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Jean Dubuffet
Description
- Jean Dubuffet
- La Mer de barbe
- titré et daté octobre 59 au dos
- huile sur toile
- 113 x 85 cm; 44 1/2 x 33 1/2 in.
Provenance
Collection particulière, Suisse
Galerie Beyeler, Bâle
Collection particulière, Belgique
Acquis auprès de celle-ci en 1994 par la propriétaire actuelle
Exhibited
Zurich, Kunsthaus, Jean Dubuffet, 17 décembre 1960-15 janvier 1961; catalogue, no.98
Bâle, Galerie Beyeler, Jean Dubuffet, février-avril 1965; catalogue, no.46
Vienne, Museum des 20. Jahrhunderts, Kunst in Freiheit : Dubuffet, Moore, Tobey, 29 mai-27 juin 1965; catalogue, p.20, no.19, illustré
Zurich, Gimpel + Hanover Galerie, Jean Dubuffet, 27 août-29 septembre 1965; catalogue, no.12
Cologne, Galerie Rudolf Zwirner, Bilder von 1944-1964 von Jean Dubuffet, 8 octobre 1965
Londres, Tate Gallery, Jean Dubuffet : paintings, 23 avril-30 mai 1966; catalogue, p.53, no.98, illustré
Amsterdam, Stedelijk Museum, Jean Dubuffet, 11 juin-28 août 1966; catalogue, no.87, illustré
Bâle, Galerie Schreiner, Empreintes, 30 novembre 1974-31 janvier 1975; catalogue, no.13, illustré
Madrid, Fundacion Juan March, Jean Dubuffet, 9 février-31 mars 1976; catalogue, no.17
Berlin, Akademie der Künste; Vienne, Museum moderner Kunst; Cologne, Joseph-Haubrich-Kunsthalle, Dubuffet : Retrospektive, 7 septembre 1980-29 mars 1981; catalogue, no.175
Paris, Galerie Baudoin Lebon, J. Dubuffet : choix d'oeuvres de 1942 à 1981, 20 septembre-12 novembre 1983
Bâle, Galerie Beyeler, Jean Dubuffet : Retrospektive, octobre 1985-janvier 1986; catalogue, no.18, illustré
Bâle, Galerie Beyeler, Wege zur abstraktion = exploring abstraction, juillet-septembre 1989; catalogue, no.17, illustré en couleurs
Literature
Françoise Choay, Les découvertes d'une rétrospective et la mythologie de la terre dans l'oeuvre de Jean Dubuffet, Art international, Zurich, 1961, p.32, illustré
Max Loreau, Catalogue des travaux de Jean Dubuffet, Fascicule XV, As-tu cueilli la fleur de barbe, Paris, 1964, p.58, no.71, illustré
Andreas Franzke, Dubuffet, New York, 1981, p.126, illustré
Georges Limbour, Le Règne de la Barbe, in Dubuffet, Culture et subversion, L'ARC, Livry-Gargan, 1990, p.76
Catalogue Note
Comme souvent avec Dubuffet ce qui pouvait, de prime abord, sembler dérision se transforme bientôt en sujet d’étude. Quelques jours plus tard, une nouvelle lettre à Limbour part, accompagnée de deux dessins d’empereurs certes toujours barbus, mais sur ces dessins, la barbe, devenue envahissante, ne laisse désormais place, comme dans presque toute la série à naître, qu’à deux cercles pour les yeux, un triangle pour le nez et une double barre pour la bouche, toutes formes hâtivement tracées.
C’est que la barbe, analysée de plus près, a révélé à Dubuffet son inattendue parenté avec la texture des sols et leurs travaux annexes (Figures augures, Textures…) auxquels il vient de consacrer plus de deux années de son travail (de 1957 à 1959). Comme l’asphalte et ses myriades de gravillons, regardée attentivement « la barbe » se dissout, elle aussi, en une multitude de signes minuscules, addition de poils plus ou moins denses, incurvés ou frisants, lisses ou rebelles… que tout trait d’encre, s’il est suffisamment multiplié, peut évoquer.
Dubuffet a toujours été fasciné par ces fragments du réel, ces textures qui, selon l’accommodation du regard, évoquent tour à tour de minuscules composants vus de très près ou, au contraire, des éléments démesurés, à la limite de la perception, et que toute distance supplémentaire condamnerait à disparaître. Ainsi, la transcription de l’asphalte, addition de gouttelettes de peinture juxtaposées jusqu’à se constituer en tissu, véritable dripping all-over, participe certes des Célébrations du sol auxquelles s’emploie le peintre, mais produit par son effet de scintillement indéchiffrable un sentiment de ciel étoilé, voire de la lumineuse profusion d’une bribe de galaxie ou de voie lactée.
Dès qu’elles s’introduisent dans le travail de Dubuffet, les Barbes, à leur tour, interrogent. D’humeur badine, après l’ascèse extrême des Texturologies, les Barbes retrouvent la verve des Marionnettes de la ville et de la campagne, l’invention des Portraits, la liberté des Vaches. Mais elles permettent aussi de trouver de nouvelles possibilités aux excédents des récents Assemblages d’empreintes, voire d’en recycler, en les déchirant selon les besoins de l’image, les matériaux non encore utilisés.
Durant cette brève période de mai à novembre 1959 où Dubuffet s’en donne à cœur joie - à partir d’un sujet si simple qu’il semble inexistant : une tête barbue – et multiplie les propositions, les interprétations – figures tour à tour imposantes (Barbe d’Othon), majestueuses (Barbe des dynasties régnantes), comiques (Barbe des occasions manquées) ou grotesques (Festival de barbes), faisant tour à tour intervenir empreintes, collages, arrachages puis, comme il l’a découvert en 1955 avec les tableaux d’assemblage, utilisant bientôt la toile et l’huile pour tailler dedans aux ciseaux et assembler de manière inédite les morceaux jugés les plus savoureux, il conserve cependant presque toujours un cadrage identique à mi-buste, faisant ainsi, progressivement, de l’ensemble une galerie de portraits à l’antique. Les titres sont eux-mêmes numératifs faisant socle du terme Barbe : Barbe des supputations, des dénombrements, des refus opiniâtres, des songes fumeux, des longues attentes…
Seules, dans ce qui est l’un des plus courts cycles du travail de Jean Dubuffet, trois œuvres échappent à cette ordonnance monumentale : deux dessins à l’encre de Chine Prairie de barbe et Jubilation épidermique où la matière broussailleuse des Barbes couvrant toute la surface se fait écho des Paysages du mental et surtout La Mer de barbe qui engloutit, dans un magma qui se révèlera bientôt terraqué, la cohorte des barbus. Nulle figure ne vient en effet, à première vue, hanter ce tableau qui à l’inverse des autres obtient, par un réseau de grattages à la pointe parcourant toute la peinture, une sorte d’image en négatif de ce que tentaient les dessins à l’encre. A travers ces fins lacis d’écritures blanches qui couvrent la surface, finissent par se révéler, comme au travers d’un miroir sans tain, des présences d’abord invisibles. Nul empereur posant sur son socle mais plutôt des effigies incertaines, des surgissements que le moindre remous rendrait aussi insaisissable que le seront plus tard les évanescentes figures de L’Hourloupe.
Avec La Mer de barbe, la scène est désormais prête pour que s’y déroule à son tour le deuxième acte des Célébrations du sol, admirable comme l’image du désert au sortir de la vie urbaine, le cycle des Matériologies, celui précisément de La Vie sans l’homme.
(texte inédit, Daniel Abadie, 2013)
Jean Dubuffet, affiche de l'exposition As-tu cueilli la Fleur de Barbe à la Galerie Cordier, Paris, du 27 avril au 31 mai 1960, 65 x 50 cm © Fondation Dubuffet, Paris
Georges Seurat, Jeune fille (Etude pour un dimanche à la Grande Jatte), 30 x 19 cm, 1884-1885 © D.R.
Jean Dubuffet, Barbe des combats, huile sur toile, 81 x 100 cm, juillet 1959. National Gallery of Art, Washington © Fondation Dubuffet, Paris