau ce qui nous confirme le soin que l’artiste accorda à cette œuvre.  

La scène prend place dans le parc de Tivoli, aussi nommé « Folie-Boutin » en l’honneur du riche financier et fermier général Boutin qui l’a fait aménager au début du XVIIIe siècle au Nord-Est de Paris, dans le quartier Saint-Lazare, entre le 66 et le 110 de la rue du même nom. Il fut confisqué sous la Révolution et son propriétaire fut exécuté. Devenu un parc d’attraction, il rouvrit ses portes en 1795 et attira beaucoup de monde. On y donnait les plus belles fêtes de Paris. Ce parc, plus communément appelé  jardin, était composé de plantes rares, de fausses ruines et de rochers, de grandes pelouses et des ménageries, et offrait des divertissements de jeux d’eaux. Ce genre de jardin rappelait les lieux de villégiature, les séjours à la campagne, là où la bonne société parisienne pouvait se retrouver au calme et dans un cadre bucolique. Orné de plantes rares, cet espace, qui était payant, était devenu un lieu de promenade célèbre et possédait une foule de ressources : musique, danse, foires, bosquets, jets d’eau, labyrinthes, comédies en plein air, arlequins, marchands de mode, ou encore des chansonniers. Une fois la nuit tombée, le jardin s’illuminait de feux d’artifices et de lampions colorés, retenant jusque tard dans la nuit bon nombre de spectateurs qui agrémentaient le spectacle de leurs costumes brillants et somptueux. Ce « jardin des plaisirs » était un lieu de rencontres amoureuses et les bosquets étaient propices aux isolements de certains couples. Des comédiens et des forains se donnaient en spectacles, suscitant les applaudissements et les rires des spectateurs. Plus tard, il deviendra une station thermale, servant alors de prétexte à des fantaisies nautiques.
Watteau de Lille choisit ici de représenter les parisiens, plutôt aisés, dans leurs loisirs. Dans un premier temps, il réutilise des modèles qu’il avait croqués dans ses carnets. Il reproduit la forme d’un vêtement ou l’agencement heureux de personnages aperçus dans un jardin au cours de l’une de ses promenades. Il tend à montrer le désir effréné des Français pour les fêtes et les plaisirs au lendemain de la Révolution. C’est ainsi que l’on trouve des hommes et des femmes dansant, conversant et évoluant dans un décor bucolique où tout semble appeler aux plaisirs, aux rires, aux jeux et aux frénésies de toutes sortes. Une tente et un chapiteau de chaque côté de l’allée principale semblent abriter ces attractions qui se sont développées après la Terreur et qui divertissaient la société avec leurs magiciens, leurs lanternes magiques et autres plaisirs forains.

Ces hommes et ces femmes représentent le courant mondain et réactionnaire qui s’est mis en place face à la Terreur. Incroyables et Merveilleuses, c’est ainsi que l’on appelait les membres de la société parisienne qui, sous le Directoire, suivaient un courant de mode caractérisé par sa  dissipation et ses extravagances, pour réagir face à la tristesse et à l’austérité de la Terreur. La gent masculine, les Incroyables, s’habillait avec une élégance telle qu’on les qualifiait de merveilleux et d’incroyables. En effet, ils étaient vêtus, comme on le remarque dans le tableau,  de chapeaux haut de forme, comme il sied pour les grandes occasions, on voit chez certains le foulard porté haut sur la figure et les cheveux longs. Ces Incroyables évoluaient en société et se réunissaient sans les salons de Barras ou encore de Theresa Tallien. Ils adoptaient un langage qui leur était propre, avec la particularité d’omettre les « r » lorsqu’ils s’exprimaient, cette lettre rappelant trop le mot « Révolution ».
Appelées  Merveilleuses, les dames adoptaient un habillage propre à l’Antiquité païenne. Elles portaient des robes décolletées très légères, d’une transparence qui rappelle les tuniques antiques, avec une taille assez haute, et des chapeaux amplement fournis de plumes et de rubans.  C’est ainsi qu’on pouvait trouver les robes «  à la Diane », les tuniques « à la Minerva » ou encore les redingotes « à la Galathée ». Cette allusion à l’antique se retrouve même dans le nom du jardin où la scène se situe : il reprend le nom du Jardin Tivoli de Rome, où se situe la fameuse  Villa d’Este. La statue antique que l’on aperçoit à droite, habillée comme les dames dansant, illustre ce retour à l’antique des mœurs de l’époque. Cette classe aisée de la société développait une sorte de recherche effrénée du négligé, contraire au costume de rigueur et de bienséance.

L’attitude des personnages de notre tableau illustre une ère nouvelle. La chute de Robespierre marque la fin de la Terreur, laissant la place au Directoire. Désormais les marchands peuvent eux-mêmes fixer les prix de leurs marchandises. C’est ainsi que les magasins commencent à ouvrir et à élargir leurs étalages, et qu’apparait la frénésie de la mode et des plaisirs, avec pour but d’oublier et de célébrer la fin de ces années de Terreur. Outre la mode vestimentaire, on assiste à une effervescence des plaisirs, des jeux et des rencontres. La scène peinte ici montre des couples discutant galamment au premier plan, puis une ronde de couples s’adonnant joyeusement au plaisir de la danse. A l’inverse du Jardin des Tuileries où la promenade et la bienséance étaient de rigueur, le Jardin de Tivoli était l’endroit parisien par excellence où l’on donnait des fêtes insensées, où l’on s’amusait, jouait et dansait.