Lot 97
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Siège à cariatide Luba de Harry Bombeeck Chef-d'OEuvre du "Maître de Buli" , Luba, République Démocratique du Congo

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Description

  • Luba
  • Siège à cariatide Luba de Harry BombeeckChef-d'OEuvre du "Maître de Buli"
  • haut. 51 cm, diam. 30,5 cm
  • 20 in, 12 in

Provenance

Collecté par Harry Bombeeck entre 1896 et 1899
Rapporté en Belgique en 1899
Demeuré sans discontinuité au sein de la famille Bombeeck

Literature

Reproduit dans :
L'illustration congolaise, n° 196, janvier 1938 : 6708, Annonce de l' « Exposition d'Art du Congo à Anvers »
Gaffé, La Sculpture au Congo Belge, Editions du Cercle d'Art, Bruxelles, 1945
Olbrechts, Plastiek van Kongo, 1946 : pl. XXVI, n° 132

Exposé et reproduit dans :
Tentoonstelling van Kongo-Kunst, Antwerp : Antwerpsche Propagandaweken, (Exposition d'Art Congolais, Anvers), 1937, cat. n°716 ; pl. 15
Olbrechts, Les Arts au Congo Belge et au Ruanda-Urundi, CID, Bruxelles, 1950 : 127, n° 39

Exposé dans :
Mostra internationale d'Arte Coloniale, Exposition Universelle et Coloniale, Rome, 1931-1932
Musée Royal des Arts Décoratifs (Fondation Baron Louis Empain), Bruxelles, décembre 1938
New York World's Fair, New York, 1939-40
Buffalo Museum of Science, Buffalo, 1941-1945

Sous la base figurent plusieurs inscriptions de teintes différentes. Les indications les plus anciennes sont notées à l'encre noire : Harry Bombeeck en caractères séparés d'une graphie manuelle ; la date 1896 et une signature de Harry Bombeeck. A l'encre blanche se lisent les inscriptions suivantes : Terme Congo Indépendant 1896-1899, les chiffres 716/BO.I. , une autre signature d'Harry Bombeeck N.YAI/0 (exposition à New York, 1939-1940) ainsi que des dates liées à des expositions : exposition Rome 1931, Anvers 1937, Bruxelles 1938, New-York 1939.

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Catalogue Note

Les œuvres du Maître de Buli ont un caractère éminemment emblématique et Frans Olbrechts, le premier, a relevé leur importance dans l'histoire des arts africains. Elles soulèvent une question fondamentale, celle de l'individualité artistique des sculpteurs africains. Les sculptures ne sont pas signées, mais la technique de taille et le style permettent de mettre en évidence la main d'un ou de plusieurs sculpteurs renommés et appréciés des princes et de la cour royale Luba. L'identité d'un ou de deux Maîtres de Buli reste une question ouverte qui sera examinée dans cette étude.

Le siège à cariatide Buli de la collection Harry Bombeeck n'avait plus été visible depuis plus de 65 ans. Cette étude fait le point sur cette sculpture d'autant plus remarquable qu'elle apparaît comme une œuvre majeure de ce type de représentation féminine. Les perspectives qui en rendent compte s'inscrivent dans l'expansion septentrionale de l'histoire du royaume luba et démontrent l'implication des lignages dans le style des objets concernés. Il convient de préciser, pour autant que possible, le statut de son propriétaire et l'acquisition de la sculpture.

I.      L'environnement géographique et quelques aspects importants de l'histoire du royaume luba dans son expansion septentrionale

Le royaume luba1 trouve son origine dans la province du Katanga, au sud-est de la République Démocratique du Congo. La naissance du royaume vers le XVIe siècle se développe chez les Luba centraux où dominent les Luba Shankadi2 ; les Luba occidentaux - Luba Kasaï -, s'étendront vers l'Ouest ; quant aux Luba orientaux, à l'est et au nord de la dépression de l'Upemba, ils ont étendu leur influence jusqu'au-delà de la Lukuga, exutoire du lac Tanganyika dans le fleuve Congo, sous la conduite du prince luba Buki.

Exilé par le roi Kumwimbe Ngombe qui régna de 1809 à 1837, le prince Buki multiplia les signes de pouvoir en accordant aux grands chefs locaux l'autorisation de les  reproduire. Les sièges à cariatide font partie des signes d'autorité particulièrement en usage dans le royaume luba. Le prince Kinyama de Buli, de parenté Lumbu, fut chef de Kanunu avant de l'être à Buli. Son origine lignagère est d'ascendance kunda et lumbu (territoire des Hemba septentrionaux). Ceux-ci dépendaient des rois luba, de Kumwimbe Ngombe et de son successeur Ilunga Kabale (1837-1864). Le prince de Buli devait se référer au prince Buki ou au roi Luba auquel il faisait allégeance et duquel il recevait les signes de son autorité. Certains objets sculptés en faisaient partie, telle la porteuse de coupe de Miot, dont la lignée éclaire l'interaction existant entre le style des objets et la région d'origine du lignage.

II.   La figure d'Harry Bombeeck

Harry Bombeeck est un pionnier des premières heures coloniales3. Dans son bureau, le siège à cariatide Buli ne le quittait pas des yeux et faisait l'admiration de ses visiteurs. Il arriva dès les premières années dans l'Etat Indépendant du Congo (EIC) et y occupa un poste important jusqu'en 1906, comme agent de la SAB4. Son statut commercial était en effet lié à un contrat avec l'Etat qui lui imposait ses ordres de mission, l'amenait à percevoir les impôts, faire office de police judiciaire, et à faire travailler les autochtones5.

Son premier séjour remonte au mois de juin 1896. Il avait à peine vingt ans et, avec l'appui du Major Cambier, réussit à se faire engager par le groupe Alexandre Delcommune. Bateau, rail, train, caravane, il arrive tant bien que mal à Léopoldville, séjourne ensuite aux Stanley Falls jusqu'en mai 1899 ; il est notamment envoyé à l'embouchure du Lomami chez les Topoke redoutés et révoltés. Après d'autres mandats en Côte d'ivoire (1899-1902), à Matadi (1902-1904), à Basankusu (1904-1906) et à Lokolenge (1906-1907), il fait un dernier séjour au Katanga de 1909 à 1911. Les raisons de dater la collecte du siège de Harry Bombeeck en 1896 sont les dates manuscrites sous la base (1896 – 1899), accompagnées de la signature d'Harry Bombeeck, et la tradition familiale. Dans tous les cas, celui-ci a été collecté avec certitude avant juin 1911, moment où Harry Bombeeck rentre définitivement en Belgique.

III.  Le corpus des sculptures attribuées au Maître de Buli

Les sculptures attribuées au Maître de Buli se composent d'une vingtaine d'œuvres qui se répartissent en quatre types principaux : des porteuses de coupe, des effigies d'ancêtres, trois statuettes, des sièges à cariatides, et un appui-nuque.

L'essentiel du corpus a été collecté entre 1894 et 1909. Chaque sculpture a son histoire propre, collectée par une personne différente à des lieux variés. La variété des types d'objets appelle à une analyse plus fouillée. Celle-ci doit tenir compte des usages et des fonctions différentes, à des statuts sociaux complexes, touchant la culture des Hemba, des Luba et des Kusu.

Certains types d'objets se rattachent uniquement à la culture luba (porteuse de coupe, appuie-tête), d'autres uniquement à la culture des Hemba et des Kusu (deux grandes effigies d'ancêtres, statuette du prince-enfant et les deux petites statuettes rapportées par E. Foa), d'autres encore se rencontrent chez les Hemba et les Luba : ce sont les porteuses de coupe assise sur les talons (Luba) ou en posture debout (Hemba). Toutes portent l'empreinte « du style Buli ». Les bois utilisés, dont quelques-uns sont identifiés, varient entre des bois durs et lourds, des bois mi-lourds et des bois légers. Ces derniers sont surtout utilisés pour les porteuses de coupe et pour les sièges à cariatide à posture debout. Les patines varient selon les types d'objets et les traditions propres. 

Les traits communs aux œuvres principales du corpus de Buli ont été définies par Frans Olbrechts dans les termes suivants : l'aspect du faciès (qu'il attribue à un type hamite), les proportions (tête plus volumineuse), les détails morphologiques, le contraste entre la ligne svelte et élancée par opposition avec les formes rondes et charnues des sculptures luba8. En résumé, les caractéristiques essentielles concernent la tête volumineuse, le visage ovoïde allongé, le front haut et bombé, les cavités oculaires creusées soulignant les arcades sourcilières arquées, le nez aquilin et curviligne, la bouche large, prognathe, deux rides partent du coin des lèvres. Le diadème et la coiffure quadrilobée s'achevant au plan dorsal par des tresses se repliant latéralement et verticalement. Les effigies d'ancêtres et la statuette collectée par Foa en 1897 se composent de quatre chignons, comme il est de tradition sur des sculptures kusu, au nord ouest du pays hemba (Muhona/Nkuvu). Quant aux scarifications, elles apparaissent sur le ventre, les cuisses, le bas du dos et les fesses, selon les œuvres. Les variantes propres au siège à cariatide de Harry Bombeeck seront décrits au point V.

IV.   Les six sièges à cariatide en posture assise sur les talons9

a.     British Museum, réf. 19056-13-1, 52 cm, collecté avant 1905, acquis de Roland Ward. Bois léger.
b.     MRAC Tervuren, inv. RG 49379 53, 3 cm. Don du Dr Bertrand, collecté en 1896-1897, bois dur et lourd, identifié comme Albizzia antunesiana.
c.      Linden Museum Stuttgart, inv. 38229., 53 cm. Don de M. Chrapkowski, Conseiller du gouvernement impérial à Dar-es-Salam. Bois dur et lourd.
d.      Museum für Völkerkunde, Leipzig, inv. 2667, 47 cm. Don de M. Schuller en 1900, bois dur et lourd.
e.      Etnografisk Museer, Oslo, inv. 17.775, 50 cm, collecté sur la route Kasongo-Kabambare entre 1894-1904. Don du capitaine Hans-Frédérik Sundt avant 1906, bois léger.
f.       Collection Harry Bombeeck, 50, 8 cm, collecté en 1896 et rapporté en 1899 (voir ci-dessous, point V), bois dur et lourd.

Premières constatations : Ces six sièges à cariatide ont été collectés dans le même laps de temps. Deux sont taillés dans un bois léger, celui du British Museum et de l'Etnografisk Museer, Oslo), les quatre autres dans un bois dur et lourd.

Outre les caractéristiques communes propres aux œuvres de Buli (voir point III), les principales variantes concernent le traitement du visage (ovoïde plus ou moins étiré) et sa légère inclinaison vers l'avant. Quelques détails significatifs, comme nous le verrons à propos du siège à cariatide étudié (point V) concernent la disposition du diadème, de la coiffure et des scarifications.

Fonction du siège à cariatide : Ces sièges à cariatide sont caractéristiques de la sculpture Luba. La qualité de la sculpture et le soin apporté à l'exécution révèlent d'emblée le caractère solennel de ces sièges cérémoniels, « véritable trône des chefs, lors des assises du conseil des notables ou lorsqu'ils siégeaient en tant que juges pour trancher les causes soumises à leur juridiction 10». Ce sont des objets hautement significatifs dont la portée dépasse le côté social et leur signification profonde procède du domaine du sacré. Car le Kipona est toujours consacré aux ancêtres et la présence féminine, évoquant peut-être la mère ou une des épouses du chef ou du roi, est celle qui fait advenir cette présence aux moments importants. En signe d'investiture, le grand maître des Mbudye reçoit des mains du responsable politique et religieux un siège pareil à son propre trône. D'autres haut dignitaires da la cour royale ont pu aussi recevoir cet emblème prestigieux, signe qu'ils partageaient non seulement le pouvoir princier (dans le cas de Buki) ou royal et en même temps qu'ils étaient associés aux mêmes forces de présences ancestrales. Ces raisons peuvent expliquer le nombre de sièges en posture assise sur les talons.

V.    Excellence plastique du siège à cariatide d'Harry Bombeeck

« A l'exposition coloniale de Rome en 1931, cette pièce comptait parmi les plus belles exposées »[11] Il s'agit du siège de Mr. Harry Bombeeck sur l'affiche de l'exposition d'Art du Congo à Anvers, 1938.

L'examen détaillé de la sculpture apporte de nombreux renseignements concernant  les caractéristiques du bois et de la patine, la date de collecte (inscription sous la base), les traits morphologiques propres à la sculpture Luba et Hemba, les signes en commun à d'autres sièges, la qualité plastique de l'œuvre de laquelle ressort cette beauté tranquille, réaliste, idéalisée qui en fait une œuvre majeure.

Ce siège à cariatide, taillé dans un bois dur et lourd (probablement l'Albizzia antunesiana) de teinture ocre, couleur miel, sous laquelle se décèle une patine ancienne claire, la texture du bois et des traits d'usure plus sombres en forme de lignes, présente une femme assise sur les talons.

Le torse penché vers l'avant, le cou incliné, l'eurythmie des bras fléchis et des avant-bras tendus vers le haut, de taille équivalente (environ 15 cm), qui se prolongent par celle des paumes ouvertes et tournées vers l'avant (de même longueur jusqu'à l'auriculaire), les quatre doigts écartés se posant délicatement sur la tablette supérieure du siège, enfin le pouce écarté touchant latéralement le lobe de la coiffure, mettent en valeur l'exceptionnelle majesté de la tête, probablement la plus belle du corpus.

Les membres inférieurs, hyperlongiformes, s'imposent dans leur simplicité structurelle, avec un très beau jeu de dessins et de volumes : la plante des pieds relevée de forme triangulaire, l'espace triangulaire séparant les deux talons, contrastant avec la rondeur du socle circulaire, légèrement bombé, superposant trois surfaces découpées en cercle concentrique, comme sur la tablette supérieure du siège.

Description et caractéristiques morphologiques luba et hemba :

Dans l'excellence plastique du siège à cariatide d'Harry Bombeeck se conjuguent, selon l'histoire des arts royaux Luba – profondément liée à celle du royaume et de son expansion – des traits caractéristiques luba et hemba.

Les traits luba sont tout d'abord le type-même du siège à cariatide, et de la figure féminine en posture assise sur les talons, de même que le bois clair à patine sombre sur le diadème et la coiffure.

S'y ajoutent en particulier la coiffure quadrilobée s'amplifiant vers l'arrière, retenue sur le haut du front par un diadème composé de deux fines surfaces saillantes décorées de deux rangées de losanges sur les côtés (2x6) et unies au centre. Les quatre lobes sont remarquablement découpés et se nouent au plan dorsal en deux tresses horizontales entrelacées de deux rangées de losanges formant des chevrons, passant sur deux tresses verticales semblables. Le souci du réalisme est poussé à l'extrême jusqu'à recouvrir la coiffure d'une teinture sombre.
Les scarifications ventrales, encadrent la zone ombilicale, en rangées de losanges et de chevrons ainsi que le losange entre les seins évoquant la lune rencontrant la terre, moment propice à la fécondité. D'autres scarifications horizontales, souvent plus épaisses (car emplies de charbon de bois), se développent sur le bas-ventre et les cuisses. Enfin le sexe saillant, peu visible.

Les traits hemba se reconnaissent en particulier dans le visage ovoïde étiré aux formes pleines et arrondies, met en évidence les cavités oculaires fortement découpées en réserve, aux arcades sourcilières en accent aigu et en léger rehaut. Dans cet espace en creux, les yeux en amande, développant une paupière supérieure marquée, sont à peine entrouvert. Le plan des joues en relief curviligne accentue les pommettes des joues, le nez aquilin, les ailes nasales gonflées et la bouche aux lèvres amplement développées sur un espace prognathe.

Les scarifications composées de petits losanges formant un triangle, pointe tournée vers le bas. Enfin les tablettes du siège superposant trois surfaces découpées en cercle concentrique constituent également une caractéristique hemba.

Comparaisons : Le siège à cariatide d'Harry Bombeeck est d'une facture proche de celle du Musée Royal de l'Afrique Centrale à Tervuren. Tous deux sont taillés vraisemblablement dans le même bois dur, l'Albizzia antunesiana, et possèdent les mêmes caractéristiques morphologiques générales (position de la tablette supérieure, développement de la tête ample et ovoïde, position des bras et des mains, des seins etc...).

Ces deux sièges ont aussi en commun le type de coiffure aux tresses analogues se repliant à l'arrière de la tête : l'extrémité de la tresse verticale droite se compose d'une branche. Un autre trait significatif concerne la décoration du diadème qui, sur le siège Bombeeck, est lisse en sa partie médiane. Ce traitement apparaît sur les sièges de Bombeeck, du British Museum, du museum für Völkerkunde de Leipzig et sur les trois statuettes de style Buli (ci-dessus, point III). La forme arrondie et saillante des omoplates se rencontre dans le siège de Tervuren, de Harry Bombeeck, du Linden Museum à Stuttgart et du museum für Völkerkunde à Leipzig.

Les scarifications horizontales sur le haut des cuisses sont également semblables au siège de Tervuren. Quant aux scarifications en triangle au bas du dos, si elles sont identiques sur la plupart des sièges à cariatides, comme il est de coutume dans la tradition des Hemba, le prolongement de celles-ci sur les fesses en arc de cercle est propre au siège d'Harry Bombeeck et aux sièges des musées de Tervuren, de Stuttgart et du British Museum. Ces points de comparaison et de divergence au sein du corpus soulèvent à nouveau la question de l'auteur, qui sera traitée au point VII.

Style : Malgré quelques traits hemba, la sculpture est luba dans sa conception et sa forme. Elle reflète un réalisme étonnant qui exprime la majesté du personnage représenté, une beauté réaliste transcendée par l'excellence de l'art du sculpteur qui signe là une de ses œuvres les plus achevées, empreinte de vigueur et de force tranquille.

 VI.   Le Maître de Buli et le Maître de Kateba ?
Avant de considérer l'attribution du siège à cariatide au Maître de Buli, il est nécessaire de reprendre brièvement l'opinion des auteurs qui ont étudié le corpus des sculptures qui lui sont attribuées.

En 1920, Henri Maurice12, commentant la sculpture qu'il a collectée en 1913 puis évoquant un siège trouvé dans le village de Buli (point IV, n°6), est le premier auteur à souligner la beauté et l'ancienneté d'une œuvre du maître de Buli  : « Avec ses humbles moyens, quel artiste a su tirer d'un bloc de bois dur, le magnifique siège ...Et surtout, quelle pureté, quelle régularité dans les lignes, quelle expression du visage, quelle tension dans l'effort ! »

Dans son étude qui ne sera publiée qu'après la guerre, Frans Olbrechts, en 194613, est le premier à évoquer une « main de maître » dans l'histoire des arts africains. Dans son étude sur les styles et les sous-styles du bassin du Congo, l'auteur dégage, au-delà d'un sous-style « l'œuvre d'un même artiste, ou tout au moins celle d'une même école ou d'un même atelier ». Il signale les scarifications en haut des cuisses sur les sièges de Bombeeck et du MRAC à Tervuren. Citant les œuvres connues, il énumère d'abord cinq sièges en posture assise sur les talons, deux sièges supportés par deux figures, le siège rapporté par le P. Maurice, la porteuse de coupe MRAC et l'effigie de Berlin (point III). Il signale que plusieurs pièces ont subi l'influence de ce style (p.75).

Deux ans plus tard, Fagg William (194814), qui initiera le courant de recherches anglo-saxon visant à identifier les individualités artistiques des sculpteurs africains, commente longuement le siège du British Muséum en bois léger. Il pose pour la première fois la question d'un ou de plusieurs maîtres-sculpteurs, souligne la réserve de Fr. Olbrechts sur ce point et s'interroge sur la possibilité que vivent en un seul lieu deux maîtres si compétents.

A la suite d'Olbrechts et de Fagg, plusieurs auteurs consacreront des articles au maître de Buli - chacun soulignant son l'importance majeure dans l'histoire des arts africain: l'« un des plus grands maître des arts africains » (Fagg, 1966) ; « un grand sculpteur de tous les temps » (Paulme, 1956 :110), etc.

Certains se rangent à l'hypothèse d'Olbrecht d'un seul et même maître, en particulier , Albert Maesen (196915), Denise Paulme (195616Susan Vogel (1990), qui acquiert pour le Metropolitan Museum de New-York un siège à cariatide debout, à patine sombre, provenant de l'ancienne collection Han Coray, et qui attribue à un seul et même maître, qu'elle nomme au « Maître de Kateba », l'ensemble du corpus.

D'autres développent, à la suite de William Fagg17 l'idée de deux, voire trois mains – maître et disciples, ou plusieurs maîtres.  Tandis que Gossiaux (199018) fonde l'idée d'une chronologie des œuvres de Buli qu'il étale sur plus d'un siècle (c.1810 à c 1815), Pirat (199619) établit un corpus de treize œuvres qu'il attribue au maître de Kateba, De Grunne (200120) se prononce pour la distinction de trois sculpteurs qu'il désigne comme le maître de Kateba, le Maître de Buli l'Ancien et le Maître de Buli le Jeune ; Neyt (199321) attribue six sculptures au Maître de Kateba et reconnaît plusieurs mains.

Conclusions

Le corpus des œuvres répertoriées a suscité de nombreux commentaires qui se résument autour de la question suivante : le Maître de Buli est-il unique ou existe-t-il  deux mains ou un atelier qui a continué à produire les mêmes sculptures ? Plusieurs éléments fondamentaux entrent en ligne de compte : les types d'objets (porteuse de coupe, siège, effigie d'ancêtre, statuette cultuelle, appui-tête). Les types de bois utilisés doivent aussi être considérés. Certains ont pu être identifiés (Chlorophora excelsa, Albizzia antunesiana, Ricinodendron). Les lieux de collecte des objets (Kateba, Bugana Kalenga, Buli, Kanunu, Kalumbi...) apportent des indications précieuses ; les dates connues de la collecte des sculptures se situent entre 1896 et 1905, 1913 pour le siège rapporté par le P. Maurice. L'étude approfondie de la patine présente une autre distinction : les objets couverts d'une teinture sombre et les siège en posture assise sur les talons gardant une couleur miel avec certains éléments (coiffure, diadème et scarifications peints en noir). Plus important encore est l'analyse morphologique et stylistique de l'ensemble des sculptures. Quelques pièces peuvent être considérées comme secondaires, ou tardives. Mais qu'en est-il du ou des deux Maîtres ? Les arguments avancés ne sont guère totalement convaincants. Peut-être une meilleure connaissance de l'histoire des chefferies (telles celles de Buli, Kanunu, Kalumbi, Kateba) pourraient apporter des éléments nouveaux sur les œuvres commandées et leur relation avec le statut social et politique de leur propriétaire. Sur cet aspect des choses, la question reste ouverte.

Les types d'objets sculptés et leur facture penchent en faveur de deux grands maîtres-sculpteurs. Ainsi, en ce qui concerne le siège à cariatide d'Harry Bombeeck, il se présente comme une œuvre majeure, une des plus significatives parmi les postures des cariatides assises sur les talons. L'excellence de la facture, des proportions, du soin des détails le démontrent. De nombreuses correspondances rapprochent ce siège de celui du MRAC à Tervuren et du musée de Stuttgart. A qui attribuer ces sculptures en position assise sur les talons, usant d'un bois clair, travaillant avec un art consommé sinon au Maître de Buli lui-même, séjournant dans la chefferie et lié, d'une façon ou d'une autre à la classe princière, voir même à des membres influents de la famille royale. Ses sculptures sont donc directement rattachées aux objets de la cour royale luba22. Quant au Maître de Kateba, nous en avons parlé par ailleurs. Il œuvra principalement à Kateba et portait un nom qui décrit sa fonction « Ngongo ya Chintu ». Ce dernier s'inscrit davantage dans l'esthétique hemba et compose même des effigies à quatre tresses particulières aux classes dominantes des Kusu23. Cette vision s'accorde bien avec l'existence de deux grands Maîtres forcément en relation, soit de génération successive, soit attaché aux mêmes cours princières en relation avec le roi Luba et le prince Buki. Mais on ne peut exclure que ces deux Maîtres ne soient qu'un seul...

Commentaire de François Neyt, octobre 2010

Pour les notes en bas de pages: voir la bibliographie

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