

Vraisemblablement fatidique, 1972 marque non seulement les débuts de leur collaboration avec Illeana Sonnabend mais aussi les prémices de leur reconnaissance internationale. Il faut penser aux retentissements du célèbre article de Carl André sur Artforum paru en décembre de la même année. ‘A note on Bernhard and Hilla Becher’ relie alors pour la première fois le travail des Becher aux questionnements de l’art conceptuel et minimal.
Cette typologie de neuf châteaux d’eau présentée ici est remarquable à plusieurs titres. On retrouve manifestement le style caractéristique des Becher avec l’Entfremdungseffekt ou effet de distanciation créé par la présentation systématique inspirée de la taxinomie ainsi qu’une composition standardisée et identique sur chaque « portrait » insistant sur la frontalité et la monumentalité des constructions industrielles classées par fonctionnalité et forme. Cependant, à l’inverse de leur travail postérieur, ce style éminemment caractéristique n’est pas encore épuré au point d’isoler complètement les sujets photographiés de leur environnement. En examinant de plus près certains clichés, on peut alors observer des hommes, des pylônes ou encore des lignes à haute tension.
Cette série est ainsi essentielle pour permettre d’apprécier l’évolution du style des Becher vers l'épure des années ultérieures. Par ailleurs, elle s’avère être précieuse car aucune autre série d’époque de ces neuf châteaux d’eau en forme d’entonnoir n’est connue. Seule l’existence de cette typologie reprise dans une œuvre unique et en deux parties est attestée dans les collections de la Deutsche Bank.
« Nous ne voulons rien changer aux objets que nous photographions – un principe auquel nous obéissons encore aujourd’hui. La seule chose qui nous était et nous est permise, c’est un artifice permettant de dégager les sujets concernés, de les rapprocher suffisamment pour qu’ils occupent tout le champ de l’image, ce qui ne correspond pas à la réalité, puisque sur place ils se dressent dans un chaos ou une jungle architectonique. Mais cet artifice est nécessaire pour pouvoir les embrasser du regard et en distinguer clairement la forme globale. » (Michael Köhler, ‘Interview mit Bernd und Hilla Becher’ in Künstler: Kritisches Lexikon der Gegenwartskunst, Munich, WB, 1989, p. 14.)