PF1331

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Lot 276
  • 276

Stendhal, Henri Beyle dit

Estimate
60,000 - 80,000 EUR
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Description

  • Stendhal, Henri Beyle dit
  • M. Beyle, ex-auditeur au conseil d’Etat. Histoire de la peinture en Italie. Paris, P. Didot, l’aîné, imprimeur du Roi, 1817. 2 volumes in-8. Demi-basane blonde à coins, papier brun marbré, dos lisse orné de compartiments de filets dorés et d’un grand fleuron doré répété, pièces de titre et de tomaison de basane brune, tranches jaspées (Reliure strictement de l'époque). Boîte demi-maroquin aubergine à grain long à coins, large dos à fines bandes mosaïquées, entièrement décoré à la grotesque, filets et palettes dorées (Dubois d’Enghien-Dooms).
T. I : 1 f. n. ch. (f.-t.), LXXXVI pp. dont t., 1 f. n. ch. (Ecole de Florence), 298 pp. +  f. 212bis/ter (f. du carton).
T. II : 2 ff. n. ch. (f.-t. et t.), 452 pp. dont le carton d’1 f. pour 21/22-23/24.

Les rares 3 ff. d’errata (2 ff.n. ch. au t.I et 1 f.n.ch. au t. II) sont reliés en tête après les titres, tels que signalés par Cordier mais non par Vicaire (cf. infra l’exmplaire Stendhal de Grenoble). L’auteur en avait envoyé beaucoup plus à Crozet qui en fit cette sélection.



Titres de relais de [1820] à la date de 1817 au nom de Beyle. Nouvelle définition.



Non signalés par Carteret, ils sont au nom de Beyle au lieu de  M.B.A.A [M. Beyle, ancien auditeur]. Celui du tome I porte l’épigraphe modifiée des 6 vers de Monti à la place de celle des Carraches de 1ère émission. C’est seulement dans la remise en vente de 1825 que le tome II aura également celle de Monti. On a souvent écrit que les vers de Monti n’apparaissaient qu’en 1825.



“Ces exemplaires, écrit Arbelet, forment une exception unique dans toute l’oeuvre publiée du vivant de notre auteur. Ils sont les seuls qui aient jamais porté son nom véritable”. Il ajoute qu’ils ont été réalisés en [1820], à la demande expresse de Stendhal formulée dès 1819 (voir son édition de l’oeuvre chez Champion, 1924 p. CXXXI). Exception remarquable, car il ne voulait même pas au départ que Didot sache son nom, l’ami Crozet servant d’intermédiaire pour l’impression. Et même certains exemplaires comme des lettres d’envoi en 1817 furent maquillés sous le nom d’Aubertin (voir infra). La méfiance était totale en période légitimiste et l’imprimeur imposa 26 cartons.



Six exemplaires recensés au nom de Beyle : L. de Potter ; Mérimée (décrit en long par Vicaire d’après la vente de 1891 et repris par H. Cordier) ; Stritch-Jules Guillemin (première mention en 1875, voir Cordier) ; exemplaire Heilbrun relié par Maylander avec les deux titres et le f. de dédicace à l’empereur de Russie in cat. 4, mars 1952, n° 1026, et deux exemplaires de la bibliothèque de Stendhal : celui de Jacques Guérin (cf. infra) et un autre en demi-veau lavallière, dos ornés de 3 fleurons à froid, de filets et fers dor., avec note aut.  relatant les articles de l’Edinburgh Review  et de la Biblioteca italiana (cat. Blaizot 314 [février 1960], n° 7549, référence donnée par Simonson  au crayon sur la garde, à titre de comparaison et non d’origine).



Le tirage, comme toujours, contient les 26 cartons que l’imprimeur pusillanime imposa (un 27e fut contesté, et un seul exemplaire incomplet de la coll. Tourneux est connu avant les cartons), et bien sûr sans le feuillet de dédicace à  [Alexandre Ier] réservé à la cour de Russie.

Le tome II porte pour la 1ère fois la célèbre épigraphe “To the happy few” (“aux âmes sensibles” dit-il dans une lettre) qui figure également en note au ch. XXXIV.



Magnifique envoi autographe sur le faux-titre du tome I : "hommage a l’auteur de l’esprit / de l’Eglise // accompagné de l’instante prière/ de remarquer et corriger les fautes./ l’auteur n’a pu pénétrer dans aucune / Bibliothèque à Rome, et n’a rien su / sur les moeurs du siecle de Léon X/ que par Reichard et les écrivains/ florentins”. (Heinrich A. Ottokar Reichard  a publié un Guide du voyageur en Europe, titre changeant selon les nombreuses éditions).



Seize pages d’annotations autographes (y compris l’envoi) en marge à la plume, restées inédites, l’exemplaire étant quasiment inconnu. 4 figurent sur des pages pliées, heureusement non rognées. Aussi la reliure d’époque a été faite sur le broché annoté (l’exemplaire de Grenoble quant à lui a été coupé cf. infra). Quelques notes au crayon effacées mais lisibles (t. I p. 6 et 81) et une intacte p. 280 sont d’une autre main.

Citons des exemples :
- T. I p. L, note : “(I) Est-il besoin d’avertir qu’on parle de la monarchie absolue, dont rien ne diffère plus que l’heureux gouvernement que nous devons à un prince libéral ? R. C.” [biffé]. Le R.C. est ajouté sur le carton XLIX-L.
R [ailleurs : Ri.] Rioust // C. Chevalier // deux condamnés injustemen / p[ou]r. delits de la Presse l'an / 1817. Ces lettres R. et C. restèrent longtemps mystérieuses jusqu’à ce que P. Arbelet les explicitent en 1924 grâce à une missive (son édition chez Champion t. I p. 304). Vu les cartons imposés à son intermédiaire Crozet, Stendhal avait imaginé ces notes adoucies  signées des initiales de deux journalistes poursuivis. Il le confirme ici, comme dans l’exemplaire de Grenoble : “La pensée obligée sans cesse à s’envelopper d’un voile. L’imprimeur tremblant à chaque phrase. Les amis de l’auteur n’osant suivre l’impr[essi]on”(cité par Martineau,1950 p. 636, voir infra). Une longue note sur carton signée RI.C. au t. II (p. 126) vient tempérer l’éloge du Napoléon de Canova “(...) peu de personnes haïssent autant que l’auteur l’assassin du duc d’Enghien (...) Napoléon est devenu un personnage historique; il appartient à celui qui étudie l’homme tout comme au bavard politique (...)”, et d’ajouter en marge : par prudence.



- Quelques utiles précisions. T. I p. LXXXII : “(I) Ecrit en septembre 1814, à B**** Besançon". On ignorait jusqu’à présent la ville, mais il est alors en Italie (date changée selon son habitude). - T. II, p. 210, note : “La ville de L.sLangres par l’organe du grand poète comique R.” Roger, ce qui vient confirmer les hypothèses d’Arbelet.



- T. I p. 210 (coin plié non rogné) : Très mauvaise copie/ par Bossi qui fut un beau garçon/ et rien de plus/  Buste/ sublime du-/ dit par/ Canova à/ l’Ambrosiana. Monument à la mémoire du peintre et collectionneur Giuseppe Bossi (1777-1815) érigé par son ami Canova à la Biblioteca Ambrosiana avec son buste à la Brera. Copie peinte de la Cène de Vinci que vit Stendhal chez Raffaelli qui en fit une mosaïque portée à Vienne écrit Stendhal p. 212. Ces notes sont sur 2 cartons.



- A plusieurs endroits, il signale que le texte fut censuré par l’éditeur : T. II p. 105, note 1 : “Il est probable (...) qu’un grand général qui auroit fait tant de bien, et qui  fait tant de mal à la France, étoit bilieux.” Stendhal note ici : arrangé par l’éditeur. - T. II, p. 352.  Il renvoie en note au XVéme siècle prudence de l'Editeur.  



Dix exemplaires annotés de l’originale recensés :



- Ex. Tourneux, tome I seul connu avant cartons.



- Paris, Biblioth. Doucet : Ex. Blanchard de Farges. Ces deux étudiés par Arbelet (1924).



- Milano, Biblioteca  Braidense. Ex. Novati, annoté par l’auteur et des amis italiens.



- Grenoble, Biblioth. municipale. Ex. de Stendhal-Alessandro Carabelli étudié par Martineau in Mercure de France, 1/12/1950. En reliure d’époque avec H.B. au bas du dos, mais le ciseau du relieur, contrairement au nôtre, a coupé des annotations en marge du tome II, celles du tome I étant sur 11 ff.bl. ajoutés à la reliure. Il possède aussi les 2 errata reliés en tête.



- Roma, Biblioteca dell’ Instituto di archeologia e storia dell’arte, fonds Rocco Pagliaro (dédicace et une seule note).



- Torino, Biblioteca dell’Accademia delle Scienze (dédicace et une seule note).



- Ex. Achille Pellizzari, collectionneur stendhalien de l'entre-deux-guerres (vente d’un choix en mars 1950). Redécouvert et acheté par le stendhalien Dr Bruno Pincherle qui en publie les annotations bien calligraphiées dans le Stendhal Club, n° 3, 15/4/1959. Le cryptogramme d’auteur du titre est ici complété par M.B.A. Aubertin.



- L. de Potter. Reprenant son étude en 1967 avec toutes les références bibliographiques requises pour les exemplaires cités supra, Pincherle signale en passant 3 autres exemplaires d’après une information du grand stendhalien François Michel : “Di tre altre copie - non illustrate ancora - mi dà notizia François Michel : una di queste appartenne allo storico belga Louis de Potter, grande amico dell’autore [nous soulignons]”(In Compagnia di Stendhal. Milano, Pesce d’oro, 1967, p. 29). Les 2 autres ne sont  pas alors précisés, dont depuis :



- Ex. de Stendhal-Jacques Guérin avec le titre au nom de Beyle. Il le reçut du relieur le 2 nov. 1824 avec 14 ff. de garde annotés à l’encre et sur les marges au crayon de fin ‘24 à 1830. Contrairement au nôtre, les notes sont postérieures à la reliure. Certaines communiquées par François Michel (donc certainement un des deux exemplaires cités par Pincherle) furent publiées par Martineau dans Le Calendrier de Stendhal en 1950 pp. 213 sv.
Coll. [Jacques Guérin], Drouot, 20/3/1985 n° 101. Acheté 520.000 au marteau par Berès (pour) Jaime Ortiz-Patiño. - Sa vente, Sotheby’s, London, 2/12/1998, n° 67.



- un dixième évoqué par Pincherle. Peut-être celui du cat. Blaizot mentionné supra, avec une note autographe, qui n’a pas dû échapper à Fr. Michel. L’ex. annoté de la Biblioth. d’Aix-en-Provence que publia M.A. Ruff en 1957, compté comme 11e par Pincherle, est la remise en vente de 1831.



Magnifique exemplaire personnalisé dans sa modeste et charmante reliure d’époque dont seuls les coins ont été habillement refaits. Elle s’apparente à celles commandées par Stendhal (cf. ex. Guérin et Grenoble). L’ayant dédicacé et annoté, l’aurait-il fait ensuite relier ? Ou bien son ami l’aurait-il protégé en épargnant 4 ff. d’un ciseau souvent maladroit ?

Catalogue Note

provenance : Louis de Potter (1786-1859), à ne pas confondre avec l’éditeur de Balzac et G. Sand. Grande figure du monde politique belge, “savant auteur” et publiciste engagé, - ce qui lui valut la prison des Petits-Carmes (un de ses plus célèbres détenus avec Verlaine, voir n° 292) et l’exil, - libéral, anticlérical et républicain, un des fondateurs de la Belgique indépendante en 1830.
Stendhal connaît déjà en 1822 la somme de L. de Potter de 1821 citée dans la dédicace : L’Esprit de l’Eglise ou Considérations philosophiques [et politiques ajout des T. III-VIII] sur l’histoire des conciles [et des papes, t.III-VIII], depuis les Apôtres jusqu’au grand schisme entre les Grecs et les Latins, sous l’empire de Charlemagne. (T.I et II déjà parus en 1816 : Considérations sur l’histoire des principaux conciles jusqu’au grand schisme d’Occident, sous l’empire de Charlemagne.) [(...) Apôtres jusqu’à nos jours. Ajout des t.III-VIII] (P., Babeuf, 1821, 8 vol.). Il y renvoie souvent (voir G. Charlier, Stendhal et ses amis belges. P.,Le Divan, 1931 p. 44 sv.).

Mais c’est très probablement en 1823 qu’ils se rencontrent. Stendhal le sollicite en octobre (avant le 18, date de son départ de Paris), pour être introduit dans la meilleure société de Florence où il va se rendre. Il faut dire que le fortuné Potter, après 10 années passées à Rome, vient d’y séjourner de 1821 à juillet 1823 pour ses recherches dans les archives de la famille Ricci. Il en publiera en 1825 à Bruxelles une Vie de Scipion de Ricci sur la dépravation des couvents au 18e, laquelle, censurée en France, réjouit Stendhal qui admire le sérieux et la “véracité” de l’historien, mais n’apprécie guère son style.

C’est avant ce 18 octobre 1823 qu’il aura sans doute reçu son exemplaire annoté, ce que viendrait confirmer un autre exemplaire envoyé à ce moment-là  par de Potter au célèbre cabinet de lecture florentin de M. Vieusseux, le directeur de la revue Antologia qu’il connaît bien et recommande à Stendhal lors de son futur séjour : “Je vous ai envoyé, lui écrit de Potter le 28 octobre, il n’y a pas longtemps, l’intéressante Histoire de la peinture de M. Beyle ; c’est M. Beyle lui-même que j’ai l’avantage de vous faire connaître maintenant...” (G. Charlier, p. 59). Une phrase d’Edwards à de Potter du 21 octobre pourrait concerner notre livre : “(...) il me prie de vous dire bien des choses et de vous remercier de l’opinion favorable que vous avez de son ouvrage (...)” (Charlier, p. 55).

La merveilleuse lettre de Stendhal adressée de Rome à de Potter le 24/1/24, découverte par Charlier, fait précisément écho à L’Esprit de l’Eglise qu’il trouve trop suranné pour être un succès actuel. D’un ton délicieusement enjoué qui frise le canular (c’est dire leur complicité), Stendhal lui invente un futur livre à succès (son obsession) : une “Vie des 50 derniers Papes, par M. de Binder [nous soulignons]” dont il énonce la teneur (et Dieu sait si Potter est averti !), - facétie qui a complètement échappé aux stendhaliens ! Car il se joue du patronyme anglais de M. de Binder (relieur) en le calquant sur le nom flamand de L. de Potter (potier) que Stendhal prononce à l’anglaise, et d’ajouter : “l’auteur, qui pourrait [nous soulignons] rester anonyme ou se nommer M. de Binder”.
Est-ce assez clair ? Or, on lit stupéfait sous la plume de  Charlier : “Nulle trace [il a fait la recherche !] d’un travail de ce genre sous ce nom ou sous un patronyme de consonance analogue. Si Beyle n’a pas inventé auteur et titre pour les besoins de la cause, il y a là une confusion dont le principe nous échappe” (pp. 65-66), cité en partie et suivi doctement par les Martineau et Del Litto qui décrètent : “ouvrage inconnu” ! (Pléiade Corr. II n° 755, note 3).

Il faudra décortiquer les annotations en ayant à l’esprit leur secrète connivence italienne, anticléricale et libérale. Stendhal le prie en tout cas de corriger, car son savant ami, lui au moins, a eu accès aux archives publiques et privées : "L’auteur a trouvé toutes les portes d’information fermées pour lui à Rome (...)", annote-t-il au t. II p. 392.

Sur le 1er contreplat, note du XIXéme au crayon sur un achat en vente publique : 3.20 + 10 %  32 [centimes] = fr. 3.52.

N.B. Nous avons pu mener cette recherche grâce à l’important fonds stendhalien de la coll. Oscar Schellekens, membre du Stendhal Club, entré récemment à la Réserve précieuse de l’Université libre de Bruxelles. Nous en remercions vivement  la conservation. Le récent Louis de Potter. Révolutionnaire belge de 1830 par N. de Potter et R. Dalemans ne cite qu’une fois Stendhal (Charleroi, Couleur livres, 2011, p. 22).
Voir le site www.potter.c.la.