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Voltaire, François Marie Arouet dit
Description
- Voltaire, François Marie Arouet dit
- Lettre autographe non signée à monsieur de La Marche.Aux délices, le 25 août 1762.
Literature
Voltaire, Correspondance, VI, 1760-1762, Bibliothèque de la Pléiade, p. 1028-1029, n° 7314.
Catalogue Note
Très intéressante lettre de Voltaire à Claude-Philibert Fios de la Marche, premier président du Parlement de Bourgogne, dans laquelle Voltaire ironise sur les faiblesses de l'oeuvre de Corneille en préparant la fameuse édition du Théâtre de 1764.
"La meilleure part n'est pas tombée à votre dessinateur. Je lui sçais bon gré de mettre du génie dans ses desseins, puisque ce Corneille en a mis si peu dans la moitié de ses pièces."
Voltaire prépare une édition illustrée du théâtre de Corneille afin de venir en aide à Mademoiselle Corneille, petite nièce de l'écrivain, qu'il a pris sous son aile. Il ne peut s'empécher d'ironiser sur l'oeuvre de Corneille : "Il eut fallu plus tôt supprimer [les pièces] que les décorer par des estampes mais le public qui n'a jamais entendu ses intérêts veut avoir touttes les sottises d'un grand homme".
Il annonce à La Marche attendre M. le Maréchal de Richelieu et M. le Duc de Villars avec Mademoiselle Corneille "qui commence à réciter des vers comme son oncle en faisait quand il était inspiré" : "nous [leur] donnerons la comédie. Je trouverai à La Marche des plaisirs plus solides. Je préfère votre conversation à touts les dialogues en vers."
Il lui explique ensuite les avancées de l'affaire Calas : "J'ay l'honneur de vous envoier encor par M. de Villeneuve un mémoire sur les Calas. Cette affaire va être portée au conseil. C'est un grand préjugé en faveur de cette malheureuse famille, que vous ayez de la compassion pour elle".
Transcription complète : "Vous voila donc mon illustre magistrat, le protecteur de Pertharite, d'Agésilas, d'Attila, de Suréna, de Pulchérie, etc... Vous étiez fait pour ne protéger que les Cinna et les Polieuctes. La meilleure part n'est pas tombée à votre dessinateur. Je lui sçais bon gré de mettre du génie dans ses desseins, puisque ce Corneille en a mis si peu dans la moitié de ses pièces. Il eut fallu plus tôt les supprimer que les décorer par des estampes mais le public qui n'a jamais entendu ses intérêts veut avoir touttes les sottises d'un grand homme. J'ay pris le parti depuis quelque temps de faire relier ce que je trouve de bon dans les livres nouveaux et de bruler le reste. S'il fallait tout lire, Mathusalem n'aurait pas le temps. Je me flatte toujours que Pierre Corneille ne donnera le temps de venir cultiver auprès de vous la vraie philosophie qui vaut mieux que la poésie. Nous allons en attendant jouer des tragédies nouvelles que les comédiens ne défigureront pas. Mademoiselle Corneille commence à réciter des vers comme son oncle en faisait quand il était inspiré. Nous attendons M. le Maréchal de Richelieu et M. le Duc de Villars à qui nous donnerons la comédie. Je trouverai à la marche des plaisirs plus solides. Je préfère votre conversation à touts les dialogues en vers.
C'est à La Marche que je compte inter silvas academi quaerere verum [chercher le vrai parmi les forêts d'Académos]; si ce vrai tant cherché est fait pour l'homme, il doit se trouver chez vous. Je suis toujours affligé et inquiet des tristes discussions que vous êtes forcé d'avoir avec votre fils. Les choses sont elles toujours au même état ; et les affaires de votre parlement avec la cour ne finiront elles point ! j'ai peur que le temps n'envenime le mal au lieu de l'adoucir. Vous êtes donc plus content de Chalons que de Dijon mais quelle ville ne doit pas être enchantée de vous et de votre caractère ?
J'ay l'honneur de vous envoier encor par M. de Villeneuve un mémoire sur les Calas. Cette affaire va être portée au conseil. C'est un grand préjugé en faveur de cette malheureuse famille, que vous ayez de la compassion pour elle. Agréez mes tendres respects".