Lot 174
  • 174

Correspondance adressée à Ad. Aynaud. 1925-1930.

Estimate
18,000 - 22,000 EUR
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Description

  • Jacob, Max
  • Correspondance adressée à Ad. Aynaud.1925-1930.
36 pp. in-4, à l'encre noire, dont 3 avec enveloppes.
Ensemble composé de 19 lettres autographes datées et signées, localisées de Saint-Benoît-sur-Loire et Quimper, réparties en 18 lettres, une carte et un télégramme à Ad. Aynaud, et une lettre à Giovanni Leonardi.



Correspondance d'affaire inédite de Max Jacob à Ad. Aynaud.
Max Jacob y parle de ses gouaches, des peintres qu'il a connu : Utrillo (« Urillo, quelle figure ! »), de Picasso (« Picasso et moi qui ne nous sommes pas quittés pendant vingt années ne nous écrivons jamais »), du Douanier Rousseau, de Valadon, de Caran d'Ache, de Daumier, de Depaquit ; donne les « nom de jeunes » comme Breton, cite les écrivains « à lire » comme Cocteau ou Maritain, dresse la liste de ses œuvres.



Correspondance inédite couvrant la période de 1925 à 1930, à Ad. Aynaud, acheteur et collectionneur lillois auquel Jacob vend des gouaches, donne des conseils et qu'il oriente dans l'actualité artistique du moment.



Ad. Aynaud était un des clients du céramiste et sculpteur sicilien Giovanni Leonardi  (1876-1957), installé à Quimper grâce à Max Jacob travaillant pour les faïenceries Henriot (le poète lui adresse une lettre de remerciements pour l'avoir recommandé à son client).
La tonalité chaleureuse de cet échange épistolaire qui évoque de nombreux souvenirs de la jeunesse montmartroise du poète et les jambages des « J » très longs de la signature-code amical que l'artiste réservait à ses intimes - montrent que Jacob avait une grande estime pour son correspondant.



La lettre du 15 mars 1926 contient une très intéressante liste commentée des œuvres jacobiennes. Le poète en précise l'état des publications : « La Côte 1913 il n'y en a plus ; une 2ème édition avec illustrations de moi est en préparation chez Crès » ; celles en préparation : Anatomie religieuse, Gribouille, Les Gants blancs ou Les Contes du garage (textes restés inédits) et donne aussi des repères à son correspondant dans l'actualité littéraire du moment : « Vous me demandez des noms de jeunes, vous connaissez la bande Cocteau, Radiguet, Morand, Giraudoux, Delteil, (...) la bande surréaliste André Breton, Louis Aragon, Paul Eluard, Michel Leiris (...) l'admirable Limbour (...) Il y a aussi le clan catholique (...) ».
Max Jacob évoque longuement son travail pour ce commanditaire inespéré. Très pauvre, il a souvent fait marcher la planche à billets que représente la peinture et particulièrement en ce début 1925 quand il veut réunir les fonds nécessaires pour son voyage en Italie.  Il travaille alors sans relâche, dans un état de « furimicocubariologicomachie » comme il l'écrit à Jean Cocteau pour fournir à la fois les commandes directes destinées à Aynaud dont il tire de grands bénéfices et celles à Level son marchand « qui lui prend presque tout ». « Je fais des gouaches. Tout à l'heure je n'avais plus que des couleurs trouvées dans une vieille boîte où elles pourrissent et qui ne peignent pas; or j'avais commencé d'élégants cavaliers au bois et je me disais : "quel malheur de peindre des gens qui marquent si bien avec des couleurs qui marquent si mal !"  se plaint Jacob auprès de Jean Cocteau le 29 avril 1925.



Ces Cavaliers au bois, ainsi que La danseuse dans un paysage de théâtre ou Le coin de la rue Ravignan où j'habitais jadis avec Picasso sont les gouaches que l'artiste s'apprête à vendre à Aynaud (lettre du 25 avril 1925) à qui il propose également de réaliser des gouaches cubistes sur les sujets de son choix  : « du Pouldu, du Douarnenez, du Locronan ». Cette correspondance relate également le voyage du poète en Italie en 1925 (« J'aime surtout les peintures Pompéiennes, les mosaïques... et ma propre âme rencontrée partout là-bas »), sa conférence prononcée à Madrid en 1926, ses origines juives, la Bretagne, ses amis montmartrois... Jacob dresse ainsi un admirable et triste portrait d'Utrillo : « Je me le rappelle assis au bord d'un trottoir un litre à la main. Pas de boutons à la veste mais des ficelles, pas de chemise, pas de chaussettes, le nez saignant. Il contemplait une boutique une heure, l'injuriait puis la crevait d'un pavé. Une autre fois, il trouvait un modeste peintre occupé place du Tertre à côté d'une vieille mère à tricot – il lançait la toile d'un côté, le peintre de l'autre et renversait la mère. La police arrivait ! (...) Et voilà Maurice expédié à Picpus. Là, on le martyrisait, les infirmiers volaient ses toiles et le suppliciaient (...). On obtenait de le sortir de là. Alors il se promenait dans Paris avec un gardien qui le faisait boire. Voilà la vie de ce génie » (25 janvier 1926).

Literature

22 avril 1925 : « je vous prie de m'indiquer si vous préférez des Vues de Paris dont j'ai ici les préparations, des paysages ; des animaux ou des figures »  (avec enveloppe).
25 avril 1925 : décris 3 gouaches qu'il s'apprête à lui envoyer « une danseuse dans un paysage de théâtre, des cavaliers sous bois, et un coin de la rue Ravignan où j'habitais jadis avec Picasso."
même jour lettre à Léonardi : lui parle de Aynaud, des 3 gouaches, lui dit de ne pas hésiter à lui demander de l'aide financière si se retrouve dans le besoin, évoque la préparation de son départ pour le Jubilé de Rome. "Cingria me dit que tu voudrais avoir toujours une ou deux gouaches de moi à vendre ! Et j'ai Level qui me prend presque tout !".
4 mai 1926 : parle de ses gouaches "une série de formes cubistes... inspirée vaguement de la Côte d'or et des environs de Semur... je cherchais des harmonies ". Il part pour l'Italie et se réjouit de voir ce pays avec ses yeux... le prie de ne pas révéler au milieu parisien qu'il lui envoie directement des gouaches, ne veut pas faire de peine à son marchand.
7 mai 25, au sujet de ses 3 gouaches : « Je tiens surtout à la rue Ravignan qui me parait plus « peintre » que les autres. Les trois chevaux ont plu à mon entourage. Le théâtre m'a surtout semblé une difficulté à vaincre : il est presqu'impossible de donner la lumière au décor quand on la donne à la rampe."
12 novembre 1925 : "(...) de quoi vous faire du Pouldu, du Douarnenez ou du Locronan (...)"  Ne l'a toujours pas rencontré. Ravi de son voyage « l'Italie m' a enchanté : surtout la baie de Naples au sud ... J'aime surtout les peintures Pompéiennes, les mosaïques... et ma propre âme rencontrée partout là-bas ».
1er dec 25 : accuse réception de 800 frs.
19 janv 26 : s'excuse de ne pas l'avoir vu ni écrit. Donne des nouvelles de Léonardi parti pour la Sicile.
25 janv 26 : sa conférence en Espagne, sublime lettre sur Utrillo, son alcoolisme et la manière dont il trainait dans Montmartre et comment la police le traitait. « quelle figure ! Je me le rappelle assis au bord d'un trottoir un litre à la main. Pas de boutons à la veste mais des ficelles, pas de chemise, pas de chaussettes, le nez saignant. Il contemplait une boutique une heure, l'injuriait puis la crevait d'un pavé. Une autre fois, il trouvait un modeste peintre occupé place du Tertre à côté d'une vieille mère à tricot – il lançait la toile d'un côté, le peintre de l'autre et renversait la mère. La police arrivait ! On m'envoyait chercher la pauvre Suzanne Valadon qui arrivait en larmes. Et voilà Maurice expédié à Picpus. Là, on le martyrisait, les infirmiers volaient ses toiles et le suppliciaient quand il se plaignait : par exemple on l'enfermait entre deux portes ou bien on le bourrait de bromure ce qu'il ne tolérait pas car le bromure le tuait (...) On obtenait de le sortir de là. Alors il se promenait dans Paris avec un gardien qui le faisait boire. Voilà la vie de ce génie ». Il le remercie enfin de penser à sa propre peinture, lui donne le prix de ses gouaches vendues par son marchand Level ou à l'hôtel des ventes. Il lui propose une église de Bretagne avec des personnages pour mille francs. Lui conseille d'aller voir le marchand de tableaux Aubry (4 p. in-4 sur 2 ff, écrites à l'encre noire).
2 fev 26 :  télégramme.
23 février 1926 : Il revient d'Espagne et prépare son voyage en Italie Comme il a besoin d'argent réalise des gouaches ; parle de sa conférence au Prado, énonce les grands artistes Depaquit (ancien maire de Montmartre, réalisa son portrait), Daumier, Caran d'Ache, Valadon.
15 mars 1926 : "vous me demandez des noms de jeunes. Vous connaissez la bande Cocteau, Radiguet (...) Breton, Aragon, Eluard (...) Les écrivains catholiques". Dresse une très intéressante liste des ses œuvres en ajoutant des commentaires, précise s'il en reste où les trouver, etc,. Par ex : « La Côte 1913 il n'y en a plus ; une 2ème édition avec illustrations de moi est en préparation chez Crès » ; Les œuvres citées en préparation : Anatomie religieuse ; Gribouille ou les Gants blancs ; Contes du garage n'ont jamais paru.
24 mars 1926 sur la Bretagne et ses origines : "J'ai connu toute ma vie le chanoine Peyron mais ma famille était juive et il y avait un précipice que l'amour de l'archéologie seul comblé. Mes parents étaient antiquaires...". Matorel existe Galerie Simon. ... Oui pour l'exposition religieuse. Mais je n'ai pas de gouaches chez moi, lui propose d'aller voir Level. Le remercie de l'intérêt qu'il porte à Andrée Ruellan.
14 septembre 1926 : "Picasso et moi qui ne nous sommes pas quittés pendant 20 années ne nous écrivons jamais"... Il évoque Tableaux de la bourgeoisie "le tout est aux mains terribles de Gallimard".
18 avril 1927 : il "a paru chez Crès un beau livre de moi : la réédition d'un petit bouquin de 1911 : La Côte", lui propose en vente directe l'exemplaire n°1 sur japon avec poème inédit.
29 avril 1927 : il spécule, attend avant de vendre que les prix montent. Dans cette lettre, il se décrit : " je suis timide, gauche comme tous les gens sans humilité vraie - et puis je n'ai vraiment rien à dire à une foule"..."si ma pauvre tête n'a plus de cheveux, mon cœur sent toujours comme à quinze ans".
Carte 25 mars 1928 : exposition à Paris, au sujet d'un de son portraits.
Quimper le 1er janvier 1930 : après son accident de voiture avec Pierre Colle, il regrette de l'avoir manqué et de ne l'avoir toujours pas rencontré (avec enveloppe).
13 janvier 1930 : projet de réédition du Cornet à dés illustré par Leonardi (avec enveloppe).  

Catalogue Note

Cette correspondance d'affaire dépasse le cadre d'une simple relation commerciale. Une complicité affectueuse lia le poète à son commanditaire qu'il ne rencontra jamais (« Si ma pauvre tête n'a plus de cheveux, mon cœur sent toujours comme à quinze ans » lui confie-t-il). Cette amitié lui permettra d'évoquer de nombreux et émouvants souvenirs concernant la bohème montmartroise, sujet sur lequel, le poète refusera, au fil des ans, malgré de nombreuses sollicitations, de témoigner. Par ailleurs, spectateur attentif et acteur des courants esthétiques de l'époque, on retrouvera au fil des lettres à Aynaud l'œil exercé et les jugements pertinents de Max Jacob alias Léon David, critique d'art au Moniteur des Arts.

Nous remercions Patricia Sustrac , présidente de l'association des Amis de Max Jacob, pour l'aide précieuse qu'elle nous a apportée au moment de la rédaction de cette notice.