Dans cette saisissante composition issue d’une prestigieuse collection, la virtuosité avec laquelle Soulages sculpte l’espace à travers de savants et ténébreux impastos est absolument sidérante. Il faut dire qu’en cette année rythmée par plusieurs grandes rétrospectives internationales de l’œuvre de l’artiste au Folkwang Museum d’Essen, au Kunsthaus de Zurich et au Gemeente Museum de La Haye, le travail qu’il accomplit sur les transparences est aussi inspiré qu’avant-gardiste, les signes hiératiques et formalistes caractéristiques de ses œuvres des années quarante et cinquante ayant disparu au profit de formes libres et déliées permettant au motif de se détacher du fond de façon saisissante. En d’autres termes, comme l’explique Jean Leymarie dans un article paru dans les pages d’ Art International à la même époque : « les anciens schémas verticaux aux assises tendues » ont fait « place à des ensembles transversaux, plus complexes et plus aérés. » Dès lors, « le noir [qui] était auparavant la génératrice centrale à laquelle la couleur servait de contrepoids devient désormais valeur active et dynamique, s’épanouissant par rayonnement, émanation, phosphorescence. »

Sur un autre registre, biographique cette fois, il est aussi intéressant de noter que mars 1961 coïncide avec la récente installation de Soulages dans l’inspirante maison-atelier qu’il a lui-même dessiné à Sète. Perchée sur le versant sud du Mont Saint-Clair, cette demeure baignée de lumière dominant la mer et s’inscrivant dans une luxuriante végétation méditerranéenne n’est aussi sans doute pas étrangère à cette tension sans précédent entre jeux de lumières, volume, espace et temps qui animent Peinture 130 x 89 cm, 2 mars 1961.

Lorsque l’on parcourt le catalogue raisonné de l’œuvre peinte de Soulages, nul ne peut en effet nier la magie qui s’opère dans son œuvre à l’aube des années soixante, la forme se liant à la matière et la couleur pour témoigner de façon bouleversante de l’énergie créatrice inouïe qui anime alors Soulages.