James Ensor

The Remorse of the Ogre of Corsica

By Xavier Tricot

James Ensor (1860-1949) was fascinated by mass scenes such as parades, processions and battles. Among these crowd scenes the battle of Waterloo in 1814 is undoubtedly the most famous. In his drawing Les cuirassiers à Waterloo (coll. KMSK, Antwerp) of 1891 the emphasis is on the dynamism of the moving mass. The drawing is very long and shows a vast panorama of the battlefield. The panoramic view was probably inspired by the 'Panorama National', known as the 'Rotonde Castellani', which the painter visited during his numerous stays in Brussels.

James Ensor, Cuirassiers at Waterloo, 1891, Antwerp, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten © AKG-IMAGES

This circular panorama, located at Boulevard du Hainaut 8 (today Boulevard Lemonnier), in Brussels, had a circumference of 120 metres and represented the Battle of Waterloo, painted by the Belgian-French artist Charles Castellani (1838-1913). The panorama was open to visitors from 1881 to 1884 and finally closed down in 1888. The mass scene was perhaps not only an inspiration for The Entry of Christ into Brussels in 1889 (coll. Getty Museum, Los Angeles) but also for Ensor’s different enhanced works on paper of scenes of the Battle of Waterloo. In L’Art moderne, dated 25 April 1886, we read: “Émile Wauters’ Panorama du Caire has returned from Vienna. It is visible every day, Boulevard du Hainaut 8, in the room formerly occupied by the Bataille de Waterloo. We will be happy to see this composition again, which combines the interest of great accuracy with the serious quality of a valuable work of art” (in L’Art moderne, 6th year, no. 17, 25 April 1886, p. 135).

His drawing The Last Square at Waterloo (coll. Kunstmuseum, The Hague) of 1889, shows us the decisive moment when the 2000 or so English cavalrymen penetrated between Napoleon's guard and General Reille's corps. In front of the "square" composed of lead soldiers, corpses litter the battlefield. It is above all the rush and stampede that interests Ensor. In his monograph on the painter, the Belgian poet and critic Émile Verhaeren (1855-1916) wrote: "Battles especially require it. Thanks to the blows given, to the wounds received, thanks to the wiggling of the body that strikes and the falls of the bodies that succumb, thanks to the contortions that he supposes and the pirouettes that he imagines, a battle presents itself to him with delight. The real horror is suppressed in favor of the truculence and the picturesque" (E. Verhaeren, James Ensor, Brussels, G. Van Oest & Cie, 1908, p. 65).

Henry de Groux, Napoléon à la retraite de Russie, 1895, Musée Léon Dierx, Saint Denis de La Réunion

Ensor was undoubtedly inspired by the work of his colleague Henry de Groux (1866-1930). The latter exhibited three paintings, entitled Waterloo. Three Dreams after the Battle, at the annual Salon des XX in Brussels in 1888, as well as Charge of Cuirassiers at Waterloo, the following year (in Les XX. Catalogue des dix expositions annuelles, Bruxelles, Centre international pour l’étude du XIXe siècle, 1981, p. 141 & p. 179). Henry de Groux's works are marked by a twilight and apocalyptic atmosphere. Ensor's works, on the other hand, are devoid of any tragic spirit. In his painting Le Remords de l'ogre corse from 1890 or 1891, Ensor depicts the dejected and pensive French emperor surrounded by his personal guard (in X. Tricot, James Ensor. Sa vie, son œuvre. Catalogue raisonné des peintures, Brussels, Fonds Mercator, 2009, no. 311, p. 304, ill.). The title of the painting sets the tone. The title of the painting announces the color. Behind him, an officer holds up a standard embroidered with the names of lost battles: Aboukir, Moscow, Leipzig, Dresden, Trafalgar, Berezina. Skull and crossbones, placed on the end of the flagpole, cast an accusing glance at the emperor. The name of Louis Antoine Henry de Bourbon, duke of Enghien, also appears on the standard. A royalist and anti-Bonapartist, the Duc d'Enghien was suspected of conspiring against the emperor, arrested in February 1804, summarily tried and executed on March 21, 1804 in the pits of the Château de Vincennes. In 1804, while the plots against his person multiply, Bonaparte decides to strike a great blow to calm the royalist ardors: to make arrest and execute the duke of Enghien. There is no doubt about James Ensor's words. Riddled with remorse, Napoleon, with a melancholy look in his eyes, sees in memory his conquests and defeats. A few sad mustachioed veterans in patched pants form his personal guard. There is no doubt that Ensor wanted to depict the grandeur and decadence of a fallen hero. Ensor criticizes his thirst for conquest and his megalomania. However, the use of bright colors and the deliberately naive style give the painting an almost joyful appearance. The caricature attenuates the dramatic spirit of the scene. The picture is painted on a beveled mahogany panel, typical for works from around 1890: Ecce Homo, The Man of Sorrows, The Grotesque Singers and The Self-Defying (or Philip II in the Underworld) (Cf. Tricot 330, 331, 336, 339).

In 1896, Ensor used the figure of Napoleon in his etching entitled Napoleon's Farewell, based on a drawing from 1889 (in A. Taevernier, James Ensor. Illustrated Catalogue of his Engravings, their Critical Description and Inventary of his Plates, Ghent, 1973, no. 111, pp. 272-273 (ill.) and J. N. Elesh, James Ensor. The Illustrated Bartsch 141, New York, Abaris Books, 1982, no. 114. For the drawing, cf. Verhaeren, p. 115. The drawing is illustrated in the special issue of La Plume (1899), dedicated to James Ensor). It is a paunchy, slouching figure that addresses his personal guard for the last time before his departure for exile.


James Ensor

Le remords de l’ogre corse

Par Xavier Tricot

James Ensor (1860-1949) fut fasciné par les scènes de masse que ce soient les parades, les processions, les cortèges ou les batailles. Parmi ces scènes de foule celle de la bataille de Waterloo en 1814 est sans aucun doute la plus célèbre. Dans son dessin Les cuirassiers à Waterloo (coll. KMSK, Anvers) de 1891 l’accent est mis sur le dynamisme de la masse en mouvement. Le dessin, tout en longueur, montre un vaste panorama du champ de bataille. Le champ de vision panoramique fut probablement inspiré par le ‘Panorama National’, connu comme ‘Rotonde Castellani,’ que le peintre a pu visiter durant ses nombreux séjours à Bruxelles.

Ce panorama circulaire, situé au boulevard du Hainaut 8 (aujourd'hui boulevard Lemonnier), à Bruxelles, avait une circonférence de 120 mètres et représentait la bataille de Waterloo, peinte par l'artiste franco-belge Charles Castellani (1838-1913). Le panorama a été ouvert aux visiteurs de 1881 à 1884 et a finalement été fermé en 1888. La scène de messe a peut-être inspiré non seulement L'Entrée du Christ à Bruxelles en 1889 (coll. Getty Museum, Los Angeles) mais aussi les différentes œuvres sur papier rehaussées d'Ensor représentant des scènes de la bataille de Waterloo. Dans L'Art moderne, daté du 25 avril 1886, on peut lire : « Le Panorama du Caire d'Émile Wauters est revenu de Vienne. Il est visible tous les jours, boulevard du Hainaut 8, dans la salle occupée autrefois par la Bataille de Waterloo. Nous serons heureux de revoir cette composition, qui allie l'intérêt d'une grande exactitude à la qualité sérieuse d'une œuvre d'art précieuse » (in L’Art moderne, 6e année, no. 17, 25 avril 1886, p. 135).

Son dessin Le dernier carré à Waterloo (coll. Kunstmuseum, La Haye) de 1889, nous montre l’instant décisif où les quelques 2000 cavaliers anglais pénétrèrent entre la garde de Napoléon et le corps du général Reille. Devant le « carré » composé de soldats de plomb des cadavres jonchent le champ de bataille. C’est avant tout la cohue et la débandade qui intéressent Ensor. Dans sa monographie sur le peintre, le poète belge et critique Émile Verhaeren (1855-1916) écrit : « Les batailles surtout le requièrent. Grâce aux coups donnés, aux plaies reçues, grâce aux déhanchements du corps qui frappe et aux chutes des corps qui succombent, grâce aux contorsions qu’il suppose et aux pirouettes qu’il imagine, un combat se présente à lui avec délices. L’horreur réelle en est supprimée au profit de la truculence et du pittoresque » (E. Verhaeren, James Ensor, Bruxelles, G. Van Oest & Cie, 1908, p. 65).

Ensor fut sans aucun doute inspiré par l’œuvre de son collègue Henry de Groux (1866-1930). Ce dernier expose trois tableaux, intitulés Waterloo. Trois rêves après la bataille, au salon annuel des XX de 1888 à Bruxelles, ainsi que Charge de cuirassiers à Waterloo, l’année suivante (in Les XX. Catalogue des dix expositions annuelles, Bruxelles, Centre international pour l’étude du XIXe siècle, 1981, p. 141 & p. 179). Les œuvres d’Henry de Groux sont marquées par une ambiance crépusculaire et apocalyptique. Les œuvres d’Ensor, quant à elles, sont dénuées de tout esprit tragique. Dans son tableau Le Remords de l’ogre corse de 1890 ou de 1891, Ensor dépeint l’empereur des Français dépité et songeur, entouré de sa garde personnelle (in X. Tricot, James Ensor. Sa vie, son œuvre. Catalogue raisonné des peintures, Bruxelles, Fonds Mercator, 2009, no. 311, p. 304, ill). Le titre du tableau annonce la couleur. Derrière lui un officier brandit un étendard brodé des noms des batailles perdues : Aboukir, Moscou, Leipzig, Dresde, Trafalgar, Bérézina. Une tête de mort, placée sur l’extrémité de la hampe jette un regard accusateur sur l’empereur. Le nom de Louis Antoine Henry de Bourbon, duc d’Enghien, figure également sur l’étendard. Royaliste et anti-bonapartiste, le duc d’Enghien fut soupçonné de conspiration contre l’empereur, arrêté en février 1804, jugé sommairement et exécuté le 21 mars 1804 dans les fosses du château de Vincennes. En 1804, alors que les complots contre sa personne se multiplient, Bonaparte décide de frapper un grand coup pour calmer les ardeurs royalistes : faire arrêter et exécuter le duc d’Enghien. Il n’y pas de doute quant au propos de James Ensor. Rongé par le remords, Napoléon, le regard mélancolique, voit en mémoire ses conquêtes et ses défaites. Quelques tristes vétérans moustachus, vêtus de pantalons rapiécés, forment sa garde personnelle. Nul doute possible, c’est bien la grandeur et décadence d’un héros déchu qu’Ensor a voulu décliner. Ensor critique sa soif de conquêtes, ainsi que sa mégalomanie. Toutefois, l’emploi des coloris vifs et la facture volontairement naïve procurent au tableau un aspect presque joyeux. La caricature atténue l’esprit dramatique de la scène. Le tableau est peint sur un panneau d’acajou biseauté, typique pour les œuvres de 1890 environ : Ecce Homo, L’homme de douleur, Les chanteurs grotesques et L’autodafé (ou Philippe II aux enfers) (cf. Tricot 330, 331, 336, 339).

James Ensor, Les adieux de Napoléon, 1897, etching engraving

En 1896, Ensor reprendra la figure de Napoléon dans son eau-forte, intitulée Les adieux de Napoléon [Napoleon’s Farewell], d’après un dessin de 1889 (in A. Taevernier, James Ensor. Illustrated Catalogue of his Engravings, their Critical Description and Inventary of his Plates, Gand, 1973, no. 111, pp. 272-273 (ill.) et J. N. Elesh, James Ensor. The Illustrated Bartsch 141, New York, Abaris Books, 1982, no. 114. Pour le dessin, cf. Verhaeren, p. 115. Le dessin est reproduit dans le numéro spécial de la revue française La Plume (1899), consacré à James Ensor). C’est une figure ventrue et avachie qui s’adresse pour la dernière fois à sa garde personnelle avant son départ pour l’exil.