Lot 23
  • 23

Baudelaire, Charles [18 lettres autographes signées à l'éditeur à Eugène Crépet]. Août 1859 - septembre 1862.

Estimate
35,000 - 45,000 EUR
Log in to view results
bidding is closed

Description

  • Baudelaire, Charles
  • [18 lettres autographes signées à l'éditeur à Eugène Crépet].Août 1859 - septembre 1862.
18 lettres autographes signées à Eugène Crépet, entre août 1859 et septembre 1862, formant 24 pages de formats divers, auxquelles sont ajoutées l’ultime lettre de cette correspondance du 14 septembre 1862 qui clôt leur relation, adressée par Eugène Crépet à Baudelaire, ainsi qu’une lettre de Poulet-Malassis à Eugène Crépet. Excellent état d’ensemble avec quelques légers défauts marginaux.

Provenance

Armand Godoy (à l'exception de deux lettres de Baudelaire et celle de Poulet-Malassis).

Literature

Lettres transcrites dans C.B., Correspondance, Pléiade, I, pp. 590, 592-593, 611, 647 ; II, pp. 21-22, 39-40, 40-41, 43, 46, 50, 95, 104, 172, 173, 174, 258-259.

Catalogue Note

C’est en 1859 qu’Eugène Crépet, mit en chantier et finança entièrement les Poëtes français, excellente anthologie formée de quatre volumes, dont les trois premiers parurent en 1861 chez le libraire-éditeur Narcisse Gide ; le quatrième volume, auquel Baudelaire collabora, fut entièrement consacré aux poètes contemporains et publié en 1862 chez Hachette. Chacun des poètes retenus était présenté par une notice, un choix de quelques poèmes et une courte bibliographie. Les notices rédigées par Baudelaire, au nombre de sept, furent ensuite rassemblées sous le titre Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains, puis recueillies dans le volume L’Art romantique (publié à titre posthume en 1868). Ces « admirables notices » selon l’appréciation de Charles Asselineau, sur Hugo, Gautier, Banville, Leconte de Lisle, Desbordes-Valmore, Barbier, Levavasseur, sont considérées comme les premiers essais de critique littéraire moderne. Par dépit envers Crépet qui lui demandait des corrections mais aussi par besoin d’argent, ces notices furent aussi données par Baudelaire à la Revue fantaisiste de Catulle Mendès, sous le titre général des Réflexions...

Les relations entre Baudelaire et Eugène Crépet (1827-1892), ne furent jamais des plus amicales. Cette anthologie brouilla les deux amis qui rompirent après la publication, Crépet ayant même retenu l’exemplaire réservé à Baudelaire parce que ce dernier ne lui avait pas rendu des volumes de poésie de Hugo qui lui avaient été prêtés. Baudelaire inscrivit le nom de Crépet dans son Carnet sous la rubrique « Vilaines canailles ». Pourtant, malgré ces rapports électriques, cette anthologie fut de grande qualité et constitue un important témoignage baudelairien par le choix « très indépendant » des poètes réunis, dont une grande part revint à Baudelaire lui-même. Parmi les 22 auteurs ayant collaboré à l’ouvrage, près de la moitié étaient des relations de Baudelaire ou des auteurs publiés chez Poulet-Malassis : Asselineau, Gautier, Babou, Boyer... Dans cette anthologie, Baudelaire eut finalement la plus belle part, ayant écrit cinq  notices sur les plus grands poètes du temps, Hugo en premier lieu. Baudelaire eut lui-même sa notice rédigée par Gautier.
Début (4 août 1859) : « Mon cher Crépet, j’ai fini vos sept notices, toutes conçues dans le style et suivant la méthode demandés (…) J’aurais attendu votre retour si je n’étais pas poursuivi pour une somme dont ce manuscrit représente la moitié (…) » Crépet fut certainement sensible à la demande pressante du poète, car dès le 9 août Baudelaire signait un reçu pour une somme de 110 frs.
Épreuves et corrections: Baudelaire toujours trop méticuleux pour les éditeurs (25 août 1859) : « Mon cher Crépet, ceci a déjà été lu et retouché deux fois. Je me propose d’y retoucher encore un peu ; et c’est pour cela que je réclame votre promesse, de faire composer ces notices en placards. Alors, selon mon habitude, j’y verrai tout à fait clair. Et je quitterai Paris plus tranquille.(…) Ne soyez pas inquiet ; je ne ferai pas des remaniements énormes… »
(31 oct. [1859]) : « Je ne quitterai pas Paris sans avoir remanié de nouveau toutes mes notices sur un manuscrit très propre et très net. J’aurai ce mois-ci un peu de temps à moi. Puis-je encore compter sur l’offre gracieuse que vous m’avez faite relativement aux tragédies ou à une tragédie, ce qui en même temps me permettrait de vous rembourser ce que je suis honteux de vous devoir depuis trois mois ? » La situation financière du poète l’amène à offrir sa collaboration pour rembourser des avances d’argent. On est surpris de voir ici Baudelaire indiquer qu’il pourrait travailler à une "tragédie", ce qui semble vraiment une proposition désespérée.
Baudelaire au bord de l’explosion lorsque l’éditeur demande des remaniements, [ca 10 avril 1860 ] : « (…) Vous me tourmentez horriblement et inutilement. J’ai mis, à cause de vous autant qu’à cause de moi, une application énorme dans ces notices. Ce que j’écris est bon et irréfutable. Cependant je vous ai déjà promis, par complaisance et par déférence, de remanier plusieurs passages. Je l’ai déjà fait, dans le Barbier par exemple (...) Comment voulez-vous que je recommence, pour la troisième fois, le passage relatif à ce jocrisse de Laprade, puisque je n’ai pas l’épreuve sous les yeux ?  (...) Quant à profiter de mon absence pour altérer ce que j’écris, vous ne le ferez pas, d’abord parce que cela serait déshonnête, ensuite parce qu’il a été convenu entre nous que si je me refusais à certaines transformations, ce serait Boyer qui se chargerait de ce travail ; enfin parce qu’il serait convenable d’abord de me donner un texte de mes notices, tel que je l’ai primitivement écrit… » Crépet, en bon républicain, avait la conviction que tout devait être subordonné à la morale. C’est justement ce que Baudelaire dans sa notice sur Auguste Barbier critiqua. Assigner à la poésie un but moral et privilégier l’idée plutôt que la forme, « le résultat est l’anéantissement de la poésie » écrivit Baudelaire dans sa notice sur Barbier. Si son admiration pour l’auteur des Ïambes équilibrait quelque peu ses reproches, il égratignait méchamment le « vertueux et pédant » Laprade, le principal représentant de cette école poétique utilitaire qu’il détestait. Aucune demande de Crépet ne put venir à bout de l’entêtement de Baudelaire. Sa notice sur Barbier fut refusée par Crépet qui la confia à Wailly.
Victor Hugo, le grand sujet [mai 1860] : « (…) Mon Hugo sera long, pas trop long (…) Je n’ai pas besoin de vous dire, vous le savez, qu’il y a là pour moi un tour de force à faire. Je vais même avertir Hugo moi même, afin de pouvoir prendre mes aises. Maintenant, envoyez moi tout ce que vous avez d’Hugo chez vous. Il faut que je m’en sature pendant 24 heures… » Les sentiments de Baudelaire sur Hugo, et sur l’homme et sur l’œuvre, n’en étaient pas moins ambigus, et s’il portait sur lui des jugements publics très élogieux, il avait souvent la dent dure en privé, ce dont Hugo devait fatalement être informé. La rédaction de cette notice n’allait donc pas de soi pour Baudelaire comme il le reconnaît ici. Elle est effectivement la plus longue de celle qu’il rédigea pour l’anthologie de Crépet : plus du triple de celles consacrées à Marceline Desbordes-Valmore et à Gautier, près du double de celle donnée sur Banville, par exemple. 11 mai 1860 : « (…) Je veux donner tout mon temps à Hugo ; je crois que je suis celui qui fera cela de la façon la plus riche, et enfin la différence en plus (je parle des 200 fr) sera minime. Ceci m’amène à la question de longueur. Je n’ai pas l’intention de produire 16 pages. — J’ai oublié vos prix de rédaction. — Je ne m’occupe même pas d’une considération aussi vile. — Je tâcherai de dire en 10 pages au maximum ce que je pense de raisonnable sur Hugo. Avouez que quand vous me reprochez la brièveté des deux premières notices, vous tombez dans une contradiction singulière. Vous avez donc oublié que je ne demandais pas mieux que de trouver plus d’espace, et que c’est vous qui m’avez imposé des conditions si terribles. Sur Gautier, sur Barbier, sur Pétrus Borel, j’aurais pu, avec plaisir, écrire dix pages. Si vous donnez dix pages à Boileau, que donnerez vous donc à Ronsard, et à Hugo ? Je résume : je vais écrire à Hugo pour le prévenir que moi, petit et infirme, je prends vis à vis de lui tous les droits de la liberté. — Je considère comme faite (absolument faite, je n’en puis répondre) le petit service que vous me demandez relativement aux citations. — J’esquiverai la question politique ; d’ailleurs je ne crois pas possible de parler des satires politiques, même pour les blâmer ; or, si j’en parlais, bien que je considère l’engueulement politique comme une sottise, je serais plutôt avec Hugo qu’avec le Bonaparte du Coup d’Etat. — Donc, impossible. — mais je toucherai un peu à la question sociale, à l’utopie, à la peine de mort, aux religions modernes, &c... Je viens de recevoir une lettre d’Hugo, très cordiale, contre son ordinaire, et très-spirituelle, ce qui est encore plus singulier (à propos de Méryon). Tout cela facilitera évidemment notre affaire… » Baudelaire, prudemment, décide d’éviter l’affrontement en ne parlant pas des Châtiments,  flamboyant pamphlet contre le Second Empire. Sur toutes les autres questions que Baudelaire évoque brièvement dans cette lettre il était en opposition absolue avec Victor Hugo et... avec Crépet lui-même. 
De toute évidence l’éditeur s’impatiente. Le 17 janvier 1861, à nouveau une longue lettre irritée du poète relative à la notice sur Victor Hugo : « vous me demandez si vous devez sérieusement compter sur moi ? — OUI — D’abord je vous dois cette notice, ensuite je tiens à la voir signée de moi. — Vous me dites que j’ai déjà affirmé qu’elle était finie. — Oui, et j’en suis mécontent. Si une roue m’était passée sur le ventre ou sur la tête, malgré que vous attendiez depuis longtemps, vous me feriez encore crédit. Eh bien, supposez (au moral) quelque chose de pire. — Je rentre dans la vie depuis 4 jours, je suis à Paris depuis 5, et je me trouve en face de sept morceaux arriérés, y compris le vôtre, tous également pressés, un ensemble de 160 pages. Oui, je désire que vous comptiez encore sur moi. Quel jour commencerai-je à prendre pour vous les 24 ou 48 heures nécessaires, je n’en sais rien aujourd’hui ; je sais seulement que jour à jour je ferai ce que j’ai à faire. Je vous récrirai de nouveau aussitôt que je serai calmé… » Huit mois après l’avoir commencée, Baudelaire n’a toujours pas achevé cette notice. Le 4 juin 1861 il écrit encore : « je me suis remis ce matin à votre Hugo ; vous pouvez donc être tranquille de ce côté. Je sors de chez M. Claye, à qui j’ai demandé une bonne épreuve de Gautier, Leconte de Lisle, et Barbier ; mais il paraît qu’il n’est plus temps, et que ce serait un vif embarras. Je demande avec insistance une bonne épreuve de Desbordes Valmore, et une bonne épreuve d’Hégésippe Moreau, avant que vous n’ayez fait décomposer. D’après ce que vous m’avez dit hier soir, il me parait inutile de faire composer Pierre Dupont, Levavasseur et Petrus Borel, puisque dans chacune de ces notices il y a des choses choquantes pour vous.
Le 19 juin 1861, Baudelaire veut « tout relire » : « depuis plusieurs jours, TOUTES vos épreuves REMANIEES sont chez vous (…) Avant de quitter Paris, je veux tout relire ; d’ailleurs ces quatre dernières ont besoin d’être relues après correction… ».
Cette correspondance retrace de façon très vivante l’histoire de la notice consacrée à Victor Hugo. On y voit Baudelaire batailler ferme pour rester maître de la notice tout en semblant incapable d’en venir à bout. Son grand devancier lui posa visiblement des problèmes et on le voit se plonger dans une relecture de tout ce que Hugo avait écrit. Face aux impatiences de l’éditeur, Baudelaire se montra intransigeant, imposant son rythme, la longueur de l’article,  et n’imaginant pas qu’on pût le remplacer. La notice sur Hugo fut particulièrement admirative et élogieuse, Baudelaire s’étant livré à une analyse très fine de toutes les hautes qualités du poète. Ce n’est pas une simple notice qu’il rédige comme le croit Crépet, c’est bien plus, un magnifique texte d’hommage à Hugo mais par lequel Baudelaire ose lui-même entrer dans le cercle intime du génie.
9 septembre 1862 : rupture avec Eugène Crépet : « Mon cher Crepet, / Votre précieuse lettre est arrivée trop tard. Je veux dire que j’ai le 4e vol. des Poëtes français. Je l’ai payé, bien entendu. Je garde la facture aussi soigneusement que votre lettre. Quant à vos livres, votre réclamation n’est que trop juste, il était puéril de prendre une forme aussi impérieuse. Je n’ai souvenir exact que des Contemplations et de La Légende des Siècles ; Dans la crainte de me tromper, je vais réclamer tout ce que l’on pourra trouver de Victor Hugo chez moi. / Charles Baudelaire » Le volume sur les Poètes contemporains ayant enfin paru en 1862, Baudelaire qui ne l’avait pas reçu en fit la demande à Hachette qui la transmit à Eugène Crépet. Ce courrier et sa réponse (jointe) par Crépet montre l’état d’exaspération auquel étaient parvenus les deux hommes.

(C) 2025 Sotheby's
All alcoholic beverage sales in New York are made solely by Sotheby's Wine (NEW L1046028)