Lot 76
  • 76

Proust, Marcel [Lettre autographe signée, à Hélène de Caraman-Chimay]. [20 ? juin 1905].

Estimate
10,000 - 15,000 EUR
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Description

  • Proust, Marcel
  • [Lettre autographe signée, à Hélène de Caraman-Chimay]. [20 ? juin 1905].
12 pp. in-12, sur feuillets de deuil.



« Princesse,
Vous ne savez pas quelles ruses je comptais employer pour tâcher que vous lisiez quelques lignes de cet article, et je devrais être follement heureux que de vous-même vous l’ayez lu et aimé
 (...). Ces choses me paraissaient bien quand vous les citiez parce que vous avez une manière de dire qui donne un charme acide à tout. Jamais je n’aurais trouvé “Dieu sur la commode” et votre brièveté décuple la force de ce que j’ai dit. Princesse, ces pages serviront de préface à Sésame et les Lys, une traduction que je vais publier, composée de deux conférences. Les Trésors des Rois qui sont dédiés à Reynaldo et les Jardins des Reines qui sont dédiés à Mlle Lemaire.
Si cela pouvait ne pas vous paraître trop indigne de vous je vous dédierais cette préface. (…) Ne vous fatiguez pas à me répondre, princesse ; rien de tout cela ne presse et peut toujours s’ajouter. J’aurais été bien heureux de dîner lundi. Mais voilà, je n’ai pas encore pu aller cette année à un seul des innombrables mardis de Madame Lemaire. C’est mardi [?] le dernier. Vous savez qu’elle a passé deux ans de sa vie ou presque à illustrer mon livre
Les Plaisirs et les Jours et que je lui dois une grande reconnaissance. Or, me lever lundi c’est avoir la certitude de se coucher mardi. Ce qui rend la chose difficile (…)
Madame de Noailles me donne depuis quelques jours des marques d’une bonté tellement inouïe, que je ne sais plus la remercier. Et vous pensez que si j’ai toujours attaché à sa bienveillance un prix infini, depuis La Domination que je considère comme son plus beau livre et peut-être le plus beau livre que j’aie jamais lu, le fait qu’elle sache mon nom, qu’elle l’écrive sur une enveloppe est déjà pour me rendre malade. Je ne pensais pas que personne lirait ce petit article sans cela je n’aurais pas fait dire à Maman qu’elle avait peur de me voir “répandre” l’eau de la carafe. Vous qui la connaissez vous savez qu’elle s’exprime mieux. Mais pour des nécessités esthétiques, et aussi pour réagir sur la manie des littérateurs qui dès qu’ils se peignent dans un roman s’y donnent des chevaux, un château, une vieille famille du Berri, etc.... j’ai baissé d’un cran mon enfance qui d’ailleurs n’eut [n’ont ?] rien d’élégant, mais enfin d’où la pendule de loge de concierge avec coquillages et fleurs fut peut-être absente...
Il l'encourage à écrire : Princesse (...), vous qui avez écrit des choses admirables des phrases sur le Christ qui ne sait pas sa fortune, sur les Gozzoli, sur Me Greffulhe, que je me récite le soir parfois comme une prière pourquoi n’écrivez vous pas (...). Ce que vous feriez serait dans une telle opposition avec ce que fait madame de Noailles. J’imagine vos livres, et leurs titres qui délimiteraient nettement ce qu’ils sont, d’un mot irréfragable, dérivé dans un sens un peu spécial, et absolu, traçant une ligne inflexible et délicate : l’Exclue. (…) ».

Literature

Partiellement publiée dans la Correspondance (éd. Kolb, T. V, p. 240, d’après le texte donné dans un catalogue de vente Cornuau du 24 novembre 1942).

Catalogue Note

L'article auquel Proust fait ici allusion parut sous le titre Sur la lecture dans La Renaissance intime du 20 juin 1905. Il fut effectivement repris comme préface à "Sésame et les lys" avec la dédicace suivante : "A Madame la Princesse Alexandre de Caraman-Chimay, dont les "Notes sur Florence" avaient fait les délices de Ruskin, je dédie respectueusement, comme un hommage de ma profonde admiration pour elle, ces pages que j'ai recueillies parce qu'elles lui ont plu." Ce même 20 juin, Proust écrivit également à Anna de Noailles pour lui dire toute son admiration et évoquer cette lettre adressée à sa sœur.

Hélène de Brancovan (1878-1929), sœur d’Anna de Noailles, avait épousé le prince Alexandre de Caraman-Chimay en 1898.