Lot 83
  • 83

Marcel Proust et le Prix Goncourt [Ensemble autographe de l'auteur concernant le Prix Goncourt obtenu en 1919 pour "À l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs"]. Du 30 octobre 1919 au 10 janvier 1920.

Estimate
40,000 - 50,000 EUR
Log in to view results
bidding is closed

Description

  • Marcel Proust et le Prix Goncourt
  • [Ensemble autographe de l'auteur concernant le Prix Goncourt obtenu en 1919 pour "À l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs"].Du 30 octobre 1919 au 10 janvier 1920.
Au total 38 pages manuscrites, de formats divers.
L’ensemble est protégé sous un emboîtage moderne réalisé par Claudie de Séguier.




Cet ensemble comprend : 4 importantes lettres autographes signées de Proust à Henri de Régnier, André Chaumeix, Rosny Aîné et Rachilde, ainsi qu’un manuscrit autographe inédit d’un article rédigé par Proust lui-même dans la perspective de l’attribution du Prix Goncourt.



Exceptionnel ensemble manuscrit dans lequel Proust fait état de sa candidature, de son attente, de ses doutes, de ses relations avec la presse, ainsi que de son rapport au succès :



1) Lettre autographe signée à Henri de Régnier [« de l'Académie »], avec son enveloppe, postée le 30 octobre 1919 (4 pages in-12).



« Cher Monsieur et ami,
(…) Pour bien des raisons je serais très heureux d'avoir le Grand Prix de Littérature de l'Académie. (…) M'adresser à vous peut sembler une maladresse puisque vous avez une « collection » et goûtez tout naturellement les auteurs à qui vous demandez des ouvrages parce que vous leur trouvez du talent et qui deviennent, si votre séduction agit sur eux comme sur moi, vos amis. Mais je crois tout de même que vous êtes très au-dessus des questions de chapelle et que si vous trouvez mes livres supérieurs à d'autres vous voudrez bien les patronner. Veuillez agréer cher Monsieur et ami et faire agréer à Madame de Régnier mes hommages de respectueuse et profonde admiration. (…) ».

Proust plaçait au-dessus de tout le fait d’obtenir le Prix Goncourt. Cette lettre s’inscrit dans sa stratégie de conquête des lecteurs à laquelle il consacra toutes ses forces, s’aidant de ses relations, avec un argumentaire chaque fois adapté, et un art de la diplomatie digne de M. de Norpoix. Madame de Régnier, dans une lettre qu'elle fit porter rue Hamelin, le 11 décembre 1919, au lendemain de l'attribution du prix, écrit à Proust : « Je me réjouis bien de votre succès mais j'espérais que vous obtiendriez le Grand Prix de Littérature et je travaillais pour cela... Enfin un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. » (Correspondance, tome XVIII, lettre 298). Proust utilisera cette attribution comme argument supplémentaire en déclarant qu'une vingtaine d'académiciens français lui avaient écrit que c'était dommage : sans le Goncourt, il aurait eu le Grand Prix de l'Académie.
Cette lettre à Henri de Régnier ne figure par dans la Correspondance éditée par Kolb. Elle a été reproduite in extenso, avec son enveloppe, en illustration d'un article qui lui a été consacré, dans l'Événement du Jeudi (n° 881, 20-26 novembre 1997, p. 72 et 73, sous le titre : « Quand Proust se lançait dans la course aux prix .»)



2) Lettre autographe signée à André Chaumeix, rédacteur du journal "Les Débats", datée de vendredi soir [12 décembre 1919], (8 pages petit in-4 avec son enveloppe).



« Je suis peiné de la contradiction qui se manifeste de plus en plus entre la sympathie infiniment précieuse que Madame Chaumeix et vous voulez bien avoir pour mon livre, et l’hostilité que je rencontre aux Débats. (…) Les livres les plus insignifiants ont eu de longues colonnes aux Débats, le nom de leurs auteurs flamboyait en tête. À l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs que vous me faites, me dit-on, le grand honneur d'aimer, n'a pas eu une seule ligne et mon nom n'a jamais figuré. Ou plutôt je me trompe, à propos du Prix Goncourt, votre distingué collaborateur M. de Pierrefeu s'est étonné qu'on couronnât cette oeuvre périmée et obscure, alors que le nationalisme d'une génération toute française ». Marcel Proust souhaiterait que soit corrigée l'impression injuste donnée aux lecteurs du Journal et suggère plusieurs moyens : « L'un serait de résumer dans un Au jour le jour le superbe article que Léon Daudet a fait ce matin en tête de L'Action Française sous ce titre (à peu près) « Un nouveau et puissant romancier : Marcel Proust » (…). Si ce premier moyen vous déplaît en voici un second. Je publie dans la Nlle Revue Française du 1er janvier un article sur Flaubert et dans les Feuillets d'Art un sur Venise, vous pourriez faire faire un Au jour le jour sur l'un ou sur l'autre. Enfin, en février je crois, commencera dans la Nlle Revue française un long travail de Jacques Rivière sur moi (ce prisonnier de guerre a dit hier dans l'Excelsior que l'Académie Goncourt ne pourrait faire un meilleur choix. Il ne semble pas trouver ce livre trop « avant guerre » comme M. de Pierrefeu. Il est vrai qu'il le compare aux oeuvres de Stendhal et de St Simon, mais ceci est tellement d'avant d'autres guerres, que ce n'est plus avant guerre du tout) ». Enfin Proust suggère en post-scriptum que Les Débats disent « que Léon Daudet a écrit dans l'A.F. que depuis la fondation de l'Ac. Goncourt elle n'a jamais couronné une oeuvre égale aux Jeunes filles en fleurs. Ce n'est pas moi qui parle mais Léon Daudet […] ».



Lettre de stratégie de Proust. On vit à cette époque l’écrivain maintes fois prendre sa plume pour de répondre à des journalistes médiocres mais qui étaient alors influents, afin de défendre la position emportée grâce au Prix Goncourt et que certains lui contestaient. Proust mena une véritable guerre de tranchée, pour qu’on ne puisse lui couper la route vers son public, ces lecteurs inconnus qui seuls pouvaient consacrer son œuvre.



3) Lettre autographe signée à Rosny Aîné [peu avant le 23 décembre 1919] (16 pages in-4), montée sur onglets et reliée en pleine toile saumon avec pièce de titre en maroquin brun sur le premier plat, chemise de demi maroquin à bandes, de même couleur, étui (P.-L. Martin).

Extraordinaire lettre.
Proust commence par évoquer son état de santé qui l’oblige à mener une vie de claustration.



« [...] Je n'aimerais pas choisir le moment où Léon Daudet vient d'être tellement bon à mon égard, pour déclarer que le seul parti où j'aie à un moment figuré est justement le parti adverse. Mais enfin Léon Daudet sait mieux que personne que j'ai signé la première de toutes les listes en faveur de Dreyfus, que j'ai été un dreyfusard ardent, envoyant mon premier livre à Picquart dans sa prison du Cherche-Midi. Inutile de vous dire que je me suis gardé de répondre cela aux journaux qui me disent 'arrivé par le bénitier et la réaction' ! [...]
On me dit que M. Dorgelès a un grand talent, et si je ne perdais la vue sans avoir été assez bien depuis cinq ans pour aller voir un oculiste, je serais heureux de lire son livre qu'on me dit très beau.  [...]
Vient alors un passage très important sur La Recherche et sa rédaction. Enfin pour l'époque où j'ai composé mes livres (j'entends Swann et les Jeunes Filles en Fleurs, car vous savez qu'en sortant du collège j'ai fait un livre les Plaisirs et les Jours avec une Préface de France et ensuite deux traductions de Ruskin) je peux vous dire sans préciser absolument car mon pauvre valet de chambre qui prenait du soin de mes cahiers est mort et il aurait pu dire des dates exactes. J'ai dû commencer A la Recherche du Temps Perdu vers 1906 et le terminer vers 1911 ; Car tous les volumes sont écrits (le dernier chapitre du dernier volume, non paru, a été écrit tout de suite après le premier chapitre du premier volume). Quand Swann a paru en 1913, non seulement A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs [,] Le Côté de Guermantes et le Temps retrouvé étaient écrits mais même une partie importante de Sodome et Gomorrhe.
[...]
Ce qui fait que tout l'ouvrage n'a pas paru en 1913, c'est que Swann a paru en décembre 1913 (J'avais eu une peine infinie à trouver un éditeur, cinq successivement avaient gardé mon manuscrit des mois et l'avaient enfin refusé, et j'avais dû me résoudre à le faire éditer par Grasset à mes frais, ce qui eut lieu en décembre 1913). Les tomes suivants allaient paraître. Déjà dans ses numéros de juin et juillet (ou mai et juin) 1914, la Nouvelle Revue Française avait donné d'énormes extraits du Côté de Guermantes pour réparer l'erreur qu'à son avis elle avait commise en refusant Swann. Alors la Guerre éclata. La maison Grasset fermant, je passais à la Nouvelle Revue Française. Mais les imprimeurs mobilisés etc..., je ne pus avoir d'épreuves. Finalement on arriva tant bien que mal à faire paraître les Jeunes Filles en Fleurs. Mais maintenant voici le contraire qui arrive. Je reçois des épreuves à flots et je suis trop malade pour les corriger.
[...]
Et huit cents lettres de félicitations auxquelles répondre (dont dix de membres de l'Académie Française auxquels je n'avais pas envoyé mon livre) comment vais-je faire ! [...]
»



Le destinataire avait demandé à Proust des précisions pouvant servir à l'article qu'il s'apprêtait à publier dans Comœdia du 23 décembre 1919. Son article y paraît à la rubrique Le Tréteau des Lettres, en deuxième page, les six colonnes du bas, sous le titre « L'opinion littéraire : Le cas de M. Marcel Proust. » Rosny affirme : « La plupart des critiques ne connaissent pas l'oeuvre de M. Marcel Proust. » Et il cite en exemple le « spirituel et pittoresque chroniqueur de l'œuvre, M. de la Fouchardière » dont il reproduit un passage pour montrer que ce dernier parle à tort et à travers de Proust, tout en avouant qu'il n'a pas ouvert son livre. Rosny écrit : « j'estime pour mon compte que le livre de Proust est un grand livre, comme il en paraît rarement. Il fourmille de trouvailles, d'images ingénieuses, de remarques fines et originales ; il a des éclairs de génie. Il est probable qu'un tel livre subsistera longtemps après que l'immense majorité des livres parus depuis le commencement de ce siècle se seront complètement effacés de la mémoire des hommes. Qu'on puisse nous reprocher d'avoir été injustes en le préférant, cela me dépasse, Marcel Proust est un de nos plus beaux choix, un de ceux dont personnellement je l'honore. »



4) Lettre autographe signée à Rachilde (Mme Vallette), datée du 10 janvier 1920 (8 pages in-8).



Superbe défense littéraire, en réponse à un article où son œuvre est qualifiée de « mémoires d’un mondain ».



« Madame,
(Et ceci est naturellement une réponse privée, pas du tout pour
Le Mercure) Je sais très bien que les sympathies ne sont pas forcément réciproques et je trouve tout naturel qu'on n'aime pas mes livres. Seulement ce qui me fâche un peu si vous me permettez de vous le dire, dans votre ravissant article du Mercure, ce sont les inexactitudes si nombreuses qu'elles finissent par faire une injustice. (…) Je trouve que cette vie de lutte incessante contre le mal, ressemble aussi peu que possible à la vie mondaine. Puisque je prononce le mot mondain, en quoi le fait que j'aie pris parfois des mondains pour personnages, implique-t-il que je les recherche comme lecteurs ? Mais si mon œuvre est raffinée (?), les mondains sont en littérature les moins raffinés des hommes. Et je compterais beaucoup plus sur le suffrage des ouvriers électriciens, d'autant plus qu'un sujet mondain plus différent de leur vie, les amuserait plus. En tous cas il y a erreur matérielle à parler des « Mémoires » d'un mondain. Mon ouvrage entier (À la Recherche du Temps Perdu) titre détestable qui trompe était terminé (le mot fin écrit) en 1913. Je n'ai ajouté depuis qu'un épisode (non paru) sur M. de Charlus pendant la guerre. Si je ne souffrais tant ce soir je vous montrerais la composition rigoureuse de l'ouvrage.
Quant au prix Goncourt, je ne l'ai pas recherché, deux académiciens m'ont écrit si je voulais de leur voix. C'est la première chose qu'on m'offrait, de ma vie, (j'ai fait éditer Swann à mes frais, après le refus de nombreux éditeurs parmi lesquels le Mercure), je me suis gardé de le refuser. (…) En tous cas je ne comprends pas pourquoi vous dites que cette aventure finira mal pour moi. Tout finira mal pour moi et a déjà commencé depuis longtemps mais le Prix Goncourt n'y est pour rien et n'a pas tant d'importance !
La fatigue m'a empêché de vous écrire aucune des choses que je voulais (…)
Rappelez-moi Madame au bienveillant souvenir du cher Monsieur Vallette et daignez agréer tous mes respects.
Marcel Proust. »




Cette lettre, envoyée juste un mois après l'attribution du Prix Goncourt, répond à une critique publiée par Rachilde, la grande prêtresse du Mercure de France, dans le numéro du ler janvier 1920 de sa revue, aux pages 199 à 203 (« Les romans : Roland Dorgeles, Les Croix de Bois, Albin Michel - Marcel Proust : À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Nouvelle Revue Française »). Rachilde trouve que l'académie Goncourt aurait mieux fait d'accueillir Proust dans son sein que de lui donner son prix, car il n'est « plus assez jeune pour faire un lauréat, mais assez connu et apprécié d'une élite littéraire pour faire un délicieux académicien ». Elle ajoute : "(...) Un livre trop long est toujours une impolitesse, mais, ceci dit une fois pour toutes, un mondain qui écrit son journal a parfaitement le droit de ne pas finir... (...) Un charme très réel se dégage de ces récits d'amateur perpétuellement engagé dans des affaires qu'il juge inutile de conclure. (..). Il ne s'agit pas ici d'un roman, mais de la chronique d'une société. On consacre trente pages à la description d'un dîner, dix pages à la façon dont il convient d'assortir des écharpes à une toilette, et aussi à des cérébralités. Cela sent terriblement la mentalité d'avant-guerre ; on devine que l’auteur de ce livre n'a pas bougé ni évolué (...). Il était hier un Saint-Simon pour hommes du monde, il va devenir un chroniqueur éventuel de nouveaux riches (... ) qui l'achèteront et ne le liront pas ».



Proust lui réplique en la félicitant de son « ravissant article » et il pique juste car l’article de Rachilde se situe entièrement sur les apparences et les convenances, le sujet traité, les lecteurs supposés, un a priori social. La critique littéraire est absente.



5) Manuscrit autographe intitulé « M. Marcel Proust, prix de l'Académie Goncourt », (2 pages in-folio).
Précieux manuscrit demeuré en partie inédit d'un article rédigé par Proust lui-même avant l'attribution du Prix Goncourt pour À l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs, le 10 décembre 1919. Une note au crayon au verso indique « Remis à Léon Daudet lequel le donna à Georges Bonamour alors rédacteur en chef de L'Eclair, la veille du Goncourt ».
« Il n'y avait pas moins de trente candidats, tous écrivains de mérite. En leur préférant M. Marcel Proust, l'Académie violait sciemment en quelque mesure le texte même du Testament de Goncourt qui demande qu'on encourage un jeune écrivain et M. Marcel Proust a quarante sept ans. Mais la supériorité du talent a paru assez éclatante à l'Académie pour qu'elle pût laisser de côté la question d'âge. À l'Ombre des Jeunes Filles en fleurs [...] n'est que la deuxième partie d'une immense fresque À la Recherche du Temps Perdu dont les dernières parties Sodome et Gomorrhe, le Côté de Guermantes, le Temps Retrouvé, sont déjà écrits mais n'ont pas encore paru. Ajoutons que le puissant romancier de À la Recherche du Temps Perdu (livre qui n'est nullement une autobiographie comme on l'a dit quelquefois par erreur, et que des écrivains tels qu'Henry James et Francis Jammes (...) ont égalé à Balzac et à Cervantès) n'est pas un débutant… » Et Proust cite Les Plaisirs et les Jours, publié « au sortir même du collège », où Anatole France voyait « l'œuvre d'un Bernardin de St Pierre dépravé et d'un Pétrone ingénu », ainsi que son volume de Pastiches et Mélanges où figure « coïncidence amusante, un pastiche assez irrévérencieux des Goncourt ».



Ce texte a été cité partiellement au moment de sa vente dans deux articles de presse, l'un du Canard Enchaîné, titré « À l'Ombre d'un Goncourt en fleurs », 17 novembre 1999 ; l'autre du Figaro, titré « Un amour de Proust », 3 décembre 1999.



Ce texte s’inscrit dans la tradition qui veut, encore aujourd’hui, que l’écrivain se charge lui-même de présenter son œuvre comme s’il s’agissait d’un tiers, critique ou éditeur. Le texte est ici particulièrement intéressant car non seulement Proust, en bon agent de son œuvre, va au devant des objections et des fausses interprétations en annonçant les volumes suivants, mais il ose désormais se comparer aux très grands noms de la littérature française ou étrangère. Preuve que s’il avait longtemps douté de sa valeur, désormais, en 1919, Marcel Proust devient officiellement, grâce au Prix Goncourt, et à ses propres yeux, le grand écrivain qu’il avait rêvé d’être.

Exhibited

Le manuscrit et la lettre à Rosny Aîné ont figuré à l'exposition « Marcel Proust au Ritz » en novembre 2002.

Literature

À l’exception de la première, ces lettres ont été publiées dans la Correspondance de Marcel Proust, Édition de Philippe Kolb, Paris, Plon, 1990 : au tome XVIII, (pp. 517-518 et 544-547) et au tome XIX (pp. 55-57).
Le manuscrit est reproduit dans Marcel Proust, la cathédrale du temps, par Jean-Yves Tadié, Découvertes Gallimard, 1999, p. 113.

Catalogue Note

Cet ensemble est largement et précisément commenté par Jean-Yves Tadié dans sa biographie de Marcel Proust (Gallimard, Paris, 1991), à laquelle nous empruntons nos commentaires.

Au début de septembre, Proust sait que Léon Daudet, membre de l'Académie Goncourt, votera pour lui. Rosny aîné lui demande, tout en lui rappelant avoir eu « jadis une hésitation », s'il lui permet de lui donner sa voix et sa propagande : il l'assure de la joie intense qu'il éprouve à lire ses livres « Vous avez ajouté quelque chose à mon univers humain ; depuis longtemps je n'avais fait un si beau voyage. » Il souligne que le prix peut aider à remuer l'élite, qui est « aussi inerte que le masse » : le Prix Goncourt n'était donc pas considéré, par ses donateurs mêmes, comme populaire ; on comprend ainsi mieux que Proust, prêt à toute démarche, ait souhaité l'obtenir.

Daudet et Rosny aîné seront rejoints par Geffroy, Rosny jeune, Céard, Elémir Bourges, le 10 décembre. Les Croix de bois de Roland Dorgelès obtiennent quatre voix. Proust explique à Céleste Albaret que « c'est le seul prix de valeur, aujourd'hui, parce qu'il est décerné par des hommes qui savent ce qu'est le roman et ce que vaut un roman ». Le lendemain, les lettres de félicitations se multiplient : il prétendra, exagération ou humour, en avoir reçu 870. Mais la presse n'est pas unanime : Jean de Pierrefeu s'étonne, dans Les Débats, qu'on ait couronné un « talent d'outre-tombe », « peu en rapport avec les tendances de la génération nouvelle qui chante la beauté de la lutte, les vertus de la lumière » ; Proust proteste auprès d'André Chaumeix, qu'il croit à tort directeur du journal.