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ARTAUD. 5 CARNETS INÉDITS (1932-1934). 622 P. IN-16. IMPORTANTES NOTES SUR LE THÉÂTRE, SA VIE, SES OEUVRES, ETC.

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描述

  • Artaud, Antonin
  • 5 carnets inédits. [1932-1934].
  • ink on paper
622 p. in-16 manuscrites (129 x 78 mm), dans 5 carnets, dont 4 sont des carnets médicaux des Laboratoires Houdé (titre “Carnet médical” doré, percaline bordeaux, tranches rouges) et celui de 1932 un simple agenda (veau bordeaux, tranches dorées). Presque toutes les pages des 4 premiers carnets sont entièrement recouvertes d’une écriture serrée à l’encre bleue : 1931 (2e semestre, 113 p. manuscrites), 1932 (carnet médical du 1er semestre, 178 p.), 1932 (2e semestre, 134 p.), 1932 (agenda, 187 p.), 1934 (carnet médical, 1er semestre, 10 p.).

Passionnants carnets inédits.



Datant de l'une des périodes les plus créatives d'Artaud, ces cinq agendas constituent un document exceptionnel sur la vie et la pensée théâtrale d’Antonin Artaud. Écrits au plus près de sa vie quotidienne dans les années 1932-1934, ils sont remplis de notes et d'informations inédites sur ses amitiés littéraires, ses amours tumultueuses avec quantité de femmes, de réflexions sur le théâtre et le cinéma. Antonin Artaud utilise ces carnets de manière étonnamment libre et désordonnée, anticipant l’usage qu’il fera de ses fameux petits cahiers d’écoliers qu’il remplit de notes, textes et dessins, de 1945 à 1948, à l’asile psychiatrique de Rodez puis lors de son retour à Paris en mai 1946. Leur petit format lui permet de les avoir toujours à portée de main, lui qui va de domicile en domicile, hébergé au gré de la générosité de ses amis et qui donne à l’époque la plupart de ses rendez-vous dans le quartier de Montparnasse, au Dôme ou à la Coupole. Ils lui servent principalement à trois usages : d’agenda d’abord, et il y note adresses, rendez-vous ou numéros de téléphone ; de carnet d’écrivain ensuite, car il dépose au jour le jour des réflexions théoriques et des ébauches de textes ; de carnet intime enfin, puisqu’il y relate ses relations amoureuses avec de nombreuses femmes, ses essais de désintoxication, son douloureux état physique ou mental.
Les agendas sont périmés aux dates où il s’en sert. Cela ne l’empêche pas d’y trouver des repères approximatifs : si le quantième du mois est juste, le jour ne correspond pas, ou inversement. Ainsi, à la page du mercredi 8 juin 1932, il note, à propos d’Anaïs Nin : “Elle me demande rendez-vous pour le jeudi 8 juin 1933. On ira au Louvre voir le Lucas de Leyde.” Très souvent, il ne tient aucun compte des dates de l’agenda et peut ainsi noter sur la page du lundi 8 février 1932 : “5 novembre 1932”. 



Démarches pour créer le "théâtre de la N.R.F."Dès le début de l’année 1932, son projet de fonder un nouveau théâtre avec le soutien de la N.R.F. se précipite. Il multiplie les rendez-vous et les contacts, sollicite des parrainages, s’emploie à lever des fonds. Ces agendas permettent de mesurer l’intense activité sociale qui est la sienne. On voit ainsi apparaître au fil des pages les noms de personnalités influentes comme Gide, Fargue ou Larbaud, ses amis du Grand Jeu, Daumal et Renéville, ou encore Ribemont-Dessaignes et Richaud, des directeurs de revues, de riches mécènes, des actrices, ou même au détour d’une page : "3 h ½ Malraux”. Parfois, il fait le point : "vu Kahnweiler, Paulhan, Benda, Daumal, Héberthot en vue fondation théâtre”.



Théâtre contre cinéma. Acteur de cinéma pour Abel Gance ou Carl Dreyer, Antonin Artaud, à l’instar de beaucoup de surréalistes, avait rédigé de nombreux scénarios pour le cinéma, dont le fameux La Coquille et le Clergyman en 1927. Au début des années 1930, il ne croit plus en la possibilité d’inventer un nouveau langage cinématographique. Plus encore, le cinéma est devenu un ennemi et il s’attache ici à démontrer la supériorité du théâtre sur le cinéma. Un leitmotiv revient : “La crise économique qui précipite la faillite des théâtres pose avec l’acuité la plus brûlante la question de la raison d’être du théâtre”. Il faut donc résister au cinéma et inventer pour le théâtre un nouvel avenir : face à la mécanique cinématographique, le magnétisme, “la force de dégagement d’une image de théâtre est illimitée." A l’époque de ces petits agendas, Antonin Artaud rédige ses grands textes théoriques qui paraissent au fur et à mesure dans la N.R.F. et seront réunis dans le recueil le Théâtre et son Double en 1938. Presque toutes les pages portent de précieuses notes qui marquent les étapes de sa réflexion sur un “nouveau langage dans l’espace” : le théâtre doit “se séparer de la littérature”, se libérer du sacro-saint “conflit psychologique comme thème obligé de toute représentation”. Un long texte intitulé La poésie au théâtre développe cette idée : “rendre à la poésie théâtrale ses pouvoirs de désenchaînement”. Théâtre alchimique, métaphysique… tous les accents du Théâtre de la Cruauté sont ici en place ; par exemple ceci : “Il ne s’agit pas de sortir à tout instant sur la scène le couteau de boucher mais de réintroduire dans tout acte théâtral la notion d’une sorte de cruauté cosmique sans laquelle il n’y aurait ni vie, ni réalité.” Ou encore : "Allant plus loin, je dirais que le théâtre est destiné à exprimer des idées métaphysiques par un mouvement d’esprit bien naturel et bien simple. La conséquence de la folie quand on l’étend, c’est de nous remettre en contact avec le cosmos. Ensuite le rite est l’expression religieuse de la métaphysique : c’est pourquoi le théâtre sera rituel ou ne sera pas."



Difficile état physique. Au creux de cette intense activité tant concrète que réflexive, les carnets révèlent aussi des accents plus intimement douloureux. À son ami le docteur René Allendy ou à Georges Soulié de Morant avec qui il fait à l’époque des séances d’acupuncture, il décrit ses souffrances : “l’âme empêtrée dans les bas-fonds des viscères et des membres : les vibrations qui ne se font pas !!”. Des pages d’une précision quasi clinique décrivent ses terribles difficultés à s’exprimer dans la vie quotidienne : “Les idées de nouveau s’effritent, le mot déjà perçu et qui avait engagé l’esprit dans une forme, qui l’avait déjà frappé [souligné] devient durcifié quelque part et ne sort pas ; il me faut en chercher un autre, six autres ; il me faut changer [souligné] ma pensée, me contenter d’une approximation mal sonnante, mal séante, qui fait croire aux gens que je ne sais pas ce que je veux dire, que je ne suis pas sûr de ma pensée, que je m’exprime à de certains jours sans cesse excessivement mal. […] Et ce que je me décide à leur dire au hasard afin de boucher un terrible silence ne correspond en rien à ce que j’avais à leur dire, ni à la forme particulière de ma pensée, à ma façon personnelle de penser, d’entamer mes sujets. Un désastre.”



Quel langage parler aux femmes ? Parallèlement, certains aspects moins connus de la personnalité d’Artaud se révèlent ici : sa recherche insatiable de l’amour d’une femme, ses inlassables stratégies de séduction, la multiplicité de ses conquêtes toujours décevantes et éphémères. Les pages consacrées à Anaïs Nin ou à Josette Lusson montrent ainsi clairement le mélange de fascination puis de retrait prudent que déclenche chez elle l’étrange personnalité d’Artaud. Des pages étonnantes d’un des carnets, sous le titre “MODELE D’UNE CONVERSATION CRETINISANTE ET EFFICACE”, déroule des dizaines de phrases-type à utiliser dans les cafés pour tenter d’attirer l’attention des femmes : “Alors mademoiselle vous êtes seule, vous ne vous ennuyez pas ? […] pourquoi n’avez-vous pas remis l’adorable chapeau de mardi dernier ? […] À voir vos yeux vous devez porter un très beau nom. […] Si votre voix a la fraicheur de votre visage ce doit être un enchantement de vous entendre”. Les noms de femmes auxquelles le lie une aventure sentimentale toujours plus ou moins ratée est impressionnant : outre les plus connues comme Anaïs Nin, Josette Lusson, Juliette Beckers, Annie Besnard, on voit apparaître une certaine Marie-Thérèse, une Raymonde, une Lilian qui devient sa maîtresse (il le note triomphalement dans son carnet, avant d’avouer quelques pages plus loinle caractère lassant et décevant de l’accouplement”), une jeune fille éphémère entrevue au théâtre (“rencontre ravissante jeunes filles deux rangées derrière moi…”), une certaine Elma Lyon à qui il prête La vie d’Apollonius de Tyane (il travaille à Héliogabale). À défaut de les comprendre, il leur interprète les lignes de leur main et remplit des pages des schémas interprétatifs de la chiromancie. Reste que pour lui, toute femme est une énigme. Ainsi, après un baiser qualifié de “lent, long et dévorant” que lui donne Anaïs Nin au Louvre, ils se quittent le soir à la gare Saint-Lazare et il s’interroge, perplexe : “Après une poignée de mains et un regard, elle a un geste de la tête et un frémissement du corps que je n’ai pas encore qualifié. Est-ce émotion de me quitter ? Trouble qui consacre l’après-midi passé ensemble ou déception de l’adieu non pas froid mais réservé ou coup de foudre ? Je ne sais ! Le carnet est aussi journal de rêves, quand il note par exemple celui-ci : "Nuit de dimanche à lundi. Rêves érotiques, rêves de peur de plusieurs femmes en expectative et qui me désiraient j’en choisis une dans un esprit de démonstration pour faire la pige aux autres mais je savais que […] j’entrerais dans les salles de la peur qui me guetteront, y succédant à d’autres salles de la peur salles cloisonnées haut, asphyxiantes, avec des lits à édredons suffocants. Au réveil impression d’irrémédiable. Jamais, même éveillé, je ne me connais cette peur mais au réveil ce n’était plus de la peur, c’était une instabilité organique, impression de ne pas me sentir, de ne pas pouvoir ramasser le sentiment physique du moi ; la coexistence normalement troublée tout cela doublé d’un état de besoin absolument intolérable". Rupture désolante entre corps et pensée, corps et sensation, leitmotiv d’Antonin Artaud, ici comme ailleurs.



Nous remercions Mme Evelyne Grossman pour sa contribution dans la rédaction de cette description.



Provenance : Jean-Marie Conty (1904-1999). Compagnon d’Antoine de Saint-Exupéry à l’Aéropostale, il fréquente Artaud dans les années 1930-1935 : c’est chez lui qu’Artaud est souvent hébergé et que, devant des mécènes potentiels, il lit les Cenci (Fl. de Mèredieu, C’était Antonin Artaud, p. 512, 584-596). Haut fonctionnaire, homme de théâtre et grand sportif, il joua un rôle important dans les relations entre le théâtre et l’éducation sportive.