PF1305

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Lot 17
  • 17

Jean Dubuffet

Estimate
600,000 - 800,000 EUR
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bidding is closed

Description

  • Jean Dubuffet
  • Paysage couleur de viande cuite
  • signé et daté 49; signé et daté 49 au dos.
  • huile sur toile de jute
  • 89 x 116 cm; 35 x 45 11/16 in.
  • Exécuté le 27 juin 1949.

Provenance

Pierre Matisse Gallery, New York
Larry T. Aldrich, New York
Vente: Parke-Bernet, New York, 30 octobre 1963, lot 63
Galerie Beyeler, Bâle
Lewis M. Kaplan, Londres
Collection particulière, Belgique
Vente: Sotheby's, 22 juin 2005, lot 34
Collection particulière, Chicago 

Exhibited

Chicago, Arts Club, Jean Dubuffet, 18 décembre 1951-23 janvier 1952; catalogue, no.8
Bâle, Kunsthalle, Vilanz Internationale Malerei seit 1950, 1954, no. 57
Bâle, Galerie Beyeler, Jean Dubuffet, 1965; catalogue, no. 18, illustré

Literature

Max Loreau, Catalogue des Travaux de Jean Dubuffet, Paysages grotesques, Fascicule. V, Lausanne, 1965, p. 50, no. 73, illustré
Marcel Paquet, Dubuffet, Paris, 1993, p.77, no.90, illustré

Condition

The colours are fairly accurate in the catalogue illustration although the overall contrast is stronger in the original. The image does not fully convey the richness of the impasto. The work is executed on its original canvas and is not relined. Under UV light, no trace of restoration fluoresces. A hairline crack (approx. 1.5 cm) is visible upon very close inspection in the upper right quadrant. The work is in excellent condition.
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Catalogue Note

Dubuffet dans son atelier devant L'Agioteur détruit plus tard, Paris, 1951 © Fondation Dubuffet, Paris

Jackson Pollock, Untitled (Scent), 1953-55 © D.R.

Dubuffet n’était pas homme d’habitude. Parti en février 1947 pour l’oasis d’El Goléa à la limite du Sahara algérien afin d’échapper, croyait-il, à un hiver parisien d’autant plus froid que le charbon était rationné, il découvrit que les nuits dans le désert sont aussi glaciales que les journées y sont chaudes. Malgré cela, tout l’enchanta : le paysage, les manières des habitants, la langue arabe dont il entreprit l’étude… A son retour à Paris trois semaines plus tard, le désert et ses habitants prirent possession de sa peinture. À l’inverse des Portraits, l’homme y devient anonyme : Il n’a que le sable, Il flûte sur la bosse, Ils tiennent conseil… et se fond dans la texture du sol. Cette primauté du minéral sur l’humain continuera à enchanter Dubuffet dans les toiles qu’il peint au retour d’un second voyage de six mois à El Golea de novembre 1947 à avril 1948 : Nomades au chameau bâté, Arabe aux traces de pas, Sahara… même si ce second séjour a commencé à marquer une irritation  -  « Je ne sais trop à la fin que penser de ces lieux et de ces gens, écrit-il en janvier 1948 à Henri Michaux, et ne suis pas loin d’en penser le pire. » - qui tournera à la détestation lors d’un troisième voyage de mars à mai 1949. « Je suis arrivé à Paris hier, écrit-il le 29 avril à son ami Jacques Berne, tout ahuri de retrouver le confortable monde occidental, sortant de ces diaboliques fournaises. (…) Je vais interrompre mon étude de la langue arabe ; rien que de voir un caractère arabe ça me provoque des migraines et des brûlures d’estomac et claquements de dents. »

     Désormais, plus de burnous, de traces de pas dans le sable, de scorpions… dans les peintures que Jean Dubuffet réalise à son retour à Paris. Mais cette fusion de l’homme, de l’animal et du paysage initiée par les paysages d’El Golea se prolonge en France avec les moyens de la civilisation contemporaine : l’automobile remplace le chameau, la route les traces de pas, les palmiers cèdent la place aux feuillus mais surtout une densité de figures, d’évènements, de personnages aux fenêtres vient animer le vide désertique. Nulle rupture pourtant avec les œuvres précédentes. A son retour en France, Dubuffet écrit ainsi à Gaston Chaissac : « Ce n’est pas des empreintes de pieds nus dans le sable que cette année je peignais au désert, mais des petits paysages du genre campagne de France, probablement par esprit de contradiction, que j’ai très fort par malheur, et depuis mon retour à Paris qui fut il y a sept semaines, je m’acharne à exécuter ces sortes de paysages sur de grands formats, ça m’occupe et fatigue beaucoup mais je suis plongé là-dedans jusqu’au cou. (…) Mais ces paysages que je peins me ragaillardissent bien et j’y mets des personnages qui se baladent dans la campagne et qui bricolent. »

     Rien, a priori, si on en croit la lettre de Dubuffet, de bien différent entre ces œuvres et les images agrestes des Marionnettes de la ville et de la campagne. Pourtant nulle confusion possible entre ces deux temps de l’œuvre : au dessin enfantin de Vache et éleveur (septembre 1943) ou de Campagne heureuse (août 1944), aux audaces colorées de Vache rouge (août 1943) ou du Paysage vineux (août 1944), les Paysages grotesques (auxquels appartient  Paysage couleur de viande cuite) témoignent combien désormais le peintre a assimilé l’esprit de l’Art brut auquel il a consacré depuis 1945 une part importante de son temps. C’est en effet désormais plus du côté des asociaux de tous genres (prisonniers, malades mentaux, médiums, autodidactes…) que se porte son intérêt que vers les dessins d’enfant où, avant la découverte de Prinzhorn et comme le montre jusqu’en 1945 son travail, il pensait comme Paul Klee l’écrivait qu’« il se produit encore des commencements primitifs dans l'art, tels qu'on en trouverait plutôt dans les collections ethnographiques ou simplement dans la chambre d'enfants. »  

     Une figure récurrente, parmi la trentaine de peinture des Paysages grotesques, visage de profil au front bombé, aux grosses lèvres et au menton proéminent, formant avec l’arcade sourcilière une sorte de « main » primitive n’est ainsi pas sans évoquer, dans leur simplification outrancière, certains dessins de Friedrich Schröder-Sonnenstern. Mais au-delà de rapprochements ponctuels, ce qui rend l’œuvre de Dubuffet inassimilable à toute autre, c’est cette manière d’inscrire le dessin en creux à l’intérieur de la matière picturale, nouvel avatar de ces graffiti qui apparaissent dès 1945 dans ses tableaux, de supprimer tout recours à la perspective – une mince bande de ciel courant le long du bord supérieur de la toile et armoriée d’un soleil rayonnant suffisant à susciter l’idée de profondeur dans la planéité toute cézannienne de l’œuvre -, d’emplir enfin la surface d’un tel nombre d’informations (figures, arbres, oiseau, chemins erratiques, voiture et petites maisons…) que le spectateur piégé peut d’autant moins saisir l’œuvre au premier regard que la couleur d’ensemble - « de viande cuite » - supprime tout ton local, tout moyen d’identification immédiat. Dès 1946, Dubuffet soulignait que peindre est un processus autonome de toute image et notait – principe qui se retrouve jusqu’aux Mires et aux Non-lieux - : « Le point de départ est la surface à animer – toile ou feuille de papier – et la première tache de couleur ou d’encre qu’on y jette : l’effet qui en résulte, l’aventure qui en résulte. C’est cette tache à mesure qu’on l’enrichit et qu’on l’oriente qui doit conduire le travail. »

     Il n’est donc pas étonnant que cette conception de la peinture ait conduit, dès 1947, Clement Greenberg à souligner l’analogie entre les approches de Dubuffet et de Jackson Pollock et leur façon de dominer l’époque : « Comme Dubuffet, dont l’art va dans une direction similaire même si elle est moins abstraite, Pollock reste essentiellement un dessinateur en noir et blanc qui doit impérativement s’appuyer sur ces couleurs pour conserver la densité et la tension de surface de ses tableaux. (…) Pollock, de même que Dubuffet, tend à traiter son tableau d’un bord à l’autre  avec la même intensité; mais en ceci il semble capable de plus de variété que l’artiste français ainsi que d’utiliser des éléments plus hasardeux – silhouettes et motifs ornementaux inventés – qu’il intègre à la surface plane avec une force étonnante. La sophistication de Dubuffet lui permet de « boucler » ses toiles avec plus d’adresse et plus heureusement en leur donnant une plus grande unité immédiate mais Pollock, me semble-t-il, a finalement plus à dire et est fondamentalement, et d’abord parce qu’il manque de cette même quantité de séduction, le plus original. »

     Ce que Greenberg ne pouvait pas imaginer en 1947, c’est que les moyens alors mis en œuvre seraient ceux qui susciteraient encore pendant près de quarante ans les perpétuels renouvellements du travail de Jean Dubuffet.

(texte inédit, Daniel Abadie, 2013)