Lot 201
  • 201

Manifeste du surréalisme. Manuscrit autographe. [Lorient-Paris, juillet-août 1924].

Estimate
300,000 - 500,000 EUR
Log in to view results
bidding is closed

Description

  • Breton, André
  • Manifeste du surréalisme. Manuscrit autographe. [Lorient-Paris, juillet-août 1924].
19 pages grand in-folio (papier vélin crême 360 x 230 mm) et 2 pages in-4 (papier bleu 270 x 212 mm) à l'encre bleue, comprenant :
- une page de titre avec étiquette orange imprimée "andré breton - manifeste du surréalisme - poisson soluble" suivie de la mention autographe "Manuscrit" à l'encre rouge ;
- 20 pages de texte autographe, numérotées de 1 à 17 (dont les 2 feuillets in-4 paginés 11bis et 11bis II, et un feuillet in-folio non numéroté) au crayon vert en haut à droite ; très nombreuses corrections et ajouts, certains rédigés sur des paperolles montées sur les feuillets 5, 6, 9 11bis et 16.



Ce manuscrit est le seul manuscrit complet connu, ayant servi à l'impression du Manifeste du Surréalisme.
La bibiliothèque Paul Destribats possède l'unique jeu d'épreuves corrigées que l'on connaisse (ancienne collection Pierre Naville-Edmond Bomsel). Ces épreuves contiennent en outre 3 pages in-4 de mise au net autographes (dont 1 sur les mêmes feuillets bleus que les pages 11bis et 11bis II de notre manuscrit) correspondant aux pages 21 à 23, 24 à 26, 49 à 52 de l'édition originale.
Le jeu d'épreuves corrigées Naville-Bomsel-Destribats comporte aussi le poème-collage original "Un éclat de rire de saphir dans l'île de Ceylan" publié dans le Manifeste du surréalisme, poème prélevé dans le cahier d'écriture automatique "Société moderne" (voir lot 207) offert par Breton à son ami Pierre Naville.

Provenance

Simone Collinet.

Literature

manuscrit étudié par Marguerite Bonnet pour l'édition des Oeuvres complètes de Breton dans la Pléiade, tome I (voir notes et variantes p. 1344-1364) -- Marguerite Bonnet. André Breton. Naissance de l'aventure surréaliste, Corti, 1975, VIII, p. 314-378. 

Catalogue Note

« Je crois en la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoire, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut ainsi dire. C'est à sa conquête que je vais, certain de n'y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supputer un peu les joies d'une telle  possession. » (Manifeste du surréalisme).

Le manuscrit d'un chef-d'oeuvre donne à voir le cheminement d'une pensée et d'un langage.
C'est à suivre le cheminement d'une révolution de la pensée et du langage qu'invite la constellation de neuf manuscrits - sept cahiers et deux blocs de 19 et 59 pages non reliées - écrits par André Breton en 1924, offerts par l'écrivain à sa première femme Simone et toujours restés dans la famille de celle-ci. Jamais apparus sur le marché mais bien connus des spécialistes du surréalisme, d'un intérêt exceptionnel pour l'histoire de l'art, des idées et de la littérature, ces talismans restituent l'intégralité de la création littéraire de Breton pendant la période cruciale où il força son destin et s'affirma comme la conscience intellectuelle et réfléchie du surréalisme, plus encore que la figure de chef.
En huit mois, à l'âge de 28 ans, André Breton a dessiné une théorie de l'expérience esthétique qui a bouleversé tous les domaines de la création moderne. Son Manifeste du surréalisme a transformé un réseau d'écrivains et d'artistes, le groupe de la revue Littérature, en un mouvement d'avant-garde qui allait s'imposer comme le pôle d'attraction artistique le plus irrésistible de tout le XXe siècle. La parution de cette oeuvre fondamentale, en octobre 1924, entérine l'acte de naissance officiel du surréalisme. « L'imagination est sur le point de reprendre ses droits » annonce le Manifeste.

De cette révolution de l'esprit, Breton a ainsi orchestré « la merveilleuse partition » en deux temps : le premier mouvement se déroule du 16 mars au 9 mai 1924, à l'intérieur des cahiers d'écoliers, couverts de textes automatiques écrits sous l'emprise d'une fièvre créatrice qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps (lots 203 à 209) ; pendant l'été suivant, le second mouvement, s'inscrit sur le recto des amples feuillets in-folio qui forment les 19 pages du manuscrit du Manifeste du surréalisme. Ces cahiers forment un splendide manuscrit de travail et de mise au net, de fougue, d'invectives et de fulgurances, alternées de développements magistraux sur Dostoïevski, le merveilleux, les promesses de la psychanalyse et la mort d'une certaine littérature.


Reprenant donc l'écriture automatique au mois de mars 1924, sur les encouragements de Simone qui juge ses nouveaux poèmes plus beaux encore que ceux des Champs magnétiques coécrits avec Philippe Soupault en 1919, Breton relance l'expérience de l'« automatisme psychique pur », à la source de « cette voix capricieuse qu'il essaie de forcer de temps en temps » (lettre à Simone, 22 mars 1924), « la voix qui se cache après avoir parlé, et qui se tait et qui abuse » (à Simone, 17 juin 1924). Il lui semble que les secrets de l'activité automatique sont loin d'avoir été tous percés et que Les Champs magnétiques ne sont qu'un point de départ. Cette poursuite le conduira jusque sur les chemins de Sologne, où il voyage en mai avec Aragon, Vitrac et Morise, sans itinéraire établi, n'ayant pour seul but que d'enregistrer les émerveillements fortuits inspirés par les sites agrestes qu'ils traversent et les routes qu'ils empruntent. « Aventuriers de Paris, ils vont partir. Ils partent » annonce un poème-collage de l'époque. Fin mai, Breton a déjà couvert sept « cahiers de surréalisme » ainsi qu'il a déjà baptisé ces traces d'une pensée libre de toute censure. Les cahiers contiennent plus d'une centaine de longs récits merveilleux, écrits selon plusieurs procédés : de la dictée orale aux admirables poèmes-collages, composés à partir de coupures de journaux. Breton songe à sélectionner 32 textes pour un recueil à paraître en septembre : Poisson soluble. Mais, soucieux d'éviter la relative torpeur critique qui avait accueilli Clair de terre, son précédent recueil de poèmes paru en 1923, il décide d'accompagner Poisson soluble d'un préambule théorique qui dresserait le bilan poétique des différentes expériences (sommeils, hypnose, écriture automatique) entreprises par Breton et ses amis depuis les débuts de Littérature en 1919. Ce préambule allait devenir le Manifeste du surréalisme. Ce statut d'antichambre, de seuil, cette valeur périphérique assignée à l'origine au Manifeste, est attestée dans le manuscrit par une de ses marques de naissance : son premier mot, « Préface », barré.

Breton n'a pas attendu le Manifeste pour exposer les grandes lignes de ses conceptions en matière d'art et de littérature (Les Pas perdus), son parcours intellectuel (La Confession dédaigneuse, 1923) ni même pour faire l'inventaire de ses contemporains surréalistes (déjà établi par la longue liste de dédicataires des poèmes de Clair de terre).
Mais au printemps 1924, il manque un drapeau, un mot d'ordre, une charte, un souffle à l'aventure tentée par Breton, Eluard, Aragon, Desnos et les autres, depuis maintenant cinq ans. L'activité du groupe piétine, la revue Littérature a moins de trente lecteurs. Elle publie son dernier numéro en juin 1924. « Le génie de l'un à forcer la note, le besoin de briller de l'autre, la mollesse d'un troisième, toutes les particularités individuelles prennent une importance démesurée dans une communauté relativement close où les rencontres quotidiennes nourrissent les exaspérations » (M. Bonnet, André Breton, Naissance de l'aventure surréaliste, p. 317). Au printemps 1924, Dada n'existe plus vraiment mais le groupe de Breton l'a t-il remplacé ? Tous sont d'accord pour travailler à la fin de la littérature : « La littérature permet de rien échanger (...) c'est pourquoi je n'ai jamais cherché d'autre chose, je le répète, que de ruiner la littérature (...) La poésie ? Elle n'est pas où on la croit. Elle existe en dehors des mots, du style, etc. Seul tout le système des émotions est inaliénable. Je ne puis donc reconnaître aucune valeur à aucun mode d'expression » affirmait Breton dans un entretien au Journal du peuple en 1923. Comment tenir ce principe lorsqu'on n'a pas d'autre moyen de le manifester que par la littérature ? Comment tuer la littérature quand on n'est qu'écrivain ou poète ? Breton et ses amis se débattent toujours cruellement dans cette contradiction. Les issues sont impossibles et l'unité du groupe se fissure : Eluard choisit de disparaître et part le 24 mars 1924 faire le tour du monde sans rien annoncer à personne ni laisser aucune trace (« Et Paul Eluard, notre grand Paul Eluard, n'est pas encore rentré » se plaindra Breton dans le Manifeste). Il ne reviendra qu'en octobre. Quant à Aragon, il a accepté de diriger Paris-Journal, revue littéraire que déteste Breton. 
On en vient même à contester au groupe leur monopole du mot surréalisme. Breton l'utilise encore en 1920 dans le sens diffus que lui donnait Apollinaire, mais peu à peu, surréalisme va servir d'étiquette non officielle pour l'activité du groupe. En 1924, l'urgence est à une redéfinition, alors que Picabia dévalorise la notion sous les sarcasmes. Le poète Ivan Goll vient de créer justement une revue qu'il baptise impérieusement Surréalisme ; Paul Dermée, fondateur de la revue L'Esprit nouveau, revendique également le terme au profit de ceux qu'on avait classés dans le "cubisme littéraire". Afin de définir "une fois pour toutes" ce qu'il entend par « surréalisme », Breton songe à remplacer la préface de Poisson soluble par une déclaration collective, signée avec Aragon et Soupault, « texte d'une quinzaine de pages qui s'appellera Lettre à l'Aurore » (à Simone, 17 juin 1924). Mais le projet d'une lettre commune est vite abandonné, et Aragon préfère signer seul Une vague de rêves.
A la différence des textes automatiques, le Manifeste du surréalisme a demandé beaucoup d'efforts. Breton passe le mois de juillet à Lorient à travailler le manuscrit de ce qu'il considère encore comme une simple introduction. Fin août, le texte est presque achevé et Breton lui donne son titre définitif. Le texte fondateur du surréalisme est publié chez Simon Kra, aux éditions du Sagittaire, à la fin du mois d'octobre 1924, dans le même volume que Poisson soluble. Breton a définitivement éclipsé prédécesseurs et rivaux. « Toute la jeunesse ne parle que du Manifeste du surréalisme ! » ne cesse de proclamer Simon Kra sur ses affiches publicitaires. Un article d'Albert Thibaudet, au début de 1925, conclut à cette évidence : « Le surréalisme existe. Il existe et va exister par des œuvres. Il existe par une conscience : conscience de l'inconscience, organisation de l'inorganique, tout ce qui tient, ou ne tient pas, dans l'image du poisson soluble. » Comme Marguerite Bonnet l'écrira, « on n'en finirait pas de recenser les notes, les articles qui suivent la parution du Manifeste ». Le navire surréaliste peut désormais battre pavillon et prendre la mer, Breton ayant pris soin de dresser l'inventaire de sa troupe : " Voici Louis Aragon qui part ; il n'a que le temps de vous saluer ; Philippe Soupault se lève avec les étoiles et Paul Eluard, notre grand Eluard n'est pas encore rentré. Voici Robert Desnos et Roger Vitrac qui déchiffrent dans le parc un vieil édit sur le duel ; Georges Auric, Jean Paulhan ; Max Morise qui rame si bien, et Benjamin Péret, dans ses équations d'oiseaux ; et Joseph Delteil ; et Jean Carrive ; et Georges Limbour et Georges Limbour et Georges Limbour (il y a toute une haie de Georges Limbour) ; et Marcel Noll ; voici T. Fraenkel qui nous fait signe de son ballon captif, Georges Malkine, Antonin Artaud, Francis Gérard, Pierre Naville, J.-A. Boiffard, puis Jacques Baron et son frère, beaux et cordiaux, tant d'autres encore, et des femmes ravissantes ma foi. Francis Picabia vient nous voir et, la semaine dernière, dans la galerie des glaces, on a reçu un nommé Marcel Duchamp qu'on ne connaissait pas encore. Picasso chasse dans les environs."  Il ne leur manque plus qu'un quartier général : le 10 octobre 1924 s'ouvre le Bureau de Recherches Surréalistes. En décembre, Littérature étant dissoute, paraît le premier numéro de la nouvelle revue du groupe : La Révolution surréaliste.

« Le temps était aux aurores boréales invisibles dans les salles d'attente du dictionnaire
Tu lançais le Manifeste du surréalisme
comme une bombe explosant en vol de paradisiers faisant le vide dans la basse-cour
et les éclats atteignaient au passage quelque digne vieillard à trogne d'élégie » (Benjamin Péret). 

Le Manifeste de Breton demeure aujourd'hui le dépositaire mythique et universel des secrets de l'art magique surréaliste. Cette oeuvre, sans doute le traité d'esthétique le plus célèbre du XXe siècle et le plus influent, érigea les Tables de la Loi d'une nouvelle vision de l'art, de l'homme et de la vie, mystique « qui continue à prêcher à la veille de la mort et au-dessous des orages ». Le texte sera publié cinq fois du vivant de l'auteur qui refusera toujours d'y apporter la moindre correction, préférant l'augmenter d'un Second Manifeste du surréalisme en 1930 et des Prolégomènes à un troisième Manifeste du surréalisme ou non en 1942.
« N'importe, s'il y a quelque disproportion entre cette défense et l'illustration qui suivra. Il s'agissait de remonter aux sources de l'imagination poétique, et qui plus est, de s'y tenir. C'est ce que je ne prétends pas avoir fait. Il faut prendre beaucoup sur soi pour vouloir s'établir dans ces régions reculées où tout a d'abord l'air de se passer si mal, à plus forte raison pour vouloir y conduire quelqu'un (...) Toujours est-il qu'une flèche indique maintenant la direction de ces pays et que l'atteinte du but véritable ne dépend plus que de l'endurance du voyageur. » (Manifeste du surréalisme).

Ce manuscrit a été présenté au public lors de l'exposition La Révolution surréaliste, Centre Georges Pompidou, 6 mars-24 juin 2002, p. 432.