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Proust, Marcel À la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann. Paris, Bernard Grasset, 1914.
Description
- Proust, Marcel
- À la recherche du temps perdu.Du côté de chez Swann. Paris, Bernard Grasset, 1914.
Reliure signée de G. Mercier et de E. et A. Maylander pour la dorure, (1919). Plein maroquin noir, décoré sur les plats d'une rosace à six lobes à l’or et au palladium, dos à nerfs orné d'un motif semblable, doublures de maroquin vert encadrées de filets à l’or et au palladium arqués aux coins, tranches dorées sur témoins, couvertures jaunes imprimées en noir et dos conservés. Étui.
Édition originale.
Un des 5 exemplaires de tête sur Japon impérial, portant le n° 2, avant 12 exemplaires sur Hollande Van Gelder.
Pièces jointes :
1 Lettre autographe signée de Marcel Proust à un ami.
Sans lieu ni date [début 1913], 4 pp. in-8 carré, 180 x 131 mm, sur vergé impérial.
Destinaire non identifié (Il s’agit peut-être de Gaston Calmette, qui avait recommandé Proust à l’éditeur Ollendorff sans succès).Lettre où Proust avoue qu'après avoir essuyé le refus de plusieurs éditeurs, il s'est résolu à publier son livre à compte d'auteur :
« (...) J'ai eu tellement d'ennuis avec mon livre dont aucun éditeur ne voulait (ceci entre nous) (...) »
La lettre, non datée, est contemporaine de la signature du contrat d'édition : « ... Maintenant je n'ai plus de scrupules : je fais le livre à mes frais chez Grasset. »
Cette lettre ne figure pas dans la Correspondance de Marcel Proust éditée par Philip Kolb.
2. Deux lettres signées de Bernard Grasset à Marcel Proust pour l'édition du livre. Lettres dactylographiées sur feuillets in-4, à en-tête de Bernard Grasset, éditeur (imprimé en vert et noir) ; dactylographie violette sur papier Wellington. Datées de Paris, les 5 mars et 11 juin 1913. 3 pages in-4 (210 x 270 mm) au total : la première lettre, la plus importante, comporte deux pleines pages dactylographiées, avec deux petites corrections autographes et la signature de l'éditeur à l'encre noire. Nom et adresse du destinataire « Monsieur Marcel Proust / 102 Bd Haussmann ».
- La lettre datée du 5 mars 1913 est la toute première lettre de Grasset concernant le projet de publication de À la recherche du temps perdu. L’éditeur répond à une lettre envoyée le 24 février 1913 par Marcel Proust, qui exposait ses conditions en vue de cette publication « à compte d'auteur ».
Bernard Grasset se montre particulièrement aimable ; contrairement à tous les autres éditeurs pressentis, il semble avoir eu l’intuition de tenir là une œuvre de grande valeur.
« Je ne saurais vous dire combien j'ai été touché du ton de votre lettre, et cette confiance cordiale que vous me marquez. Je puis d'ailleurs vous assurer que j'en serai digne, trop heureux de lancer un ouvrage de vous, et de m'y consacrer. (…) Votre manuscrit contient une matière formidable (…) J'estime qu'avec la justification des ouvrages dont vous me parlez, nous arriverons, en in-18 jésus, à 900 pages environ ; il faudrait donc compter pour l'établissement de cet ouvrage à 1.250 exemplaires, des frais trois fois supérieurs, environ à l'établissement de l'in-18 jésus normal de 300 pages, soit 3.750 frs. »
Puis l'éditeur évoque les choix à faire sur le prix de vente et le tirage afin que l’auteur puisse tirer quelques bénéfices de l’opération dès le premier tirage :
« Si nous vendons ce livre 3,50 ; il n'est pas possible que vous vous y retrouviez au point de vue pécuniaire, si nous n'effectuons pas un très gros tirage ; d'autre part j'estime qu'il serait imprudent de compter pour le moment, sur le grand public, avec un livre de cet ordre. En conséquence, je me demande, si le seul moyen de faire un traité qui se tienne, c'est-à-dire qui vous ménage des bénéfices au cas de succès, ne serait pas d'établir un ouvrage dans un format in-octavo (...) et de vendre ce livre 10 frs. Je pourrais alors vous donner comme droits d'auteur 4 frs par exemplaire, et vous recouvririez ainsi vos frais dès la première édition. Dites-moi ce que vous pensez d'une telle formule; dites-moi également si, comme il est possible, la question de bénéfice est pour vous secondaire, et si vous tenez avant tout à ce que votre livre ait de la circulation, quitte à ce qu'il vous en coûte quelque chose ».
- La seconde lettre de Bernard Grasset, datée du 11 juin suivant, concerne les épreuves du roman :
« J'ai bien pris note au sujet des épreuves, et puis vous assurer que vous aurez satisfaction sur tous les points. »
Puis il évoque un duel au cours duquel il fut légèrement blessé ; Proust répondra en le félicitant : «un duel est un de mes très bons souvenirs ». (Kolb indique, tome XII, p. 198, la date du 10 juin pour la réponse de Proust, or elle ne semble pas pouvoir être antérieure à la présente lettre du 11 juin).
Provenance
(à l'exception des lettres de Grasset) :
Gaston Calmette, dédicataire du livre (témoignage de M. Chalvet).
Le Garrec en fait Le Gueltel (témoignage de M. Chalvet).
Auguste Blaizot (témoignage de M. Chalvet).
Laurent Meeûs (ex-libris, Wittock n° 1405).
Charles Hayoit (vente Sotheby's, Paris, décembre 2001, n° 1157 du catalogue).
Literature
Les deux lettres de Bernard Grasset à Proust ne figurent pas dans la correspondance publiée par Kolb, qui donne, en revanche, les deux lettres de Proust à Grasset (sollicitation et réponse, la réponse est datée « peu après le 24 février 1913 »).
Catalogue Note
L'édition originale de Swann bénéficia de cinq exemplaires sur Japon impérial. Maurice Chalvet les a recensés sans toutefois préciser ni le libellé des envois, ni le nom du possesseur d'alors. L'un des 5 exemplaires (ex. n° 4) a disparu pendant la Seconde Guerre mondiale. Trois sont identifiés par leurs envois manuscrits : celui du peintre Jean Béraud (n° 3) ; celui qu'acheta Jacques de Lacretelle en 1918, mais qui fut peut-être auparavant celui de Bernard Grasset, l'éditeur du livre (n° 4) ; celui de Louis Brun, directeur des Éditions Bernard Grasset (n° 5). Les deux premiers sont plus énigmatiques. Le n° 1 fut relié par Randeynes. Le n° 2 (cet exemplaire) est relié par Mercier, comme l'indique M. Chalvet. Mais celui-ci ne l'a probablement jamais vu, car il ne mentionne pas que la reliure est datée de 1919. Il ajoute qu'il s'agit de l'exemplaire de la duchesse Sforza dont le catalogue (1933, n°575) indique pourtant un volume broché. La présence de la date sur la reliure conduit à admettre que cet exemplaire, l'exemplaire Hayoit, n'est pas l'exemplaire Sforza. La confusion était d'autant plus facile que, conformément aux usages de l'époque, ce catalogue ne mentionne pas le n° de tirage. Ainsi il semble probable que l'exemplaire Sforza soit le n° 1 qui, encore broché en 1933, fut relié ensuite par Randeynes (par le père avant 1935 ? par le fils avant 1940 environ ?). L'exemplaire Hayoit, relié dès 1919, n'a aucune provenance certaine avant celle qu'indique l'ex-libris de Laurent Meeûs.
Quant à l'identité du premier possesseur, les exemplaires n° 1 et n° 2 sont dans la même situation : ils ne portent pas d'envoi manuscrit. Dans les deux cas, on peut supposer que les vendeurs ont préféré ne pas être identifiés pour des raisons qui leur furent personnelles et ont enlevé les feuillets de vélin sur lesquels Proust portait parfois certains envois. Selon les témoignages oraux rapportés par M. Chalvet, le n° 1 serait l'exemplaire de Lucien Daudet, privé de son envoi vers 1925, et le n° 2 serait l'exemplaire du dédicataire de l'ouvrage, Gaston Calmette, qui, bien qu'il eût refusé en 1910 de publier Combray en feuilleton dans Le Figaro, s'était entremis, sans succès, auprès de Fasquelle en 1912.
Proust maintint sa dédicace imprimée à Gaston Calmette, sans lui tenir rigueur de son soutien un peu tiède, mais il renonça à l'idée d'une longue lettre-préface. Calmette confirma sa relative indifférence par une lettre de remerciement banale, à la mi-mars : « (...) vous me ferez une grande joie en me dédiant ce beau livre, et la forme que vous choisirez pour cette dédicace sera celle qui me plaira précisément le mieux » (Kolb, XIII, 38).
On sait par une lettre (Kolb, XIII, 154) que Proust a d'abord envoyé à Calmette un exemplaire courant, pour lui permettre de lire la dédicace, mais qu'il voulait lui en faire parvenir « un exemplaire plus élégant » dès que ceux-ci seraient disponibles. Il y a donc eu deux exemplaires Calmette : le premier était sur petit papier, le second fut très probablement celui-ci. Dans l'édition de Proust chez Robert-Laffont, Philipe Michel-Thiriet donne un texte qu'il présente comme l'envoi porté sur l'exemplaire de Calmette, en fait, il ne s’agit que d’un extrait de la lettre déjà citée. Nous n'avons donc connaissance d'aucun envoi, ni sur le premier, ni sur le second exemplaire. En mars 1914, Calmette fut assassiné par la femme du ministre des Finances, Joseph Caillaux, violemment mis en cause par Le Figaro. Ses livres furent dispersés, et, selon Chalvet, citant le docteur Le Masle, l'ouvrage aurait alors été trouvé dans une manette de l'Hôtel Drouot par Le Garrec (en fait Le Gueltel), qui l'aurait revendu à Auguste Blaizot.
On ignore si, en 1919, la reliure de l'exemplaire Hayoit fut exécutée à la demande d'Auguste Blaizot ou de l'acquéreur de l'exemplaire. Elle fut confiée à Georges Mercier, qui était à la tête d'un atelier réputé qui avait été celui de son père Émile Mercier et auparavant celui d’Adolphe Cuzin, (actif de 1892 à 1910) et de son père Francisque Cuzin (actif de 1861 à 1890). Georges Mercier datait parfois ses reliures.
La première doublure du Swann, à côté de la signature de Mercier, porte aussi la mention « E. et A. Maylander Dor. » Il s'agit d'Emile, le père, et de son fils, André, tous deux étant des artisans réputés et de grand talent. Le décor doré fut exécuté postérieurement par les Maylander (avant 1965, date du retrait du père) à la demande de Charles Hayoit. Ce décor constitué de filets dorés (en fait exécutés à l'aide de petites plaques juxtaposées), est, par sa discrète évocation stylistique de l'Art déco, dans sa sobriété, plutôt élégant.
Aucun autre exemplaire sur Japon impérial de Swann n'est apparu dans un catalogue de libraire ou de vente aux enchères depuis un demi-siècle. En 1953, exemplaire Béraud (catalogue Pierre Bérès) ; en 1942, exemplaire Brun (sa vente) ; en 1938, exemplaire - disparu - Lacretelle (vente Paul Voûte) ; en 1933, exemplaire Lucien Daudet (vente Sforza). (Seul l’exemplaire broché n° 3 avec un envoi à Jean Béraud est passé de la Bibliothèque du Baron de Sadeleer dans une autre collection privée ces dernières années, catalogue Bérès 1953). Aucun de ces exemplaires n'était en reliure d'époque. En référence complémentaire, ajoutons que seuls deux des dix exemplaires connus sur Hollande sont en reliure d'époque, dont un dans la collection Jacques Guérin - les deux autres de cette même collection étant en reliure postérieure.
Ayant vu son œuvre refusée successivement par Fasquelle, la NRF et Ollendorff, Proust se tourna alors vers Grasset. Ce jeune éditeur n’avait pas les moyens de publier un livre déjà volumineux dans sa première version, mais il eut le talent de discerner une œuvre hors du commun et s’attela à la tâche avec beaucoup de sérieux et de respect pour cette publication qui allait marquer son destin d’éditeur.
Le choix de Proust devait se porter sur un large tirage à prix modique car il voulait toucher des lecteurs qui, bien que cultivés, ne pouvaient pas s’offrir des livres coûteux. Le contrat définitif entre Grasset et lui fut mis au point le 11 mars. Marcel Proust qui avait déjà écrit de quoi remplir beaucoup plus qu’un volume, aurait voulu tout publier en même temps. Une discussion s’ensuivit entre l’écrivain, quelques-uns de ses amis, et son éditeur. Marcel Proust dut se rendre à l’évidence : un seul volume s’avérait impossible ; l’écrivain avait l’impression douloureuse qu’on allait trancher son œuvre dans le vif, morceler sa tapisserie comme « une motte de beurre ». Il ne suffisait donc pas, pour Proust, de n’avoir déniché qu’un jeune éditeur presque inconnu, il fallait aussi désormais trouver un public pour son œuvre et pour cela retarder une partie de la publication.
Toutes ces contrariétés furent une chance extraordinaire pour l’œuvre, pour les lecteurs, pour l’auteur, moins pour l’éditeur qui ne devait jamais imprimer le second volume, ni les autres.