Lot 7
  • 7

[Baudelaire, Charles] [lettres autographes de madame Aupick et du général Aupick au demi-frère de Charles Baudelaire]. Datées et non datées, 1828-1862.

Estimate
10,000 - 12,000 EUR
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Description

  • [Baudelaire, Charles]
  • [lettres autographes de madame Aupick et du général Aupick au demi-frère de Charles Baudelaire].Datées et non datées, 1828-1862.
6 lettres de la mère de Charles Baudelaire, 5 lettres du général Jacques Aupick son beau-père, et 4 lettres de correspondants divers, toutes adressées à Alphonse Baudelaire.



1) Caroline AUPICK, née Archimbault-Dufaÿs (1893-1871).
6 lettres autographes signées, datées et non datées, 1828-1862, dont 4 avec adresses et cachets postaux. 20 pp. de formats divers. Très bon état de conservation (quelques marques de pliures, légères salissures et minimes rousseurs sur certaines lettres).
[Le 8 novembre 1828]. Dans la première lettre, écrite après son remariage, Mme Aupick invite son beau-fils à se joindre à leur famille : « Si vos courses se dirigent quelque fois rue du Bac, venez causer avec nous, venez manger la soupe en famille ;  votre petit frère parle sans cesse de vous et sera bien heureux de vous voir ."
Après un voyage dans le Midi de la France, elle dresse un portrait très élogieux de son fils, alors âgé de 13 ans : « […] nous avons appris avec grand plaisir que Charles avait fait des merveilles : il a toujours été 1er et 2ème sur 50 ; il est dans une bonne veine ; s’il voulait continuer ainsi, nous serions bien heureux, il a tant de moyens que nous devons exiger beaucoup. Il est bien loin d’être un enfant ordinaire, mais il est si léger, si fou, il aime tant le jeu ! Quant aux qualités du cœur, quant au caractère, il ne laisse rien à désirer : il est d’un commerce charmant, bon et sensible au dernier point, très aimant. Nous n’avons réellement d’autre reproche à lui faire que de jouer au lieu de travailler et d’avoir la mauvaise habitude d’attendre toujours au dernier moment pour faire ses devoirs. […] »
En 1831, le lieutenant-colonel Jacques Aupick fut envoyé à Lyon où l’armée réprima l’insurrection ouvrière. Sa femme et le jeune Charles le rejoignirent en janvier 1832. Ils furent de retour à Paris en 1836, Aupick étant nommé chef d’état-major de la 1ère division. Il fut alors question de la succession de François Baudelaire, père d’Alphonse et de Charles, dont s’occupait maître Labie, notaire à Neuilly. En 1854, Caroline Aupick adresse une lettre de condoléances à Alphonse et à sa femme, Anne-Félicité, après la mort de leur fils Edmond, mort à 21 ans : « Je ne saurais vous dire combien je compatis à votre douleur à tous deux, et je la comprends plus que personne, croyez-le bien. Avec nos liens anciens, je ne puis être indifférente à rien de ce qui vous concerne […] ». 
Trois ans plus tard, après la mort de son mari, survenue le 27 avril 1857, elle s’est réfugiée à Honfleur. Elle confie à Anne-Félicité : « dites à Alphonse que je suis contente de son frère du moins sous le rapport des sentiments ; quant à l’ordre, je ne sais s’il changera jamais […] ». L’année suivante, elle espère que Charles la rejoindra à Honfleur : « Vous avez bien raison, mon cher Alphonse, de faire des vœux pour que la communauté que je vais entreprendre avec Charles lui soit profitable. Mon Dieu ! Comme je le désire ! et quels efforts infatigables je vais avoir à faire sur cette nature si bizarre et si exceptionnelle ! […] ». Souvent reporté, le séjour de Charles auprès de sa mère aura lieu de janvier à mars 1859, dans cette maison achetée par son beau-père, qu’il surnommait la « Maison-Joujou » et où il écrivit, entre autres poèmes célèbres, L’Albatros et Le Voyage. La dernière lettre de Caroline Aupick est adressée à la veuve d’Alphonse, après la mort de celui-ci en avril 1862.




2) Jacques AUPICK (1789-1857).
5 lettres autographes écrites entre 1840 et 1854, dont 2 datées du 19 avril et du 4 mai 1841. 10 pp. in-8 ou in-4. Très bon état de conservation (infime jaunissement sur l’une d’entre elles, léger trait de crayon rouge sur une autre, petit manque par ouverture du cachet sur une troisième, infime jaunissement en bordure).
Rares et importantes lettres du beau-père de Baudelaire au sujet de Charles.
Les deux lettres datées du 19 avril et du 4 mai 1841, se situent à des dates cruciales de la vie de Baudelaire, lorsqu’il eut vingt ans et que des conseils de famille tenus sous la férule du général Aupick, avec le plein accord d’Alphonse, décidèrent de l’avenir matériel du futur poète
.
Le 19 avril :« […] Le moment [est] arrivé où quelque chose doit être fait pour empêcher la perte absolue de votre frère. Je suis enfin au courant ou à peu près de sa position, de ses allures, de ses habitudes. Le péril est grand : peut-être y a-t-il encore un remède : mais il faut que je vous voie, il faut que je cause avec vous de ce que je fais, que vous appreniez le point de démoralisation d’esprit, sans parler du physique, auquel Charles est parvenu. […] la réunion aurait lieu chez moi et Charles y paraîtrait. Là, un ami dévoué lui exposerait les torts de sa conduite, les erreurs dans lesquelles il se fourvoie et on l’amènerait à consentir à ce qu’on lui proposerait. Il y a selon moi, selon Paul et Labie, urgence à l’arracher du pavé glissant de Paris. On me parle de lui faire faire un long voyage sur mer, aux unes et autres Indes, dans l’espérance qu’ainsi dépaysé, arraché à ses détestables relations, et en présence de tout ce qu’il aurait à étudier, il pourrait rentrer dans le vrai et nous revenir poète peut-être, mais poète ayant puisé ses inspirations à de meilleures sources que les égoûts de Paris […] »
La lettre suivante donne des détails sur le voyage prévu vers Calcutta, le règlement des dettes de Baudelaire, et la mise en place de la tutelle : « Le départ du bâtiment est fixé au 15 de ce mois [...] Nous feront venir Charles le 7 ou le 8 pour le faire mettre en voiture le 11 : nous n’avons pas de temps à perdre. Je me procure les 4000 F. persuadé que je suis que le conseil de famille partagera notre opinion sur la nécessité de dépayser Charles. […] Ma femme désire vivement que Charles ignore cette réunion du conseil de famille. Ne lui en dites donc rien […] » Baudelaire n’alla pas jusqu’en Inde : le paquebot sur lequel il embarqua le 9 juin 1841, ayant dû faire une escale forcée à l’île Maurice, Baudelaire en profita pour débarquer. Il se rendit ensuite à la Réunion (île Bourbon) et revint en France en février 1842.

Literature

Les lettres du général Aupick furent publiées intégralement dans le Mercure de France du 15 mars 1937. Elles sont également citées dans la Correspondance, T. I, p. 734.

Catalogue Note

Madame Aupick, la mère de l’un des plus grands poètes français, est restée une femme aussi méconnue qu'omniprésente dans la vie et l'oeuvre de Baudelaire. Hormis ses deux maris et son fils, son identité propre semble contractée en deux patronymes « Archambault-Dufaÿs ». Sa vie paraît avoir commencé à 27 ans lorsqu’elle a épousé en 1820 François Baudelaire, de 34 ans son aîné, dont elle eut à 29 ans un fils unique, Charles Baudelaire, le futur poète. On sait qu’elle était orpheline, peut-être née en Angleterre, élevée, écrit François Porché,  par « la famille Pérignon qui était de robe », laquelle faisait partie des relations de François Baudelaire. La famille maternelle de Charles Baudelaire est un mystère. Le poète en sut-il davantage ? Toujours est-il qu’il prit soin d’accoler le nom de « Dufaÿs » à celui de son père pour signer ses premiers textes des années 1840 par « Baudelaire Dufaÿs », sans doute aussi pour narguer le colonel Aupick. Ce geste d’hommage à sa mère préserva le nom de l’orpheline Dufaÿs de l’oubli total, effacé par la renommée du militaire Aupick. C’était aussi pour Baudelaire un moyen de rappeler que la première union dont il était issu n’avait pas été qu’une parenthèse vite refermée. 
A peine sortie de la période de deuil qui suivit la mort de François Baudelaire en 1827, Caroline épousa derechef un colonel promis à un brillant avenir. Elle en attendait sans doute déjà un enfant qui ne vécut pas. Charles resta donc le fils unique de cette femme devenue aux yeux du monde la très conventionnelle et rigoureuse Madame Aupick.  Elle eut à peine le temps de se féliciter de ses succès scolaires qu’un malheur fondit sur elle ; son fils devint poète : « Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes / Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié » (Bénédiction). Les biographes de Baudelaire n’ont pas manqué d’attaquer Caroline Aupick, pour avoir toujours adopté les vues étroites de son second époux au sujet du poète, pour avoir participé à la sainte ligue familiale contre son fils, pour l’avoir privé du patrimoine paternel. On verra plus loin que ces vues sont un peu hâtives.

Le tribunal familial, convoqué par le sévère général Aupick, évoque un autre procès, officiel celui-ci, qui devait plus tard condamner certaines pièces des Fleurs du mal au motif que le sujet n’en était pas convenable, pas puisé aux « meilleures sources » aurait dit Aupick.

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