PF1209

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Lot 52
  • 52

François Boucher

Estimate
60,000 - 80,000 EUR
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Description

  • François Boucher
  • Le peintre de paysage
  • Monogrammé sur le banc f. B
  • Huile sur toile, sans cadre

Provenance

Collection Lemoyne, sa vente après décès, 10 août 1778, n°18, 1220 livres (vendu avec son pendant sous le même numéro);
Collection Pierre-Hippolyte Lemoyne, architecte, sa vente 19 mai 1828, n°74, 120 francs;
Collection du Comte de Pourtalès-Gorgier, sa vente après décès, 27 mars-4 avril 1865, n°228, 7 000 francs;
Collection de S.E. Khalil-Bey, sa vente 16-18 janvier 1868, n°72, 14 000 francs;
Collection A. Hulot, sa vente G.G.P., 9-10 mai 1892, n°80, 25 000 francs;
Collection du  Baron Edmond de Rotschild, Paris en 1976

Exhibited

L'Art au XVIIIe siècle, Galerie Georges Petit, Paris, 1883-1884, n°17 (collection de Mr Hulot)

Literature

Ed. et J. de Goncourt, L'Art du XVIIIe siècle, Paris, 1880, vol.I, 3ème édition, p.199, "Vte Collet";
A. Michel, François Boucher, "Les Artistes célèbres", Paris, 1889, p.96;
G. Kahn, Boucher, Biographie critique, Paris, 1904, rep. p.44 (par erreur avec l'indication Louvre);
A. Michel, François Boucher, Catalogue par L. Suillé et Ch. Masson, Paris, 1906, n°1129 et 1230;
P. de Nolhac, François Boucher, catalogue par Georges Pannier, Goupil & Cie, Paris, 1907, p.37, rep. face p.10, cat. p.143;
H. MacFall, Boucher, the man, his time, his art and his significance 1703-1770, "The Connoisseur", n° spécial, 1908, rep. p.144
P. de Nolhac, Boucher, premier peintre du roi, Paris, 1925, p.76, rep. face p.76;
A. Ananoff, Attributions et identifications nouvelles de quelques dessins de François Boucher et de Gabriel de Saint Aubin, (communication du 16 octobre 1965) "Bulletin de la Société d'Histoire de l'Art français", 1965, pp. 175-176;
A. Ananoff, François Boucher, Lausanne, 1976, tome I, p. 209, cat.76, rep fig.338 (comme Boucher et Pierre)

Condition

To the naked eye: The painting is in very good condition. Original canvas who has been stretch again on a new stretcher. The material is beautiful and very delicate. The painting is under an old very dirty varnish. No visible restoration. Under UV light: The painting is under a green uniform varnish. They are some retouching along the right and left edges and on the upper edge, along the frame. We notice some very small; minor retouching. Two small retouch on the left arm of the painter and two small other on his stool. We notice two small retouching on the easel's feet on the left. Three very small worn places in the brown part of the table on the right. They appear under UV light, probably because it an area where the varnish disappeared. All these retouching are minor and do not impede the reading of the painting.
"In response to your inquiry, we are pleased to provide you with a general report of the condition of the property described above. Since we are not professional conservators or restorers, we urge you to consult with a restorer or conservator of your choice who will be better able to provide a detailed, professional report. Prospective buyers should inspect each lot to satisfy themselves as to condition and must understand that any statement made by Sotheby's is merely a subjective, qualified opinion. Prospective buyers should also refer to any Important Notices regarding this sale, which are printed in the Sale Catalogue.
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Catalogue Note

Tour à tour loué comme le symbole du rocaille français puis violemment critiqué par Diderot, Boucher, premier peintre du roi et Directeur de l'Académie de peinture et de sculpture, ne fut pas seulement le chantre des pastorales, Vénus et autres odalisques chères à l'esprit des amateurs de l'art moelleux du temps de Louis XV. Il sut également, de manière peut-être plus rare et comme le prouve notre tableau, développer un message significatif de célébration de la création artistique sans se départir du « joli », de l'élégance et la sensualité esthétiques caractéristiques de son talent : « Le joli c'est l'âme du temps, - et c'est le génie de Boucher »[1].

Notre tableau, décrit dans la vente après décès de l'artiste le 10 août 1778 comme « un joli morceau plein de gaîté et d'agrément », nous plonge ainsi dans l'atelier d'un peintre que les Goncourt, André Michel et Nolhac se sont plu à confondre avec Boucher lui-même, vêtu « en robe de chambre et bonnet de coton, à la Chardin, assis devant sa toile, dans tout le feu du travail, plein de vie au milieu de son atelier encombré d'un amusant fouillis, entre sa femme qui, un enfant dans les bras, regarde par-dessus son épaule, et deux jeunes garçons dont l'un broie des couleurs, l'autre tient un cartable »[2].

Si lors de la vente de l'architecte Pierre-Hippolyte Lemoyne en 1828, la description de cette toile conserve une forte imprégnation autobiographique « ... Le peintre est François Boucher lui-même ; le jeune élève est Deshays, qui devint par la suite son gendre (figure que reprendront par la suite Drouais et Lépicié), la jeune femme est madame Boucher », Ananoff démontre toutefois que l'âge des personnages ne nous autorise plus à conserver cette description, pittoresque mais fantaisiste et d'ailleurs absente de la vente après décès du sculpteur Jean-Baptiste Lemoyne, père de Pierre Hippolyte, en 1778.

Malgré l'évolution de ces considérations, il n'en demeure pas moins que l'atmosphère de cet atelier (dont l'indigence et le désordre n'enlèvent rien au pittoresque et à l'intimité d'une scène de proximité qu'on devine familiale) forme un contrepoint symbolique avec la force de la création artistique émanant du chevalet.

Si depuis la Renaissance, la représentation d'une activité de création artistique veillait de par son traitement à exalter la noblesse et la liberté d'un peintre élégant et sollicité qui, dirigeant un imposant atelier, se distinguait du simple artisan, Boucher prend dans notre tableau le contrepied de cette tradition, nous révélant une vision originale d'un jeune homme exerçant son art dans un galetas. On pense dès lors aux motifs d'apprenti-peintres de Michel Sweerts ou de Wallerant Vaillant ou à ceux du singe-peintre traités successivement par Téniers, Watteau et Chardin.

L'originalité de Boucher consiste ici à se démarquer d'une représentation d'imitation servile d'un peintre « singeant la nature » pour nous proposer celle d'un artiste sachant s'extraire mentalement d'un environnement humble et bruyant et dont la création, reposant sur sa seule imagination, parvient à s'affranchir d'un éventuel carnet de croquis. La symbolique de notre tableau prend alors une portée fondamentale, et ce, d'autant plus si l'on considère une autre version réalisée de manière contemporaine par notre artiste et conservée au Louvre où le peintre nous est présenté en réflexion sur son carnet préparatoire disposé à sa droite. Notre tableau cristallise ainsi symboliquement un pas décisif puisque le carnet est fermé et son éloignement physique à l'arrière du peintre décuple la vertu créatrice du personnage et la portée du message.

Si ce sujet fut traité à plusieurs reprises par Boucher - en témoignent, outre la version du Louvre, une esquisse ovale, à l'huile sur papier, aujourd'hui perdue où le peintre se représente comme recevant son inspiration d'une visite de Vénus entourée de cupidons (vente Sireul, 3 déc. 1781 et suiv., n°30), ou bien encore un dessin aujourd'hui conservé au Musée des Beaux-Arts de Lille (cat.exp.1974-75, Londres, n°7, pl.16), réalisé entre 1760 et 1770 et dont le modèle central du jeune peintre se rapproche de notre tableau - jamais peut-être la représentation de la création artistique n'insistera autant sur la capacité d'introspection et d'imagination du peintre dont le far presto marqua profondément Reynolds. Alain Michel et MacFall à sa suite nous rapporteront ainsi la surprise du peintre britannique en visite dans l'atelier de Boucher alors attelé à la réalisation d'une grande composition pour laquelle il n'utilisait « ni esquisse, ni modèle d'aucun genre. Sur ce que je lui en témoignai ma surprise, il me répondit qu'il avait regardé le modèle comme nécessaire pendant sa jeunesse, lorsqu'il étudiait son art, mais qu'il y avait longtemps qu'il ne s'en servait plus... »[3].

Face à cette représentation, surgit alors l'évocation de l'atelier de Boucher par les Goncourt, écrin mêlant « compagnie familière, amitié confidente, cours d'amateurs, causerie qui, de son bruit ailé, accompagne le travail, inspiration de tant de choses rayonnantes, éclats de lumière jouant dans le feu des curiosités naturelles, échos des rêves et des imaginations du peintre partout répétés ». Cette proximité volontaire avec la jeunesse dont notre tableau est le témoignage fut, elle-aussi, soulignée par les frères Goncourt « ami de la jeunesse, [...] il laissait à toute heure libre accès dans son atelier »[4].

Dans cette vision truculente d'un atelier modeste et familial, la pureté de la nature jaillit d'un décor indigent et désordonné grâce à la puissance d'imagination  émanant de l'esprit de l'artiste et matérialisée par la couleur rouge du bonnet du peintre. Il convient d'ailleurs de souligner que, si le créateur se coiffe et repose sur la couleur symbole de puissance créatrice, la partie centrale du tableau, à savoir le paysage, s'unie par son papillotement bleu à la coiffe de la femme, muse et/ou épouse du peintre. Cette lumière centrale, exceptionnelle, ne manquera d'ailleurs pas d'être soulignée, y compris par le plus farouche critique de notre artiste, Diderot, admettant que « personne n'entend comme Boucher l'art de la lumière ». Cette lumière et cette nature que Boucher sut traduire dans l'humble obscurité d'un atelier de campagne et vers laquelle le peintre porte son regard, Pierre de Nolhac la souligne comme apparaissant dans l'embrasement de la porte ou de la fenêtre « Il est ici, à n'en pas douter, devant la nature, et c'est elle seule qu'il cherche à rendre »[5].

La particularité de notre tableau lui valut, comme son pendant disparu Le Sculpteur dans son atelier, d'être gravé en contrepartie par Marie-Madeleine Ignonet en mai 1752 sous le titre La Peinture et de séduire successivement le diplomate, dramaturge et censeur royal Louis-Jean-François Collet (1722-1787) ainsi que S.E. Khalil-Bey.

Boucher, comme le soulignait déjà Nolhac, est donc bien « inépuisable »[6] et son pinceau, loin d'être au « service du vice et du stupre » comme l'affirma Diderot, nous montre ici une réflexion trop souvent oubliée par ses détracteurs.

Nous remercions Alastair Laing de nous avoir confirmé l'authenticité de cette oeuvre après examen direct. Il nous confirme aussi que le tableau est entièrement de la main de François Boucher et ne peut en aucun cas être de Jean-Baptiste-Marie Pierre et François Boucher comme le suggèraient Ananoff et Wildenstein dans leur catalogue (voir bibliographie).


[1] Goncourt, 1880, l'Art au XVIII° siècle, Paris, G. Charpentier, 1881. [2] André Michel, François Boucher, Paris, J.Rouam, 1886, p.96.
[3] Reynolds, Douzième discours prononcé le 10 décembre 1784 in Œuvres complètes, t. Ier, p.457.1806, in-8° cité par André Michel, François Boucher, Paris, J.Rouam, 1886, p.96 et Haldane MacFall, Boucher : The man, his times, his art, and his significance, 1703-1770, The Connoisseur, 1908, p.58, rep.p.144.
[4] Goncourt, l'Art au XVIII° siècle, première série, Paris, G. Charpentier, 1881, p.247.
[5] Pierre de Nolhac, François Boucher, premier peintre du roi, Paris, Goupil & Cie, 1907, p.37.
[6] Exposition François Boucher, Fondation Foch, 9 juin-10 juillet 1932, Hôtel Charpentier, préface Pierre de Nolhac, p.XVI.